Gisèle Halimi : "À 12 ans, j’ai fait une grève de la faim parce que les filles servaient les garçons"

Publicité

Gisèle Halimi : "À 12 ans, j’ai fait une grève de la faim parce que les filles servaient les garçons"

Par
Gisèle Halimi dans sa maison en 1977. Elle s'est faite connaître en 1972 lors du procès emblématique de Bobigny, où elle défend une mineure jugée pour avoir avorté à la suite d'un viol. Elle obtient sa relaxe et parvient à mobiliser l'opinion.
Gisèle Halimi dans sa maison en 1977. Elle s'est faite connaître en 1972 lors du procès emblématique de Bobigny, où elle défend une mineure jugée pour avoir avorté à la suite d'un viol. Elle obtient sa relaxe et parvient à mobiliser l'opinion.
© AFP - Michele Brabo / Leemage

Disparition. Infatigable combattante pour la cause des femmes et le droit à l'avortement, Gisèle Halimi est décédée mardi, à 93 ans. L'avocate, ancienne députée et autrice avait notamment raconté sur notre antenne l'origine de sa révolte. Dans une famille pauvre, juive, dominée par l’ordre patriarcal.

"Avocate irrespectueuse", selon le titre d'un de ses ouvrages, Gisèle Halimi est morte ce mardi, au lendemain de son 93e anniversaire, a annoncé à l'AFP sa famille. Elle "s'est éteinte dans la sérénité, à Paris", a déclaré l'un de ses trois fils, Emmanuel Faux, estimant que sa mère, qui était entourée de ses proches, avait eu "une belle vie". Plusieurs fois sur notre antenne, l'avocate, ancienne députée et autrice avait justement longuement évoqué cette vie. En particulier dans un À voix nue de 2011, signé Virginie Bloch-Lainé. Née Zeiza Gisèle Elise Taïeb, le 27 juillet 1927 à La Goulette, en Tunisie, Gisèle Halimi racontait notamment dans cette série d'entretiens l'origine de son engagement au sein de sa famille.

La naissance d'une fille : "une malédiction"

Gisèle Halimi vient d’une famille pauvre de juifs séfarades. À l’époque, donner naissance à une fille est une "malédiction", si bien que ses parents cachent sa venue au monde pendant trois semaines, faisant croire que sa mère n’a toujours pas accouché. 

Publicité

"À chaque étape de ma vie, il y avait un jalonnement de handicaps qui venait du fait que j’étais une fille", confie-t-elle dans l’émission À voix nue. Dans la Tunisie des années 1930 et dans le milieu dont est issue la famille de Gisèle Halimi, une fille est considérée comme un fardeau : elle ne peut être indépendante économiquement, il faut lui trouver un mari… Et les filles ne reçoivent alors aucune éducation. Sa mère, fille de rabbin et profondément pieuse, l’a au contraire élevée dans la peur. "C’est peut-être là que j'ai senti, sans le formuler, à quel point comprendre, savoir, c'est une arme formidable." Gisèle enfant se dit que si elle avait eu des réponses à ses questions, elle aurait eu moins peur.

En voyant sa mère complètement soumise à son père et totalement dépendante de lui, à tel point qu’elle doit lui rendre des comptes au moindre sous dépensé, Gisèle Halimi, âgée d’une dizaine d’années, a un déclic : jamais elle ne demandera d’argent, jamais elle ne sera dépendante d’un homme. Une soumission aux hommes qu’elle juge injuste très tôt. Puisque, âgée d’à peine 12 ans, Gisèle Halimi raconte avoir suivi une grève de la faim, refusant de servir ses frères.

Mes parents ne l’avaient pas inventé, c’était une hiérarchie tout à fait commune et pratiquée par tous dans le même milieu que le nôtre : les filles servaient les garçons. (…) Servir mes frères que je trouvais complètement cancres alors que je m’éveillais à la vie, je trouvais cela très injuste.

Dans une interview en 2005 pour la revue Travail, genre et sociétés, Gisèle Halimi raconte, à propos de ses deux frères : "Ils n’étaient pas meilleurs que moi, ils ne m’étaient en rien supérieurs, il n’y avait aucune raison. Sauf le fait qu’eux étaient du sexe masculin et moi du sexe féminin."

Alors, Gisèle Halimi décide de ne plus les servir, à l’exception de son père car elle trouvait cela normal à l’égard de ses parents, elle ne mangera rien pendant huit jours, comme elle le raconte, cette fois en mars 2012, au micro de Laure Adler dans l’émission Hors-champs. "Pendant plus de huit jours, je ne mangeais rien. Je défaillais et ils ont eu très peur. Ma mère a fait venir ma grand-mère, qui était pour moi une icône, la tendresse. J'étais une inconditionnelle de ce qu'elle pouvait dire et conseiller. Et malgré cela, j'avais résisté. Alors ils ont cédé. Et je me souviens que ce soir-là, dans un petit cahier que j'appelais mon journal, j'avais mis : 'J'ai gagné mon premier morceau de liberté'." 

Elle conclut ce récit : "On a su que quand je disais je ne veux pas, j'étais capable d'aller jusqu'au bout".

C’est à partir de ma vie même, de mon vécu, que j’ai pris conscience de la discrimination qui frappait les femmes, de l’injustice intolérable, que je me suis révoltée et que, par la suite, en lisant goulûment, j’ai théorisé.                      
Gisèle Halimi dans la revue Travail, genre et sociétés 

Le Temps du débat
43 min

Gisèle Halimi s'éduque elle-même 

Pour échapper à cette soumission, celle qui incarnera le combat féministe s’éduque, en lisant autant qu’elle le peut. "J’ai beaucoup souffert du fait qu’il n’y avait pas un livre chez moi, pas de disques." L’une de ses camarades de classe, fille de sénateur, possédait de nombreux livres que la future autrice empruntait. 

La lecture a été quelque chose de magique pour moi. Il faut une vraie magie pour envisager un autre monde et essayer de le comprendre. Et une fois qu’on l’a compris, le changer. Toutes ces étapes étaient quelque chose d’a priori impossible à accomplir pour moi et je peux dire que j’ai bricolé mon éducation à partir des moyens que j’avais.

C’est ainsi que Gisèle Halimi a par exemple lu un dictionnaire médical, laissé par des vendeurs de porte à porte. "Cela m’avait aidé du point de vue de la connaissance de la sexualité", se souvient-elle. C’est surtout en se battant pour poursuivre les études secondaires qu'elle parfait son éducation. 

À l’époque, l’école coûte chère et les adolescentes, contrairement aux adolescents, n’y vont que rarement. D'ailleurs, ses parents n'y voient pas l'intérêt. "Les frais du lycée pourraient payer ton trousseau de mariée !" lui a lancé sa mère lorsqu'elle entrait en 6e, raconte Gisèle Halimi dans un entretien au Monde l'an dernier. D'ailleurs, à l'âge de 15 ans, sa mère tente de lui organiser un mariage avec un riche marchand d'huile, un ami de son père "très sympathique" qui avait à peu près le même âge que lui. Lorsqu'elle refuse, la mère de Gisèle Halimi s'exclame "mais il a deux voitures !"

Encouragée par son institutrice, Gisèle Halimi s’inscrit à un concours qui lui permet d’obtenir une bourse qui l’exempt des frais de scolarité. C’est ainsi qu’elle entre au lycée et réussit d’année en année à conserver cette bourse pour arriver jusqu’au Bac, qu’elle décroche à 17 ans.

Depuis l’âge de 14 ans, elle rêve d’aller en France. Elle y parvient grâce à une petite cagnotte obtenue après avoir donné des cours particuliers à des élèves en difficulté. Après avoir patienté plusieurs semaines et s’être obstinée pour obtenir un ordre de mission qui lui donne le droit d’aller en France, Gisèle Halimi prend la direction de Paris où elle suit des études de droit et prête son serment d’avocate en 1949, à l’âge de 21 ans.

Au journal Le Monde, l'ancienne députée au début des années 80 confiait l'an dernier qu’elle n’en serait pas arrivée là si "ma mère et tout mon entourage depuis la prime enfance ne m’avait pas constamment rappelé que le fait d’être une fille impliquait un sort très différent de celui de mes frères. Un sort dans lequel le choix, le libre arbitre, la liberté n’avaient aucune place. Un sort uniquement déterminé par mon genre."

Hors-champs
45 min
Le Magazine de la rédaction
55 min