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Balance Ton Stage, l'initiative étudiante qui lève le voile sur le sexisme subi par les stagiaires

Des témoignages édifiants relayés sur leur compte Instagram, un Petit Manuel du Sexisme en Entreprise, des ateliers de formation à destination des étudiants : Balance ton Stage agit face au sexisme à l'encontre des stagiaires.

23 % des étudiants sondés par Balance ton Stage ont été victimes d'outrages sexistes lors de leur stage de première année
23 % des étudiants sondés par Balance ton Stage ont été victimes d'outrages sexistes lors de leur stage de première année (Illustration : Elea Molmeret)

Par Ariane Blanchet

Publié le 3 sept. 2020 à 10:28Mis à jour le 3 sept. 2020 à 14:41

« Si tu veux réussir en finance il va falloir sucer ». « Pense à la planète, ne mets pas de clim et enlève ton t-shirt ». « Si tu continues, je vais t'en mettre une et ce soir tu pourras aller voir la police pour aller te plaindre ». Ces témoignages, relayés sur la page Instagram @BalanceTonStage sont ceux d'outrages sexistes dont ont été victimes des stagiaires en entreprise.

Derrière Balance ton Stage se trouvent trois étudiants de troisième année d'école de commerce à l'EM Lyon : Agathe, Camille et Simon. Camille raconte comment l'idée du compte est née d'une expérience personnelle : « Ma première expérience de stagiaire m'a confrontée au sexisme ordinaire en entreprise. Dans cette petite structure réunissant un manager, une commerciale et deux stagiaires (Agathe et moi), l'ambiance était familiale, décontractée. Au sein des discussions, la frontière entre les sphères professionnelle et personnelle était floue. Aux remarques déplacées sur la vie intime s'ajoutaient des discours stéréotypés sur la façon de travailler des femmes. Bref, du sexisme ordinaire. »

En dépit de ses principes féministes, Camille a d'abord laissé couler. Personne ne l'avait préparée à identifier ces comportements sexistes dans le monde nouveau pour elle de l'entreprise, ni à s'en protéger.

« Les propos sexistes se sont multipliés et ma colère avec, mais j'étais enfermée dans une escalade d'engagement : quand on laisse passer une fois, difficile de mettre un stop. »

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Dans son Petit manuel du sexisme en entreprise, Balance ton stage décrypte l'engrenage du sexisme.

Dans son Petit manuel du sexisme en entreprise, Balance ton stage décrypte l'engrenage du sexisme.Illustration : Elea Molmeret

De retour sur le campus, les étudiantes alertent le service des stages dans le but de blacklister l'entreprise concernée. L'administration leur suggère plutôt de monter un projet autour de la sensibilisation au sexisme pendant l'expérience du stage : Agathe, Camille et Simon acceptent et commencent par un état des lieux des violences sexistes à l'encontre des étudiantes stagiaires de l'école.

Les résultats des sondages lancés à la promo sont édifiants : sur les 170 étudiants ayant répondu au sondage, 23 % ont été victimes d'outrages sexuels lors de leur stage de première année ; 43 % en ont été témoins. Aucune des victimes n'a porté plainte et seuls 5 % ont remonté les faits à l'EM Lyon. Une victime sur trois n'en a parlé à personne, ni même à sa famille et proches.

La diffusion de l'enquête a pour effet de libérer la parole : de longs témoignages venant de toute part affluent auprès des trois enquêteurs : étudiantes à l'université, en écoles d'ingénieur et de commerce, à Sciences Po, qui ont réalisé leur stage au sein de grands groupes ou de petites structures.

Une libération de la parole qui motive Agathe, Camille et Simon à lancer une page Instagram pour aller plus loin que le simple projet étudiant et sensibiliser plus largement. Lancée le 26 juillet 2020, @BalanceTonStage compte déjà 2.400 abonnés.

Ici pas de « name and shame » : « Avec ce compte, on souhaite en premier lieu enclencher un éveil des consciences », assume Agathe, pour qui le principe de dénonciation façon #BalanceTonPorc est difficilement reproductible dans le cas des stagiaires.

Et pour cause, la plupart des victimes souhaitent garder l'anonymat de peur de mettre leur carrière professionnelle à peine engagée en péril. Cela s'explique particulièrement par le caractère fragile du statut de stagiaire ainsi que par leur position hiérarchique (inférieure dans 85 % des cas étudiés à l'EM Lyon).

« C'était mon premier stage, je savais pas comment réagir à tout ça, et donc j'en ai jamais parlé. En fait tu sais qu'il a pas le droit de faire ça, mais t'as pas du tout envie d'en parler. Et donc pendant un mois j'en ai parlé à personne », témoigne une étudiante. Une autre d'ajouter : « Je me suis dit que personne n'allait comprendre pourquoi je chercherai un autre stage, que tout le monde penserait que j'exagère. »

Un manuel de prévention et des formations à destination des étudiants

Pour le moment, les entreprises au sein desquelles se sont produits des outrages sexistes ne sont donc pas inquiétées. Les fondateurs de Balance ton Stage préfèrent se positionner sur le terrain de la prévention. Le trio vient de publier son Petit manuel du sexisme en entreprise, illustré par Elea Molmeret, en lien gratuit et accessible à tous !

Ce guide de 59 pages, destiné en particulier aux stagiaires, apprend à identifier les situations de sexisme, décortique les mécanismes à l'oeuvre (notamment les facteurs qui favorisent ces situations au sein des entreprises), et donne les clés nécessaires pour s'en protéger et les dénoncer.

Parmi les enseignements du guide, un décryptage du cas particulier du sexisme en entreprise

Parmi les enseignements du guide, un décryptage du cas particulier du sexisme en entrepriseGuide du Petit Manuel en Entreprise - Balance ton Stage

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Rappelons que depuis le premier janvier 2019, toute entreprise de plus de 250 salariés a l'obligation d'avoir un référent chargé d'orienter, informer et accompagner les salariés en matière de sexisme. Encore faut-il que les collaborateurs se sentent suffisamment en confiance pour leur parler.

Et après ?

La prochaine étape pour les trois étudiants : des cours co-construits avec Ekiwork, cabinet de formation spécialisé dans la prévention du sexisme au travail, et destinés aux étudiants et étudiantes de première année à l'EM Lyon. A l'avenir, les étudiants seront formés à former afin de lancer un projet pérenne de formation.

Les séances se veulent interactives, utilisant par exemple le théâtre d'improvisation pour mettre en scène des situations dont ont été réellement victimes les étudiantes. Balance ton Stage espère que l'administration acceptera de débloquer un budget - il est question de plus de 10.000 euros - pour cette formation, ce qui représenterait une initiative inédite de la part d'une grande école dans la lutte contre le sexisme.

Les fondateurs de Balance ton Stage espèrent aussi un changement structurel au sein des universités et des écoles. Ils rappellent qu'un stage doit se soumettre aux règles des chartes éthiques que les établissements éditent et qu'elles ont parfois du mal à faire respecter, si l'on en croit le dernier rapport du Haut Conseil à l'Egalité entre les femmes et les hommes (HCE).

Selon eux, ce changement passera par des cours de prévention aux violences sexistes en entreprise, mais aussi par l'intégration au sein des conventions de stage d'une clause qui interdit tout outrage sexiste durant le stage. Cela permettrait d'inciter les étudiants à alerter leur administration d'une situation sexiste qui pourrait ensuite blacklister de façon plus systématique les offres de stages concernées. Pour l'après agression, Balance ton Stage plaide pour un développement des cellules psychologiques au sein des campus.

« A l'EM Lyon, l'initiative de sondage et de récolte des témoignages a obtenu un consensus total parmi les étudiants. L'administration a été à l'écoute. Mais il faut maintenant que ça se concrétise », conclut Camille.

Ariane BLANCHET

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