Delphine Horvilleur, rabbin, philosophe, et nouvelle jurée du Festival de Deauville

La philosophe et rabbin Delphine Horvilleur. ©AFP - Bertrand GUAY
La philosophe et rabbin Delphine Horvilleur. ©AFP - Bertrand GUAY
La philosophe et rabbin Delphine Horvilleur. ©AFP - Bertrand GUAY
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Pour son édition 2020, le Festival du cinéma américain de Deauville affiche un jury éclectique, parmi lequel Delphine Horvilleur, autrice, philosophe et rabbin. Elle est notre invitée pour parler de l'importance du récit et de la puissance des images.

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L'édition 2020 du Festival du cinéma américain de Deauville, qui se tiendra du 4 au 13 septembre, accorde plus de place aux femmes dans son jury, composé de quatre hommes et de cinq femmes. Parmi elles, la présidente du jury Vanessa Paradis, mais aussi, entre autres, Delphine Horvilleur. Cette dernière n'est pas seulement autrice et philosophe avec des ouvrages comme Réflexions sur la question antisémite (Grasset, 2019), mais aussi rabbin. Au micro de Marie Sorbier, elle explique comment son parcours atypique l'a menée jusqu'au jury d'un festival de cinéma américain. 

Raconter des histoires : art partagé du cinéma et de la religion

Dans son dernier essai Comprendre le monde (Bayard, février 2020), Delphine Horvilleur s'interroge sur la place de l'homme dans la société, et la façon dont les récits bibliques lui permettent de s'élever. Est-ce cette importance du récit qui est à l'origine de sa participation au jury du Festival de Deauville ? 

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C'est incontestablement lié à cette réflexion qui nourrit mon travail depuis des années. Dans mon travail de rabbin, j'ai souvent l'occasion d'expérimenter la puissance des récits, la force des histoires qu'on se raconte. Raconter des histoires peut changer nos vies et c'est pour moi le sens de la religion : la capacité de créer des liens entre les temps et les gens, et rien ne marche mieux pour cela que de se raconter des histoires. Ce sont des histoires sacrées qui nous apprennent à vivre, pour nous apprendre ce que le passé a de pertinent pour préparer le futur. Delphine Horvilleur

Transformés par la salle obscure 

Une des histoires qu'elle se plaît à raconter est tirée d'une très vieille histoire talmudique. C'est celle de Rabbi Shimon qui, suite à un long confinement, apprend à poser sur le monde un regard plus apaisé et, selon la légende, à soigner avec les yeux. Changer notre regard sur le monde, le cinéma en est-il aussi capable ?

C'est une très vieille histoire, d'un rabbin qui passe douze ans en confinement dans l'obscurité d'une grotte dont il ne peut sortir. Quand enfin il y échappe, c'est après avoir développé un regard incandescent qui met feu à tout ce qu'il voit. Dans l'obscurité d'un confinement, aussi bien que dans celle d'une salle de cinéma, on rentre dans un autre univers, dont on ne sort pas tel qu'on y était en y rentrant. Il existe donc une possibilité de transformation du regard dans le cinéma. En tout cas, il l'a fait bien souvent dans ma vie. Delphine Horvilleur

Ne figer ni les images, ni les interprétations

Qu'en est-il néanmoins de cette crainte, voire de cet interdite, de la création d'images que l'on associe (souvent de façon trop hâtive) à la religion juive ? Cet interdit biblique a pour justification de prévenir l’idolâtrie et d'éviter l'aliénation de l'homme face aux images. Quelle place cela laisse-t-il au cinéma ? Quel rapport la rabbin entretient-elle avec la puissance des images ? 

Cet interdit de la représentation par l'image, qui n'existe pas uniquement dans la tradition juive, vient raconter le fait que nos traditions religieuses se méfient des images figées, de l'idée qu'on puisse se faire une seule représentation du monde ou du divin qui ne tolérerait aucun autre point de vue, aucun changement de prisme. Je pense que le cinéma est censé garantir l'inverse : parce qu'une image est en mouvement, elle demande a priori à être interprétée par le spectateur. La force d'un bon film est sa part d'implicite, la place très forte qui est donnée à l'interprétation. L'interprétation, c'est ce qui guide ma vie au quotidien : comment ne jamais figer en un seul sens les textes que nous lisons ? Cette réflexion me paraît être un outil politique de lutte contre les fanatismes et les fondamentalismes dont le propre est une vision idolâtre du monde, l'idée que tout a déjà été dit. Delphine Horvilleur

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