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"Je n’ai pas pleuré Charlie" : Danièle Obono refait l'histoire de son billet de blog du 11 janvier 2015
Capture d'écran BFMTV

"Je n’ai pas pleuré Charlie" : Danièle Obono refait l'histoire de son billet de blog du 11 janvier 2015

Charlie Hebdo

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Danièle Obono était invitée de BFM ce mercredi. Elle est revenue sur sa non-participation à la manifestation du 11 janvier 2015 en soutien à "Charlie". Des explications qui ne coïncident pas totalement avec le contenu d'un billet de blog qu'elle avait publié à l'époque...

"Moi je n'ai pas réussi à résoudre ce dilemme à ce moment-là." Ce mercredi 2 septembre, jour de l'ouverture du procès des attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher, la députée de la France insoumise Danièle Obono, récemment prise pour cible dans une fiction raciste de l'hebdomadaire Valeurs actuelles, a été invitée sur BFMTV à expliquer pourquoi elle avait écrit dans un billet de blog, en janvier 2015, ne pas avoir "pleuré Charlie". L'occasion, pour la militante antiraciste radicale, d'adoucir son propos. Car à l'époque, de "dilemme", il semblait y en avoir beaucoup moins. La manifestation républicaine du 11 janvier était qualifiée de "véritable 'manif pour tou-te-s'" et l'"injonction" à "être Charlie" était, elle, considérée par Obono comme "omniprésente et omnipotente".

"Moi je n'ai pas réussi à concilier ce moment de traumatisme et l'appel à aller marcher au pas derrière les pires dictateurs de la planète en même temps que ça. Je n'ai pas réussi à faire ce choix manichéen, binaire, d'être ou de ne pas être Charlie", avance ce mercredi 2 septembre la députée LFI. Pourtant, à la (re)lecture du texte de 2015, on ne peut réduire les écrits de Danièle Obono à la retenue d'une amoureuse des droits de l'homme - droits de l'homme que le froid assassinat de douze personnes avait au moins aussi nettement bafoué que la présence, parmi les millions de personnes défilant dans les rues le 11 janvier, de chefs d'Etats effectivement autocratiques.

"Caricatures racistes"

"Si être Charlie, c'est défendre la liberté d'expression, c'est défendre le débat démocratique, c'est défendre la liberté de critique, mais bien sûr, j'en suis", déclare Danièle Obono ce mercredi. Laquelle fait toutefois passer son texte pour ce qu'il n'est pas, à savoir une critique légitime de ceux qui s'abritent derrière les attaques terroristes pour donner libre cours à un discours haineux. La députée affirme ainsi sur BFMTV : "Si être Charlie, c'est devoir être aux côtés de gens qui eux-mêmes piétinent la liberté d'expression, c'est se présenter comme des censeurs (...) qui, au nom de 'Je suis Charlie', passent leurs journées sur les réseaux sociaux à harceler (...). C'est les mêmes gens qui brandissent le 'Je suis Charlie' qui font ça depuis cinq ans. Donc oui, c'est une contradiction, et moi j'ai essayé d'exprimer cette contradiction." Une contradiction dont on a pu trouver de trop nombreux exemples depuis 2015, mais très loin d'être majoritaire, ou même significative, au moment de la rédaction du texte de Danièle Obono, alors que, quatre jours après l'attaque de Charlie, le 11 janvier 2015, l'heure était plutôt à l'affirmation d'une unité nationale dépassant les différences religieuses.

Alors pourquoi avoir pris la plume en cette journée ? "J'ai écrit ce texte parce que j'avais besoin d'écrire un texte, parce que je suis un être humain, parce qu'aujourd'hui je dois expliquer devant les millions de personnes qui écoutent que je suis comme tous les autres êtres humains : j'ai été dévastée par ce crime atroce, que ça remue en moi un certain nombre de réflexions dont je fais part dans ce texte", assure-t-elle. "Je ne parle que de ça : de la mort, de ces morts, de mes morts à moi, en tant que militante, de toutes les déchirures que j'ai pu connaître, et qui reviennent à ce moment-là", affirme-t-elle. On a tous pleuré ces morts, je parle des personnes."

Car Danièle Obono maintient sa réserve : "Charlie, c'est autre chose, c'est une histoire, y compris une histoire militante." Réserve déjà exprimée en 2015 à l'encontre de l'hebdomadaire satirique, et de manière plus directe : celle qui était alors membre du Front de gauche écrivait avoir pleuré "en faisant [s]a correspondance sans [s]’arrêter à République où se trouvaient déjà certainement de nombreux autres camarades". Et de poursuivre : "Je les aurais rejoins. Comme ce 21 avril, il y a 13 ans. Mais plus maintenant. Plus maintenant. Parce que, entre autres, Charlie, justement..." Comme si la participation à la marche du 11 janvier avait valu adhésion totale à la ligne éditoriale de Charlie Hebdo, comme s'il ne s'agissait pas non plus de défendre la liberté d'expression, de faire preuve de compassion envers les proches des victimes et de la solidarité du peuple français dans son entièreté contre le terrorisme.

Dans sa note de blog publiée le 11 janvier, Danièle Obono s'attachait, surtout, à dénoncer un deux poids deux mesures entre le soutien quasi unanime à Charlie Hebdo et l'appui jugé insuffisant aux luttes antiracistes. Elle écrivait, non sans provocation, avoir pleuré "toutes les fois où des camarades ont défendu, mordicus, les caricatures racistes de Charlie Hebdo ou les propos de Caroline Fourest au nom de la 'liberté d’expression' (des Blanc-he-s/dominant-e-s) ou de la laïcité 'à la Française'" alors qu'ils se "taisaient opportunément quand l’Etat s’est attaqué à Dieudonné, voire ont appelé et soutenu sa censure..."

"J'ai pleuré, un peu"

S'il était bien question de compassion, celle-ci était exprimée du bout des lèvres : "J’ai pleuré, un peu, jeudi. (8 janvier, lendemain de l'attentat de Charlie, ndlr.) En pensant aux 12 personnes mortes. Aux centaines d’autres qui ne seront pas pleuré-e-s. Aux flambées d’amalgames, d’attaques, d’insultes, d’humiliations, de violences et aux difficiles batailles à venir." "Un peu", car le gros des larmes de Danièle Obono n'allait pas alors seulement aux victimes : "J’ai pleuré la solitude immense, le sentiment d’avoir perdu, encore un peu plus, peut-être définitivement, ma gauche. J’ai pleuré, un peu, beaucoup, dans la nuit de samedi à dimanche (du 10 au 11 janvier, jour de la manifestation de soutien, ndlr.) Entourée des quelques ami-e-s et camarades avec qui nous formons désormais une nouvelle minorité (...)."

"Minorité" de ceux qui n'étaient donc pas Charlie. Mais Danièle Obono pleure aussi "en pensant aux ami-e-s et aux camarades qui sont devenu-e-s Charlie". "J'ai pleuré. (...) en ressentant l’insupportable violence politique, idéologique, symbolique de l’omniprésente et omnipotente injonction. En lisant la liste interminable des terroristes venu-e-s des quatre coins de la planète et derrière lesquel-le-s allaient défiler ces Charlie. En pensant à l’Enfer pavé de bonnes intentions. A l’ 'humanisme compassionnel' et les 'bons sentiments' comme justifications de l’action politique", écrit-elle.

Plus qu'à Charlie, les larmes de Danièle Obono s'adressaient surtout à ses propres combats militants : "A toutes les jeunes filles exclues (ou poussées vers la sortie) de l’école, du parti, des manifs. Humiliées, insultées, sans recevoir notre soutien ni notre solidarité majoritaires. (...) A toutes les fois où ma gauche s’est refusée de parler d’islamophobie, de ne serait-ce que prononcer le mot. Toutes les fois où elle s’est refusée à se mobiliser contre les lois islamophobes. Toutes les fois où des 'camarades' nous ont sommé-e-s, nous les 'islamo-gauchistes', de montrer patte blanche et d’affirmer avant toute autre chose que nous luttions bien contre l’antisémitisme."

La future représentante de la nation pleurait aussi pour elle : "J’ai pleuré en me rappelant le jour où je suis devenue Noire. Et celui où je suis devenue 'intersectionnelle'. La première fois que j’ai été face à face avec le racisme et les privilèges de Blanc-he-s de celles et ceux que je considérais dans leur majorité comme mes 'camarades'. L’instant où je me suis rendue compte qu’il y avait bien un 'eux' et un 'nous' et que j’étais aussi 'eux', ces 'Autres', et pas tout le temps 'nous'." C'était le 11 janvier 2015.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne