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L’Amazonie brûle en silence

Les incendies ne ravagent pas que la Californie. Cet été, ils ont été particulièrement virulents dans la forêt amazonienne. Où la sécheresse intense étend et aggrave les départs de feux lancés par des groupes illégaux

Amazonie, le 23 août 2020. — © Andre Penner/AP Photo
Amazonie, le 23 août 2020. — © Andre Penner/AP Photo

Pendant que le monde se demande comment survivre à la pandémie de Covid, le poumon de la Terre se consume. Sur la carte mise à jourpar l’Institut national brésilien de recherches spatiales (INPE), l’Amazonie est couverte de petites croix rouges, qui représentent les départs de feux. Ceux-ci ont été particulièrement nombreux tout le long de l’été. L’équivalent de deux terrains de football sont déforestés chaque minute.

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Une plongée dans les chiffres de l’INPE permet d’évaluer l’ampleur des dégâts. Entre le 1er et le 31 août, 29 307 incendies ont été recensés par les satellites de l’institution. C’est à peine moins que ce même mois l’année dernière (30 900), mais beaucoup plus qu’en août 2018 (10 000). Et cela n’est pas près de s’arrêter: là-bas, la saison chaude s’étend du mois de juillet au mois de décembre.

Les incendies s’étendent dans toute la forêt tropicale, y compris dans les parcs naturels protégés comme Flona Do Jamanxim, situé dans l’Etat brésilien du Para. Selon l’INPE, 36 incendies y avaient lieu hier, ravageant un précieux écosystème composé d’arbres géants comme les Dinizia excelsa, et faisant fuir les espèces animales protégées comme les singes araignées à ventre blanc, ou les curieux tamanoirs.

Réchauffement climatique

En Amazonie, les feux ne se déclenchent jamais spontanément, explique Jean-Baptiste Filippi, qui coordonne le programme d’évaluation des risques d’incendie FireCaster, au Centre national français pour la recherche scientifique (CNRS) et à l’Université de Corse. «Les incendies sont déclenchés dans le cadre de la culture sur brûlis, qui consiste à mettre le feu aux terres afin de les préparer pour les pâturages, explique-t-il. S’ajoute à cela le réchauffement climatique, qui aggrave et étend les incendies illégaux.» Au final, la forêt est prise dans un cercle vicieux, comme le montre une étude parue récemment dans Global Change Biology.

D’ordinaire, les précipitations étaient suffisantes pour empêcher que la forêt tropicale ne se consume en bordure des zones brûlées. Mais des épisodes intenses de sécheresse de plusieurs semaines, qui ont eu lieu au mois d’août, ont rendu ces zones combustibles. Les feux ne se concentrent plus à un seul endroit, et gagnent du terrain. «Dans le delta du Parana, ajoute Jean-Baptiste Filippi, le fleuve est actuellement à moins d'un mètre de hauteur, alors que d’ordinaire à cette époque il est à un centimètre au-dessus du niveau de la mer.»

Minage illégal

Les associations de défense de l’environnement s’inquiètent aussi de l’augmentation des feux sur les terres indigènes, où ils ont augmenté de 77% en juillet 2020, par rapport au même mois de l’année dernière. «Ces territoires sont envahis de groupes illégaux de chercheurs d’or et de trafiquants de bois, déclare Marcio Astrini, secrétaire exécutif de l’Observatoire du climat. Et ces envahisseurs sont soutenus par le gouvernement.»

Face à ces incendies, Jair Bolsonaro semble en effet bien peu mobilisé. Malgré les déclarations de son gouvernement, qui soutient que les incendies se déclenchent dans des zones déjà déforestées, l’Institut de recherches environnementales de l’Amazonie (IPAM) a montré qu’en 2019, un tiers des incendies s’était déclaré dans des régions nouvellement déboisées. Au mois de juillet, le président brésilien a certes annoncé une interdiction des feux de 120 jours. Mais «il y a peu de preuves que ce moratoire a eu un impact», relève Douglas Morton, chef du Laboratoire des sciences de la biosphère de la NASA, qui dispose d’un nouvel outil de monitoring.

Carbone et pollution

Quel impact ont ces incendies? A l’échelle locale, d’abord, les fumées pèsent sur la santé des habitants. En 2019, près de 3000 personnes dans la région ont souffert de problèmes respiratoires graves, révèle une étude inédite menée par plusieurs ONG, dont Human Rights Watch. Un tiers étaient des nourrissons.

D’autre part, si la déforestation se prolonge, l’Amazonie pourrait arrêter de jouer son rôle de puits de carbone, comme l’expliquaient des chercheurs dansScience. «Mais ce n’est pas encore le cas», rassure Jean-Baptiste Filippi. Et il y a même mieux: selon l’INPE, les incendies en Amazonie étaient beaucoup plus nombreux au début des années 2000 qu’aujourd’hui. 218 000 feux y ont eu lieu en 2004, montre ce graphique, contre quelque 89 000 en 2019. Voilà qui donne de l’espoir.