« Ma femme Nasrin Sotoudeh est en grève de la faim pour alerter le monde »

ENTRETIEN. L'avocate iranienne, emprisonnée depuis plus de deux ans, dénonce le sort des détenus politiques en Iran. Son mari Reza Khandan témoigne.

Propos recueillis par

Nasrin Sotoudeh a été condamnée à douze ans de prison pour « incitation à la débauche ».  
Nasrin Sotoudeh a été condamnée à douze ans de prison pour « incitation à la débauche ».   © DR

Temps de lecture : 8 min

Douze ans de prison. Voici la peine à laquelle Nasrin Sotoudeh, éminente avocate iranienne spécialisée dans la défense des droits de l'homme, a été condamnée en juillet 2019. Incarcérée depuis plus de deux ans dans la funeste prison d'Evin, à Téhéran, cette femme de 57 ans, lauréate en 2012 du prix Sakharov du Parlement européen, est jugée coupable « d'incitation à la débauche ». Son tort : avoir défendu une Iranienne qui avait ôté son voile en public pour protester contre son port obligatoire en République islamique.

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Le 10 août dernier, Nasrin Sotoudeh a entamé une grève de la faim pour protester contre la situation des prisonniers politiques en Iran. Un combat salué mardi par l'association des juges allemands DRB, qui lui a décerné son prix pour les droits de l'homme, en tant que « symbole du mouvement iranien pour les droits civiques ». Mais trente jours après le début de son action, son état de santé se dégrade. Dans une interview au Point, Reza Khandan donne des nouvelles de son épouse et revient sur sa détermination.

Le Point : quel est l'état de santé de votre femme ?

Reza Khandan : cela fait aujourd'hui 30 jours que ma femme a entamé sa grève de la faim. Il est donc naturel que son état ne soit pas bon. J'ai pu m'entretenir avec elle au téléphone lundi. Elle ne consomme que de l'eau, du thé, du sucre et du sel, et sa situation est très fluctuante. Sa tension oscille et Nasrin souffre de nombreux maux de tête et de vomissements. Elle a été admise à deux reprises dans l'infirmerie de la prison d'Evin. À chaque fois, on lui a proposé de la mettre sous perfusion. La première fois, elle a refusé. Puis, vendredi dernier, elle a finalement accepté. Honnêtement, on ne pensait pas qu'elle mènerait une grève de la faim si longue, mais elle a pris cette décision après l'arrestation de notre fille, Mehraveh, le 17 août dernier.

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Pourquoi votre fille, âgée de vingt ans, a-t-elle été elle aussi arrêtée ?

Mehraveh a été arrêtée pendant une journée, car ils affirment qu'elle aurait eu un contentieux avec un agent au parloir de la prison d'Evin, où elle venait rendre visite à sa mère. Mais c'est selon nous une excuse. Ils sont venus chez nous et l'ont arrêtée dans le but de nous faire peur et de mettre Nasrin sous pression. D'autant que notre fille, qui a été libérée sous caution, est désormais sous le coup d'une procédure et devrait bientôt être jugée.

-Nasrin Sotoudeh- ©  DR
Reza Khandan, en compagnie de Nasrin Sotoudeh et de leurs deux enfants. Sa fille, Mehraveh, a été arrêtée durant une journée en août par les autorités iraniennes.  © DR

Pour quelle raison Nasrin Sotoudeh a-t-elle entamé cette grève de la faim le 10 août dernier ?

À cause de la situation des prisonniers politiques en Iran. De façon totalement injuste, la République islamique condamne à de lourdes peines des personnes innocentes qui doivent être libérées. Et si elles ont vraiment commis les crimes qui leur sont reprochés, elles devraient bénéficier selon la loi d'une libération conditionnelle au bout du tiers de leur peine. Or, ce droit est refusé aux prisonniers politiques iraniens. Ils doivent purger la totalité de leur peine et ne bénéficient que de très peu d'autorisations de sortie temporaire. Et lorsqu'ils sont finalement libérés, ils sont ensuite de nouveau arrêtés pour d'autres charges. Nasrin souhaite par conséquent que les prisonniers politiques puissent également bénéficier de ce droit et réclame leur libération.

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Mais pensez-vous réellement que votre femme puisse arriver à ses fins ?

Ma femme et nous-mêmes savons que la République islamique ne pliera pas pour une grève de la faim. Ainsi le but est-il d'alerter l'opinion publique mondiale, et iranienne, sur la situation des prisonniers politiques afin d'améliorer leur sort. En évoquant la démarche de Nasrin, les journaux dans le monde vont décrire leur sort, comme vous le faites actuellement, ce qui créera un débat et accentuera inexorablement la pression sur les autorités iraniennes. Nous pensons sincèrement que cela aura un effet.

Pourtant, les autorités iraniennes déclarent toujours aux familles des prisonniers que la médiatisation de leur affaire aggrave leur cas…

Nous estimons au contraire qu'il est indispensable d'en parler, et ceci est encore plus vrai pour les prisonniers binationaux, dont les avocats et les familles se voient intimer l'ordre de ne pas communiquer. Par expérience, je peux vous dire que ceux qui ont maintenu le silence ont vu le cas de leur proche s'aggraver, avec des condamnations encore plus lourdes. En réalité, le pouvoir tire entièrement profit du fait que certains préfèrent se taire.

Sans amélioration rapide du sort des prisonniers politiques en Iran, ne craignez-vous pas pour la vie de Nasrin Sotoudeh ?

Nous sommes très inquiets depuis le début de sa grève de la faim. Nous ne l'avons jamais encouragée. Mais même si on lui répète d'y mettre fin, ma femme refuse. D'éminentes personnalités iraniennes ont beau lui avoir écrit des lettres lui exhortant de cesser sa grève, rien n'y fait : elle veut poursuivre son action. Sa propre sœur l'a suppliée, et Nasrin lui a tout bonnement demandé d'arrêter d'évoquer ce sujet avec elle.

L'épidémie de coronavirus, qui sévit dans les prisons iraniennes, n'aggrave-t-elle par les risques pour sa santé ?

Je sais, d'après les témoignages que je reçois, que le nombre de malades atteints du Covid-19 est important dans les prisons iraniennes, mais les autorités refusent de donner le moindre chiffre. Maintenant, en ce qui concerne ma femme, le coronavirus ne semble pas circuler dans la branche de la prison d'Evin où elle est détenue, en compagnie de 39 autres prisonnières. À la différence des autorités pénitentiaires, celles-ci font très attention aux conditions d'hygiène de ce quartier de détention.

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Votre femme a-t-elle des informations sur la chercheuse française Fariba Adelkhah, elle aussi emprisonnée à Evin ?

Oui, toutes les deux sont dans la même chambre. Leurs lits sont côte à côte. J'aperçois moi-même Fariba Adelkhah derrière la vitre lors des parloirs, la dernière fois il y a quatre jours.

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La liste des prisonniers politiques semble augmenter chaque jour en Iran. Avez-vous une idée précise du nombre de personnes incarcérées aujourd'hui pour des motifs politiques ?

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, le gouvernement iranien fait en sorte de maintenir un nombre bas de prisonniers politiques actuellement incarcérés, de l'ordre de 1 000 à 1 500 détenus sur un total de 240 000 prisonniers de droit commun. Mais ce chiffre n'inclut pas le nombre de personnes aujourd'hui visées par une procédure pour des motifs politiques : celles qui sont en voie de condamnation ou qui ont déjà été condamnées et qui ne sont pas, pour l'heure, derrière les barreaux. Cela créerait un chiffre énorme. Rien que dans notre famille de quatre personnes [Nasrin Sotoudeh et Reza Khandan ont deux enfants, NDLR], trois sont visées par une procédure judiciaire. Nasrin, notre fille Mehraveh et moi-même, qui ai été condamné à six ans de prison et ai été emprisonné durant 111 jours il y a deux ans et demi.

-Nasrin-Sotoudeh-Iran- ©  DR
Nasrin Sotoudeh et son mari Reza Khandan affichent leur soutien aux droits des travailleurs iraniens. © DR
Que vous est-il reproché ?

Pour avoir arboré sur ma poitrine un badge contre l'obligation du port du voile en Iran, j'ai été condamné respectivement à cinq ans et à un an de prison pour « propagande contre le pouvoir » et « tentative d'action contre la sécurité nationale ». Mais je ne suis censé, d'après la loi, purger que la peine la plus lourde, soit cinq années d'incarcération. D'après moi, cette histoire de badge n'est qu'un prétexte.

Qu'en est-il de Nasrin Sotoudeh, qui a été condamnée au total à 38 ans de prison ?

De la même manière, Nasrin, qui a été condamnée au total à 38,5 années de prison et 148 coups de fouet, est censée purger sa peine la plus lourde, soit douze ans de prison.

La pression maximale exercée par Donald Trump sur l'Iran influe-t-elle sur le sort des prisonniers politiques dans ce pays ?

À chaque fois que l'Iran est confronté à une crise extérieure, il accentue la pression en interne. Au contraire, lorsque les tensions diminuent et que la situation économique s'améliore, l'étau se desserre à l'intérieur du pays. En ce moment, le pouvoir s'inquiète de l'éventualité d'émeutes et arrête donc les personnes qu'il juge influentes, car il estime qu'il pourra « gérer » de nouveaux troubles. Par conséquent, il y a aujourd'hui moins d'espoir quant à une amélioration du sort des prisonniers politiques dans le pays, sauf en cas de mobilisation de l'opinion publique.

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Justement, une campagne sans précédent des Iraniens sur les réseaux sociaux a récemment abouti à la suspension de la peine de mort prononcée contre trois manifestants.

Tout à fait. À chaque fois que l'Iran est placé devant ses responsabilités, le pouvoir recule. Cela a été le cas concernant les trois jeunes manifestants Amir Hossein Moradi, Said Tamjidi et Mohammad Rajabi [arrêtés à Téhéran lors des manifestations de novembre 2019, NDLR], mais également en 1997, lorsqu'un tribunal allemand a accusé les plus hautes autorités iraniennes de terrorisme d'État, et que l'Union européenne a rappelé ses quinze ambassadeurs présents à Téhéran. Depuis cette date, la République islamique a cessé ses attentats en Europe [Téhéran est toutefois accusé de tentative d'attentat à Paris en juillet 2018, NDLR].

L'Europe pourrait donc, selon vous, jouer un rôle dans l'amélioration des droits de l'homme en Iran ?

Lorsque les pays européens tapent du poing sur la table et prennent de vraies décisions contre Téhéran, cela amène les autorités iraniennes à changer de comportement. À mon sens, les campagnes pour le respect des droits de l'homme en Iran, si elles bénéficient d'un soutien international, peuvent vraiment faire bouger la République islamique. Le problème est que cette question n'est pas une priorité pour les Européens, qui privilégient leurs relations et leurs échanges économiques avec l'Iran, ce dont profite le pouvoir iranien.

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Commentaires (2)

  • Libéral-laïc-conservateur

    Tous ceux qui, au gouvernement (où ils sont nombreux), dans les médias (où ils sont ultramajoritaires) ou sur ce forum (où ils sont rares) ne voient pas de différence entre l'islam de 2020 et les autres grandes religions monothéistes de 2030 détournent le regard, au mieux.
    Au pire, ils approuvent l'Iran pour avoir muselé cette inconsciente qui a osé s'opposer à la plus grande religion de paix et de poésie.

  • berking

    Hélas le monde s'en fiche et l'europe est bien trop pleutre pour faire quoi que ce soit ! Qu'elle résolve d'abord ses propres incuries !