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David Lisnard: «Le sentiment d’impunité est destructeur pour la société française»

Photo prise le 24 mars 2010 à Vézin-Le-Coquet (Ille-et-Vilaine) d’un surveillant en position dans le nouveau centre pénitentiaire pour hommes. FRED TANNEAU/AFP

FIGAROVOX/TRIBUNE - Le marie de Cannes s’insurge contre la politique pénale du gouvernement. Il réclame une augmentation des moyens humains et financiers du système judiciaire français.

Maire de Cannes, David Lisnard est vice-président et porte-parole de l’Association des Maires de France.


Un seul chiffre suffit parfois à rendre compte d’une situation: en France, 45% des peines de prison ferme ne sont toujours pas exécutées six mois après avoir été prononcées.

Et ce ne sont pas les propos du nouveau Garde des Sceaux qui sont de nature à nous rassurer quand il se félicite du «taux d’occupation des prisons historiquement bas» que nous devons à la décision irresponsable de l’ancienne Ministre de la Justice de faire libérer 13 500 détenus sur fond de crise sanitaire dont certains ont déjà récidivé. Quand on sait qu’avant cela la France n’occupait déjà que le 18e rang sur 27 en Europe pour le nombre de prisonniers ramené à la population globale alors même qu’elle obtenait une peu glorieuse 2e place pour les coups et blessures volontaires et les vols ou encore la 7e place pour les tentatives d’homicides, il n’est pas exagéré de parler de laxisme judiciaire dans notre pays.

Un laxisme qui trouve également sa source dans la culture de l’excuse qui prévaut trop souvent chez certains politiques, commentateurs et magistrats pour qui les criminels sont des victimes de la société devant bénéficier de leur mansuétude. Il n’est ainsi pas rare de voir des condamnés sortir libres du tribunal au grand désarroi des vraies victimes qui subissent là une sorte de double peine.

L’ancienne Ministre de la Justice a fait libérer 13 500 détenus sur fond de crise sanitaire dont certains ont déjà récidivé

Encore plus nombreux sont ceux qui sont immédiatement relâchés après avoir été interpellés par la police pour être de nouveau arrêtés dans les jours qui suivent par les mêmes policiers, pour des faits similaires. Le sentiment d’impunité qui en découle est destructeur pour la société. L’arrestation devient presque un jeu pour des délinquants qui s’amusent à défier des forces de l’ordre désavouées, parfois découragées et ne se sentant plus respectées alors même qu’elles doivent lutter contre une insécurité de plus en plus prégnante.

Agressions, rixes, violences gratuites, multiplication des attaques au couteau, fusillades en plein jour: au-delà des statistiques, l’insécurité est en effet visible au quotidien dans nos rues, dans chaque ville et non plus seulement dans ce que certains nomment avec toujours ce même goût prononcé pour l’euphémisme, les fameux «quartiers sensibles».

À ce titre, si le discours tenu par le chef du gouvernement lors de son récent déplacement à Nice semble enfin donner le sentiment d’une prise de conscience de la situation à laquelle nous sommes confrontés, seuls des actes méthodiques seront de nature à produire les résultats attendus pour faire baisser les statistiques alarmantes de la délinquance et de la criminalité: +22% d’homicides et +35% de coups et blessures volontaires depuis 2011!

Ces actes, nous les attendons bien évidemment de la part du ministère de l’Intérieur avec des moyens renforcés, des effectifs supplémentaires, des équipements modernisés ou bien encore des compétences élargies pour les polices municipales et une volonté réelle de faire respecter l’autorité de l’État sur chaque parcelle du territoire national mais c’est toute la chaîne de responsabilité pénale qui est concernée.

En effet, rien ne sera possible sans un changement radical de la politique pénale actuelle qui poursuit un mouvement entamé il y a une dizaine d’années avec la loi n°2009-1436 pénitentiaire du 24 novembre 2009 facilitant la possibilité pour le juge d’application des peines d’aménager une condamnation inférieure à deux années de prison ferme, puis la circulaire de septembre 2012 demandant à ce que «les modalités d’exécution des peines d’emprisonnement tiennent compte de l’état de surpeuplement des établissements pénitentiaires».

Il est temps de s’attaquer sérieusement à la lenteur et à la complexité des procédures qui empêchent un bon fonctionnement de notre Justice.

Ainsi, a été prise la décision inconséquente d’adapter la politique pénale au nombre de places de prison disponibles en faisant de la gestion de la pénurie une spécialité française au même titre que pour les masques et les tests en pleine crise sanitaire. Quand le candidat Macron promettait la création de 15 000 places de prison, ramenées à 7 000 en 2018 par la Garde des Sceaux de l’époque, on se demande à présent combien auront été inaugurées à la fin du quinquennat alors qu’il en faudrait 20 000 supplémentaires. Et ce n’est pas l’annonce d’un nouveau centre pénitentiaire de 650 places à Nice qui résoudra le problème.

Une autre annonce a été faite lors du déplacement dans les Alpes-Maritimes concernant la généralisation de l’amende forfaitaire pour les délits de stupéfiant. Si l’intention est bonne, il va falloir, pour qu’elle soit effective, améliorer considérablement le taux de recouvrement des amendes. Elles sont, selon les dernières données connues datant de 2016 de 16% pour les escroqueries, 25% pour les vols et 23% pour les stupéfiants! Ces chiffres sont là pour nous rappeler qu’il est temps de s’attaquer sérieusement à la lenteur et à la complexité des procédures qui empêchent un bon fonctionnement de notre Justice, sérieusement handicapée par un budget qui n’est pas à la hauteur des enjeux, avec une dépense par habitant de 66€ contre 122€ en Allemagne.

Augmenter les moyens humains et financiers de notre système judiciaire est nécessaire mais ne sera pas suffisant si dans le même temps, on ne décide pas d’appliquer le principe «une infraction-une sanction» qui doit être instauré dès les plus petites incivilités du quotidien qui nous exaspèrent. Il ne faut plus tergiverser. Il faut sanctionner. Et il faut surtout faire appliquer la sanction. Du tag sauvage au crime le plus épouvantable, la police doit intervenir et la Justice doit punir. Cela passe par la réinstauration des peines-plancher notamment pour les récidivistes, par une justice des mineurs adaptée à notre époque ou encore la suppression des réductions de peine automatiques.

En matière de justice, comme de police, il ne s’agit pas de répondre au coup par coup à une situation locale mais bien de mettre en œuvre une politique nationale sérieuse et cohérente.

David Lisnard: «Le sentiment d’impunité est destructeur pour la société française»

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16 commentaires
  • Virgile

    le

    Impunités et conséquences,,,

  • Mouf11

    le

    Pas "sentiment " : réalité !

  • Kiwala xxxxx

    le

    Ce sentiment d'impunité est destructeur non seulement de notre société, mais de notre jeunesse, qui finit par s'y perdre un peu et par ne plus trop faire la différence entre ce qui est "interdit" ou "obligatoire" et ce qui est "au choix" de chacun... Nous le voyons notamment dans le discours sur le port du masque... qui, en n'usant toujours que des termes "recommandé" ou "conseillé", n'atteint pas du tout sa cible.
    Avec, pour résultat paradoxal et assez regrettable, qu'on peut dire aujourd'hui 1/ que le masque est "altruiste" et, donc, protège les autres d'un virus potentiellement mortel pour eux, et 2/ que j'ai le choix de le porter ou non, soit : j'ai le choix de représenter pour autrui un risque potentiellement mortel pour lui... Assez effarant, non ? Et cela fait écho, encore, au fameux titre de livre "Génération J'ai le droit", de Barbara Lefebvre, qui avait en son temps plutôt bien nommé les choses. Certains, notamment parmi les jeunes générations, semblent ne même plus pouvoir supporter d'avoir des "obligations", de devoir se soumettre à des "interdictions", et finissent par se sentir "victimes" quand l'autorité les sanctionne à juste titre ! L'impunité n'est que la traduction pénale d'une incapacité de notre monde d'adulte d'aujourd'hui à instruire nos jeunes de leurs droits ET DEVOIRS. Mot qui semble leur être de plus en plus étranger.

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