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Conseils lecture de Sciences Po : quand l'école fait la promotion de "l'antiracisme" racialiste américain
Dans une liste de lectures d'été adressée à ses étudiants, Sciences Po privilégie les auteurs racialistes américains.
SA HARSIN/SIPA

Conseils lecture de Sciences Po : quand l'école fait la promotion de "l'antiracisme" racialiste américain

American way of life

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La grande école a publié à l'intention de ses étudiants une liste de conseils de lecture pour l'été 2020. La sélection, outrageusement dominée par des ouvrages venus des Etats-Unis, fait la part belle aux thèses racialistes sur le "privilège blanc".

Antichambre de l'élitisme républicain, ou centre de "déconstruction idéologique" pour jeunes esprits progressistes ? On ne sait plus vraiment comment décrire l'Institut d'études politiques de Paris — plus communément appelé Sciences Po, à la vue de la "summer reading list" édition 2020 publiée par l'école de la rue Saint-Guillaume. En 2018, la compilation élaborée par l'équipe éditoriale de Sciences Po était de facture classique, mêlant essais contemporains en vue (Le Capital au XXIe siècle de Thomas Piketty, Sapiens : une brève histoire de l'humanité de Yuval Noah Harari), références de littérature politique (L'Etrange Défaite de Marc Bloch, Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, Pensées de Marc Aurèle) et romans classiques (1984 de George Orwell, Le Monde d'hier de Stefan Zweig, La Peste d'Albert Camus). L'année dernière, l'IEP prenait déjà une inclinaison différente, en mettant les grands noms au placard pour proposer les dernières fictions à la mode et des récits "inspirants" à mi-chemin entre l'autobiographie et le développement personnel.

Ce mois d'août 2020 marque une rupture supplémentaire, puisque Sciences Po a donné une coloration idéologique explicite à ses conseils de lecture. Sur le réseau social Instagram, la vénérable école explique en effet avoir cherché à "célébrer l'engagement, l'action, la diversité et la jeunesse". Ce qui, plus explicitement, consiste à promouvoir les lubies en vogue dans les milieux progressistes américains. Trois thèmes, inspirés par l'actualité, ont été sélectionnés par le prestigieux établissement : "fiction et littérature", "pandémie, climat et société" et "non-fiction anti-raciste". Sur 30 livres, 18 ont été écrits par des auteurs américains et 3 par des Britanniques. Un seul ouvrage est l'oeuvre d'une Française, mais il est rédigé dans la langue de Shakespeare (Disasterland de Sandrine Revet). Notons que pour s'informer sur la crise climatique, Sciences Po recommande à ses ouailles de potasser le livre de Greta Thunberg, Our House is on Fire ("Notre maison brûle").

Pot-pourri racialiste made in US

Ce sont surtout les livres consacrés au thème de l'antiracisme qui interpellent : faisant fi de toute exigence de pluralisme, Sciences Po s'est contenté d'aligner les uns après les autres les ouvrages phares de la critical race theory venue des campus américains. Deux idées fixes se retrouvent dans les ouvrages choisis : mettre le plus en avant possible la notion de "race", et placer les "Blancs" en accusation. Les titres des livres sélectionnés parlent pour eux mêmes : Pourquoi je ne parle plus de la race aux Blancs, par Reni Eddo-Lodge ; Moi et la suprématie blanche, de Layla Saad ; Vous voulez donc parler de race, signé Ijeoma Oluo ; Fragilité blanche : pourquoi il est si difficile pour les Blancs de parler de racisme, par Robin DiAngelo. Ce dernier ouvrage, en particulier, a été abondamment critiqué pour son insigne faiblesse conceptuelle. Carlos Lozada, critique pour le Washington Post, note que le concept phare de l'ouvrage, bâti sur un raisonnement circulaire, s'avère fallacieux : "Soit les personnes blanches admettent qu'elles sont intrinsèquement et éternellement racistes, et font serment de travailler sur leur fragilité blanche, auquel cas les estimations de DiAngelo sont correctes ; ou bien elles résistent à de telles catégorisations, ou contestent l'interprétation d'un incident particulier, auquel cas elles ne font que prouver que DiAngelo a raison". Pour Jonathan Haidt, professeur d'éthique new-yorkais, DiAngelo promeut "une vision du monde paranoïaque qui sépare les gens entre eux et les envoie tout droit sur la route de l'aliénation, de l'anxiété et de l'impotence intellectuelle".

C'est pourtant bien cette idéologie que Sciences Po a choisi de proposer en guise de lecture d'été à ses étudiants, que l'on imagine fort bien se flageller sur la plage en réprimant un sanglot à la lecture des dernières informations sur leur "fragilité blanche". Outre la prépondérance de textes américains ou consacrés aux Etats-Unis, on s'étonne de l'absence d'essais faisant résonner un autre son de cloche que le racialisme made in US. Comment Sciences Po, école de formation de nombreux futurs cadres de la République, en est-il venu à constituer une liste d'ouvrages en rupture explicite avec l'universalisme français ? Contactée, l'école nous explique que ses conseils de lectures estivales sont établis "par crowd-sourcing sur nos réseaux. en lançant mi-juin un appel auprès des internautes et étudiants de nos communautés anglophones pour qu’ils nous proposent des conseils de lecture."

L'Institut d'études politiques indique avoir reçu plusieurs centaines de réponses et avoir fait la sélection "des titres les plus cités", le tout "sans censure". Cette liste ne reflète donc pas une "sélection académique" de la part de l'école, mais "l'intérêt de [ses] communautés d'internautes à un moment donné". Il ne s'agit donc pas d'un choix des étudiants français de Sciences Po, mais des centres d'intérêts des anglophones qui suivent l'école sur les réseaux sociaux. L'IEP de Paris ajoute qu'il est "tout à fait possible que certains livres retenus puissent avoir une forte capacité de déclencher des débats, exactement comme nous le pratiquons dans nos amphis pendant l'année scolaire." Reste que si des étudiants à Sciences Po souhaitent critiquer les thèses de la sociologie post-moderne américaine, ils ne trouveront des arguments dans aucun des 30 ouvrages proposés par leur école.

Correction : Une version précédente de cet article désignait le M. Haidt sous le prénom de Robin. Il s'agit bien de Jonathan Haidt, professeur d'éthique à la New York University.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne