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A la suite des révélations de "Marianne", la promotion du CRS au blason nazi annulée par Gérald Darmanin
DENIS CHARLET / AFP

A la suite des révélations de "Marianne", la promotion du CRS au blason nazi annulée par Gérald Darmanin

Volte-face

Par Sophie Boutboul

Publié le

A la suite des révélations de "Marianne" sur un CRS promu brigadier chef en juin 2020 après avoir été sanctionné en 2015 pour avoir porté un blason nazi, le ministre de l’Intérieur a annoncé sur Twitter qu’il annulait sa promotion, ce jeudi 30 juillet.

Un CRS a été promu le 30 juin 2020 brigadier-chef. Son avancement en a surpris plus d’un, puisqu’il avait par le passé arboré fièrement sur son casque de travail un blason représentant la 12e Panzer SS, une division nazie ayant officié pendant la Seconde Guerre mondiale. Le brigadier G. avait été sanctionné en 2015 par décision du ministère de l’Intérieur. Mais cela ne l’a pas empêché de voir son nom sur le tableau d’avancement de l’été dans un arrêté signé de la main de Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, « pour le ministre de l’Intérieur et par délégation ».

Or, le 29 juillet, à la suite de la publication de l’article de Marianne, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a demandé au directeur général de la police nationale d’annuler cette promotion. Il l’a annoncé le 30 sur Twitter retweetant l’article de Marianne : « Non. Conformément à ce que j’ai demandé au directeur général de la police nationale, cet agent ne sera pas promu. » Les services du ministère de l’Intérieur avaient refusé de nous répondre pour notre premier article, paru le 29 juillet au matin, estimant que le service communication de la police l’avait déjà fait. Pourtant, nous avions expressément demandé une réaction du ministère.

Les services de Gérald Darmanin nous ont finalement expliqué ce 30 juillet au soir que la demande d’annulation de la promotion s’était faite le 29 juillet : « Le tableau d'avancement 2020 des 1922 brigadiers de police au grade de brigadier-chef avait été signé par le DGPN, entérinant la proposition de la commission administrative paritaire compétente. Il n'avait cependant pas fait l'objet d'une publication au bulletin officiel du ministère de l'Intérieur, seulement sur le site intranet de la direction des ressources et des compétences de la police nationale. Aucun arrêté d'avancement n'avait été signé. Conformément aux instructions du ministre de l'Intérieur, ce brigadier a été retiré du tableau d'avancement avant sa publication officielle. » Une décision rarissime.

Le service communication de la police avait justifié ainsi la promotion du brigadier G. : « Il est promouvable depuis 2014. Le 6 février 2020, la commission administrative paritaire compétente a proposé son avancement à partir des règles appliquées à tous les fonctionnaires, sur la base des trois dernières évaluations et de la réussite aux examens professionnels. » Cela ne semblait donc pas disqualifiant alors au ministère comme à la police d'avoir porté un blason nazi et d’avoir évolué dans une ambiance de sexisme et de racisme dans son unité pour l’obtention d’une promotion.

"Et tous ceux qui sont déjà promus ?"

Ce CRS était en 2012 l’un des supérieurs hiérarchiques d’Inès (le prénom a été changé), policière, franco-algérienne : elle était gardienne de la paix et lui brigadier dans une compagnie de Joigny (Yonne). Inès est l’une des personnes ayant lancé l’alerte sur l’admiration de son chef pour le matériel nazi, ainsi que sur les propos sexistes et racistes tenus dans leur unité et sur sa « mise à l’écart » par lui et d’autres. Elle a été reconnue victime de propos discriminatoires et sexistes dans son unité, dans laquelle le brigadier G. était un de ses supérieurs hiérarchiques, par le défenseur des Droits et le tribunal administratif. L'autorité indépendante comme le tribunal ont tous deux fustigé l’inaction du ministère de l’Intérieur.

Face à la décision d’annuler la promotion du brigadier G. que nous lui avons apprise, Inès est d’abord restée bouche bée. Puis elle a embrayé : « C'est un élément de communication. Dès le début, tout a été mal fait avec une sanction aussi minime de 15 jours d’exclusion. Là, ils réagissent à chaud à quelque chose d’inadmissible, ils enlèvent la promotion oui, et alors ? Et tous ceux qui sont déjà promus sans qu’on le sache ? »

De son côté, la CRS n’a obtenu ni réparation, ni mutation proche de son domicile. Depuis un congé maladie après une blessure en service en 2012, elle a été en congé maternité et parental, s’y sentant forcée puisque la seule mutation proposée était, affirme-t-elle, bien trop éloignée de chez elle. Elle précise : « C’est l’arbre qui cache la forêt, il y a vraiment un dysfonctionnement dans la police nationale. Il faut se demander comment en est on arrivé là, comment ça se fait que ce monsieur a pu faire carrière dans la police, avec de telles idées. Il a pu mettre un insigne nazi à la vue de tous sur son casque, un matériel qu’on porte en intervention. C’est symptomatique. Quelles sont les solutions à trouver pour empêcher que cela se reproduise ? »

"Je m'étouffe"

Après les révélations de Marianne, StreetPress, Mediapart, Arte Radio et Libération sur le racisme et le sexisme dans les forces de l’ordre et les représailles sur les lanceurs et lanceuses d’alerte, l’annulation d’une telle promotion par l’Intérieur augure-t-elle d’une réflexion plus globale sur le sujet et de recherches de solutions pour la police ? Les services du ministre renvoient vers les déclarations de Gérald Darmanin lors de la commission des lois de l’Assemblée nationale et vers le directeur général de la police nationale.

Devant les députés, le ministre a affirmé son souhait que les dérives policières soient systématiquement sanctionnées : "Il faut que le gouvernement les sanctionne, et s’il ne le fait pas, il faut que la presse, les syndicats, les parlementaires rappellent à la hiérarchie policière et au ministère de l’intérieur ce qu’ils doivent faire, et c’est bien légitime". Mais il a aussi refusé de reprendre à son compte l'expression "violences policières", usant d'une répartie qui a pu être prise comme une provocation : "Quand j'entends parler de violences policières, personnellement, je m'étouffe".

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne