"On n'ose pas réagir" : les stagiaires dénoncent le sexisme en entreprise

Publié le Lundi 07 Septembre 2020
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
#BalanceTonStage, le hashtag qui dénonce le sexisme en entreprise
#BalanceTonStage, le hashtag qui dénonce le sexisme en entreprise
#BalanceTonStage dénonce les comportements sexistes subis par les étudiant·e·s en entreprise. Sur Twitter, l'ampleur a vite dépassé son but premier pour s'attaquer à d'autres fléaux dont sont victimes les stagiaires, notamment dans le milieu médical.
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Agathe, Camille et Simon sont étudiant·e·s à l'EM Lyon, une école de commerce réputée. Pendant leurs stages, tous·tes les trois ont été confronté·e·s au sexisme en entreprise. Des remarques, des comportements stéréotypés et inappropriés auxquels il et elles découvrent qu'il peut s'avérer difficile de répondre, pour la victime comme le témoin.

Afin d'alerter leurs semblables et aider celles et ceux qui se retrouveraient dans une situation similaire à agir, le groupe d'ami·e·s a lancé #BalanceTonStage, un compte Instagram qui recueille les récits de dizaines de stagiaires, mais aussi un manuel de sensibilisation et une formation sur le sexisme en entreprise.

"On sait que ce n'est pas normal, mais on n'ose pas réagir"

"Quand on est en stage dans une entreprise, on ne sait pas ce qui est de l'ordre de l'acceptable ou pas", explique le trio à France Inter. Agathe et Camille, qui évoluaient dans la même société, racontent : "Pendant notre stage, ça a été compliqué avec notre manager. On a été confrontées à du sexisme ordinaire pendant des mois". De retour en cours, elles en discutent avec Simon, et tous les trois décident de faire un sondage sur les réseaux sociaux, auprès du reste de leur promo, pour découvrir si leur expérience est récurrente. Les résultats sont édifiants.

Sur 170 participant·e·s, 43 % ont été témoins de propos ou comportements à connotation sexuelle lors de leur stage de première année, 23 % en ont été victimes, rapporte France Inter. Par la suite, aucune plainte n'a été déposée et seulement 5 % des concerné·e·s ont rapporté les faits à l'administration de l'EM Lyon. Un tiers des interrogé·e·s n'en a d'ailleurs jamais parlé.

Agathe, Camille et Simon décident d'aller plus loin que leur enquête, en récoltant les témoignages. Il et elles réalisent rapidement, après une vingtaine de récits, que leurs camarades ne sont pas sensibilisé·e·s ni préparé·e·s à ce fléau. "On a tous eu la même réaction, on était sidérés, on ne savait pas quoi répondre", confie Agathe. "On sait que ce n'est pas normal, mais on n'ose pas réagir. En plus on se dit qu'on pourrait perdre notre stage et ne pas en retrouver d'autre derrière".

"Si tu veux réussir dans la finance, il va falloir sucer"

Sur leur compte Instagram, les phrases se suivent et se ressemblent tristement. Elles relèvent du sexisme ordinaire, de cas d'agression et de harcèlement sexuels, ou encore de harcèlement moral. "Avec ces longues jambes, tu peux me poser toutes les questions que tu veux", "T'as tes règles en ce moment ? Parce que tes seins sont plus gros que d'habitude", "Rends-moi service, trompe ta copine, on signera un contrat si tu peux faire plaisir à la cliente", "Si tu continues, je vais t'en mettre une et ce soir tu pourras aller voir la police pour aller te plaindre".

Le trio insiste cependant : il ne s'agit pas de dénoncer l'auteur des faits, mais plutôt d'offrir "aux victimes un endroit où elles peuvent se confier, anonymement ou pas", poursuit Agathe. Et d'"éveiller les consciences". Pour ça, il et elles s'attellent à monter un "Petit manuel du sexisme en entreprise" de 60 pages disponible dans leur bio, qui explique d'abord ce qu'est le sexisme et ce que dit la loi, liste ensuite les mécanismes présents dans le monde du travail qui peuvent favoriser le sexisme ou le harcèlement sexuel et donne aux personnes victimes ou témoins des solutions pour agir.

Une initiative à laquelle s'ajoute une une formation qui sera proposée aux stagiaires de première année, en amont de leur première expérience professionnelle, et dans un futur qu'il et elles espèrent proche, des cellules psychologiques destinées aux étudiant·e·s à leur retour à l'école.

Un mouvement qui prend de l'ampleur, notamment dans le milieu médical

En parallèle, sur Twitter, le hashtag circule au-delà de son but initial, et rassemble aujourd'hui des centaines de messages. Des témoignages qui rapportent de nombreux cas de sexisme, mais aussi de racisme et de bizutage subis au sein de tous les corps de métier. Un milieu revient cependant très fréquemment : le médical, via d'ex-infirmier·e·s stagiaires. "Si je fais le #BalanceTonStage infirmier j'en ai pour la journée, entre le racisme, sexisme, homophobie, vol, abus psychologiques et j'en passe", déplore une jeune femme. Au vu de l'interminable liste de tweets qui côtoient le sien, elle parle pour nombreux·se·s.

Une internaute se rappelle des mots de sa supérieure : "'Le patient a refusé le traitement ? Donne tout, donne ton corps comme tu sais si bien faire, avec ton air de salope il va forcément le prendre'. C'était des humiliations de ce genre, par la même IDE (infirmière diplômée d'Etat, ndlr), tous les jours, devant les patients, l'équipe soignante". Une autre enchaîne : "Fin de stage pré pro en réanimation qui se passe super bien, je fais part de mon envie à la cadre de postuler dans son service. Sa réponse ? 'Tu as quel âge, toi ? 23/24 ans ? Ah non, je prends pas de poule pondeuse'".

Un ancien étudiant raconte quant à lui avoir été témoin du racisme employé contre une de ses collègues : "Stage infirmier, je suis dans le bureau lorsque j'entend vaguement d'une oreille une des AS dire 'Elle est où chocolat ?' en parlant de l'étudiante AS (aide soignante, ndlr) de couleur noire qui venait d'arriver, cette même AS qui ne lui fera que des critiques durant son stage..."

Des récits difficilement soutenables qui, on l'espère, mèneront à des actions concrètes, ainsi qu'un changement radical et indispensable des conditions d'apprentissage.