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La rentrée scolaire, un rêve inaccessible pour des millions d’Africains

A l’instar du Kenya ou du Rwanda, de nombreux pays ne rouvriront pas leurs écoles à cause du Covid-19. L’OMS s’en inquiète

La directrice adjointe d'une école pour filles dans le bidonville de Kibeira, à Nairobi, dans une classe désespérément vide le 7 août 2020. Les autorités ont décidé de tirer un trait sur l'année scolaire qui devait se terminer en octobre. — © Tony Karumba/AFP
La directrice adjointe d'une école pour filles dans le bidonville de Kibeira, à Nairobi, dans une classe désespérément vide le 7 août 2020. Les autorités ont décidé de tirer un trait sur l'année scolaire qui devait se terminer en octobre. — © Tony Karumba/AFP

Les 17 millions d’élèves kényans du primaire et du secondaire ne retourneront pas à l’école cette année. Durant l’été, le gouvernement a décidé de tirer un trait sur l’année scolaire 2020, qui aurait dû se terminer en octobre. A cause de la pandémie du Covid-19, 34 000 cas confirmés et 577 morts à ce jour au Kenya, les écoles ne rouvriront qu’en janvier prochain, après les vacances scolaires. Conséquence: tous les élèves redoubleront, a tranché le Ministère de l’éducation.

Cette décision radicale vise à remettre les élèves sur un pied d’égalité pour l’an prochain, justifient les autorités, car beaucoup d’entre eux n’ont pas eu accès à l’enseignement à distance. Mais de nombreux élèves défavorisés, qui n’ont eu aucun contact avec leurs enseignants depuis des mois et ont été privés des repas fournis par les écoles, ont dû se débrouiller autrement. Il est à craindre qu’ils ne reviennent jamais en cours. Les écoles privées, dans lesquelles sont scolarisés un quart des Kényans, sont en situation périlleuse. Certaines ont continué l’enseignement à distance. Les autres auront-elles les reins assez solides après une année scolaire presque sans rentrée financière, alors qu’elles se sont engagées à rembourser les frais d’écolage?

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En faisant redoubler tous ses élèves, le Kenya est une exception. Mais de nombreux pays africains n’ont pas rouvert leurs écoles, comme le Rwanda qui vient de renoncer à la rentrée de septembre, face à la recrudescence des cas de Covid-19. Selon un pointage réalisé par le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le 20 août dernier, les écoles n’avaient complètement rouvert que dans une minorité de pays d’Afrique subsaharienne.

Mesures drastiques

Longtemps épargnés par la pandémie de Covid-19, les pays africains ont été très rapides à décider de mesures de confinement, parfois dès les premiers cas. Au Kenya, les écoles sont fermées depuis le 15 mars, comme en Suisse, deux jours après que le premier cas a été signalé, une Kényane revenant des Etats-Unis.

Même si l’Afrique reste peu touchée par la pandémie, le pic des contaminations est encore loin d’être atteint. Ce printemps, de nombreux pays ont pris des mesures drastiques, allant jusqu’à confiner leur population. Vu le manque de protection sociale et la part de l’économie informelle, ces remèdes, s’ils ont freiné la pandémie, se sont avérés insoutenables. Les confinements ont donc été rapidement levés, contrairement aux écoles restées fermées un peu partout sur le continent.

Aujourd’hui, même l’OMS, pourtant très prudente sur l’évolution de la pandémie en Afrique, recommande la réouverture des établissements scolaires. «Les écoles ont ouvert la voie vers la réussite pour de nombreux Africains. Elles constituent également un espace sûr où de nombreux enfants en situation difficile peuvent se développer et s’épanouir», déclarait le 20 août dernier Matshidiso Moeti, directrice régionale de l’OMS pour l’Afrique.

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«Tout comme les pays ouvrent des entreprises en toute sécurité, nous pouvons rouvrir les écoles, plaidait-elle. Cette décision doit être guidée par une analyse approfondie des risques afin de garantir la sécurité des enfants, des enseignants et des parents, et par des mesures clés telles que la distanciation physique.»

L’OMS recommande d’échelonner le début et la fin de la journée scolaire, afin d’éviter les rassemblements aux abords des écoles, l’espacement entre les bureaux, le port de masques et le lavage des mains. Une gageure, reconnaît l’OMS, car des millions d’enfants fréquentent des écoles qui manquent d’eau, d’installations sanitaires et de services d’hygiène. En Afrique subsaharienne, moins de la moitié des écoles ont accès à l’eau potable.

Un défi de plus

La crise du Covid-19 risque de remettre en question les progrès de l’Afrique en termes d’éducation. Le continent était pourtant sur la bonne voie. En 2015, 80% des enfants africains étaient scolarisés en primaire, contre 64% au tournant du siècle. Ces progrès cachent d’importantes disparités, notamment au détriment des filles. En 2015, l’Afrique hébergeait la majorité des enfants déscolarisés dans le monde. Le Covid-19 s’ajoute aux immenses défis des écoles africaines, qui seront amenées ces prochaines décennies à former de plus en plus d’élèves, vu l’essor démographique du continent.

Le risque d’une génération covid perdue

L’interruption de la scolarisation et le recul des dépenses dans l’éducation à l’échelle mondiale préoccupent. 275 leaders mondiaux tirent la sonnette d’alarme pour éviter que 300 millions d’enfants ne retournent plus à l’école

La génération Covid-19. 275 anciens présidents et premiers ministres, économistes et spécialistes de l’éducation tirent la sonnette d’alarme dans une lettre adressée à la mi-août aux pays du G20, aux gouvernements nationaux et aux institutions financières internationales.

En raison de la pandémie, 30 millions d’enfants pourraient ne plus retourner à l’école sur les 260 millions qui ont dû interrompre leur cursus scolaire. «La crise de santé publique [actuelle] va créer une génération covid moins formée, dont les opportunités seront à tout jamais réduites», soulignent les auteurs de la lettre. Parmi eux, Mary Robinson, ex-haut-commissaire aux droits de l’homme, Ban Ki-moon, ex-patron de l’ONU, Helen Clark et Gordon Brown, ex-premiers-ministres de Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni. «Nous appelons, ajoutent-ils, le G20, le FMI, la Banque mondiale, les banques de développement régionales et tous les pays à reconnaître l’ampleur de la crise.»

La crainte concerne en premier lieu le financement de l’éducation. A en croire la Banque mondiale, pour les douze mois à venir, les dépenses globales dans l’éducation dans les pays à faible et moyen revenu pourraient diminuer de 100, voire 150 milliards de dollars. Or l’éducation, en particulier dans les pays les moins bien lotis, est souvent la seule voie de sortie de la pauvreté. Pour les jeunes filles par exemple, elle est un rempart face aux mariages forcés et une chance pour une vie plus autonome. Le recul des dépenses dans ce domaine est susceptible de faire replonger des enfants dans le travail forcé.

Le recul de l’éducation pour des centaines de millions d’enfants aura aussi un coût économique considérable. Selon la Banque mondiale, le manque de scolarisation dû notamment au covid pourrait engendrer à long terme des pertes de productivité se chiffrant jusqu’à 10 000 milliards de dollars à l’échelle mondiale. Le problème préexistait toutefois à la pandémie. Plus de 800 millions d’enfants quittent la scolarité sans véritables qualifications. Stéphane Bussard