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Xavier Gorce : "Les autres journaux devraient être plus déterminés dans le soutien à Charlie"

INTERVIEW - Alors que s’ouvre aujourd’hui le procès des attentats de janvier 2015, Charlie Hebdo vient de republier, en première page, les dessins caricaturant le prophète Mahomet. Le dessinateur du Monde Xavier Gorce, qui souligne chaque jour nos absurdités par l’entremise de ses pingouins, appelle à les soutenir et à ne pas abandonner l'irrévérence.

Louis de Briant , Mis à jour le
Le dessinateur fait paraître ses pingouins givrés dans le quotidien du soir depuis 2005.
Le dessinateur fait paraître ses pingouins givrés dans le quotidien du soir depuis 2005. © Romane Gorce

Charlie Hebdo a pris cette semaine la décision de publier à nouveau les caricatures de Mahomet pour lesquelles le journal avait été victime des djihadistes. À cette occasion, le dessinateur Xavier Gorce a accordé une interview au JDD : il évoque la liberté contrariée des dessinateurs de presse face aux réseaux sociaux et son corollaire, l’auto-censure.

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Quinze ans après, Charlie Hebdo a-t-il eu raison de republier ces caricatures?
C’est leur choix, c’est pour montrer qu’ils ne se laissent pas intimider par ce qui s’est passé. C’est extrêmement courageux. C’est un peu difficile de dire qu'ils ont bien fait car je ne prends pas de risques en disant ça, ce sont eux qui les prennent. Il y a un côté un peu facile d’être en tribune quand les gens sont dans l’arène et de dire "bravo", mais je le fais quand même.

D’après vous, les dessinateurs sont-ils davantage soutenus depuis les attentats de janvier 2015?
Je pense que les autres journaux devraient être plus déterminés dans le soutien à Charlie Hebdo. Ce qui avait été reproché, à l’époque des dessins de Mahomet, c’est qu’ils se sont retrouvés un peu seuls, peu d’autres titres de presse soutenaient l’initiative. Ils auraient été moins mis en danger si d’autres journaux avaient publié massivement ces dessins. Peut-être aujourd'hui, avec leur nouvelle publication de une, ce serait bien que d’autres journaux publient les dessins de Charlie Hebdo pour montrer qu’on fait corps.

Lire aussi : Attentats de "Charlie Hebdo" et de l'Hyper Cacher : voici les enjeux du procès qui commence

Y a-t-il des thèmes que vous vous interdisez?
Je ne m’interdis pas de thème : dans mes dessins, je traite effectivement des questions religieuses mais je les aborde d’une autre façon. Mon type de dessin n’est pas dans cet esprit-là, je suis dans le décalage à travers mes personnages de pingouins. J’attaque plutôt les religions sur leur impact en terme social, sociétal, mais pas en attaquant directement les symboles.

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Il y a des gens qui sont imperméables à l’humour, au décalage

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Pour le ressort comique, cela fonctionne mieux?
Oui parce qu’il me faut quelque chose à raconter, une histoire à raconter et juste représenter le Prophète, ça ne rentre pas dans le cadre de mes dessins. Je n’ai pas non plus envie de représenter le Prophète parce qu’on nous dit qu’il ne faut pas représenter le Prophète. Il y a quelque chose qui ne colle pas dans le style d’humour que je pratique. Par contre, je fais de l’humour avec des islamistes, des femmes voilées, mais toujours dans une scénarisation avec une saynète, quelque chose en lien avec ce qui se passe dans la société, sur les actes, et pas sur le symbole. 

Tout le monde comprend-il l’absurde sur les réseaux sociaux?
Je pense que tout le monde ne le comprend pas ; des gens sont imperméables à l’humour, au décalage. L’humour, c’est un code, donc il faut que lecteur et récepteur partagent ce même type de langage. Certains dessins sont donc compris de façon totalement erronée, et puis il y a des gens qui s'emploient à ce que l’humour ne soit pas compris. À partir du moment où on attaque des idées, on essaye de faire croire qu’on attaque des personnes, et on fait passer pour du racisme des dessins qui attaquent des préceptes religieux. Ça c'est délibéré, et pour d’autres c’est de l’incompréhension du discours et de l’humour. 

Cela existait-il avant les réseaux sociaux?
On n’avait pas de retour avant. Il y a deux problèmes avec les réseaux : d’une part, le dessin ne s’adresse pas au lectorat du journal dans lequel on publie, c’est-à-dire qu’on va toucher des gens qui ne connaissent pas votre travail, qui ne connaissent pas le journal dans lequel vous publiez et qui n’ont donc pas la contextualisation des dessin. Le deuxième aspect, c’est que le dessin peut être facilement décontextualisé, avec des gens qui le surinterprètent,qui le font circuler parmi leurs proches. On se retrouve en butte à des chasses en groupe, en meute, par des gens qui sont à l’Ouest par rapport au dessin lui-même.

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Il faut qu’en trois cases, en une seule case, on ait un raccourci suffisamment bien monté pour que tout d’un coup, il y ait un éclairage sur un dysfonctionnement

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D'après vous, quels sont les sujets particulièrement inflammables?
En général, c’est tout ce qui peut toucher l’aspect communautariste, dès qu’on cible une catégorie de population : c’est très large, cela peut être les enseignants, les Grecs... Dès qu’on fait de l’ironie qui touche une catégorie de la population qui se vit victimisée, on a des réactions très virulentes. 

Voyez-vous votre dessin comme un édito, comme un message?
Il y a plusieurs tonalités, cela dépend du sujet. Moi, ce qui me touche le plus, c’est une observation de la société. Il faut qu’en trois cases, en une seule case, on ait un raccourci suffisamment bien monté pour que tout d’un coup, il y ait un éclairage sur un dysfonctionnement. Et cela passe par l’humour, bien sûr. Si cela fait sourire, c’est qu’il y a un dysfonctionnement. 

L’an passé, vous aviez pris position pour la suppression de l’anonymat sur les réseaux sociaux…
Je ne crois pas que ce soit possible, les réseaux sociaux sont trop installés comme ils le sont avec l'anonymat. Je reconnais l’intérêt qu’il peut y avoir pour certaines personnes de s’exprimer avec un pseudonyme mais la civilité y perd : beaucoup de gens se permettent des propos outranciers, injurieux, insultants, parce qu’ils sont cachés derrière un personnage virtuel. Ce que je préconise comme solution, c’est qu’il serait peut-être possible de recréer un réseau équivalent à Twitter dans lequel ne publieraient que des gens sous leur véritable identité, mais on ne supprimera pas le Twitter des anonymes.

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Le risque, c'est que certaines rédactions se sentent mal à l’aise avec le dessin d’humour et renoncent à l’utiliser à cause de polémiques

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Il y a un an, le New York Times se séparait de l’ensemble de ses dessinateurs. Avez-vous toujours totale liberté dans le choix de vos sujets au Monde?
Pour le moment, j’ai totale liberté donc je ne peux vraiment pas me plaindre d’un manque de liberté. Mes inquiétudes sont plus d’ordre général sur la pression qu’exercent les réseaux sociaux sur certaines rédactions. L’inquiétude qu’ont plusieurs dessinateurs, c’est que certaines rédactions se sentent mal à l’aise avec le dessin d’humour et renoncent à l’utiliser à cause de polémiques. Le risque, c’est celui-là, sans pression directe. Le dessin de presse est un mode d’expression peu confortable à utiliser et que des rédactions timorées pourraient remettre en question. Le caractère prude de certaines rédactions, pour des questions économiques plus qu’idéologiques, fait qu’on renonce à la fin, ce que je trouve dommage.

Pourquoi un dessin est-il moins confortable?
Dans un texte, on a la longueur pour expliquer quelque chose. [...] Un dessin utilise l’humour, la dérision, la satire. Quand on ironise sur des religions, les fondamentalistes se sentent atteints dans leurs croyances. Il faut continuer à critiquer et ne pas se laisser intimider par ça. Sur un plan religieux, si vous estimez que la chose en quoi vous croyez est sacrée et qu’on n’a plus le droit d’en rire, alors on ne peut plus la remettre en question, c’est un obscurantisme qui limite le droit de regard. Cela vaut pour les dictateurs, les tyrans : la première chose qu’ils essayent de brider, c’est l’humour.

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