OBJECTIF PARITECompter les femmes dans les journaux c’est possible, et bientôt obligatoire

La députée Céline Calvez veut inciter les journaux à compter les femmes dans leurs pages

OBJECTIF PARITEUn rapport de la députée LREM Céline Calvez recommande un système de bonus pour inciter la presse écrite à compter les femmes dans ses colonnes
Aude Lorriaux

Aude Lorriaux

L'essentiel

  • La députée Céline Calvez rend son rapport sur la place des femmes dans les médias ce mercredi 9 septembre.
  • Parmi 26 préconisations, la députée veut mettre en place un système de bonus pour toutes les entreprises se dotant d’outils « de comptage et de mesure de la place des femmes tant au niveau des organisations que des contenus ».

Verrons-nous bientôt surgir dans les rédactions des compteurs en temps réel, indiquant la proportion de femmes dans les pages des journaux ? C’est le souhait en tout cas de la députée Céline Calvez, qui remet ce mercredi un rapport sur la place des femmes pendant le confinement.

Le document de l’élue LREM, missionnée au début du confinement par l’ancienne secrétaire d’Etat aux droits des femmes Marlène Schiappa, fourmille de données spécialement récoltées pour sa mission, parfois déjà rendues publiques. Parmi les données nouvelles, une étude du service des droits des femmes (un service rattaché au gouvernement), qui a observé les unes de sept journaux de la presse quotidienne nationale (Le Figaro, Le Monde, Le Parisien, Les Echos, La Croix, Libération, L’Humanité) du 1er mars au 31 mai 2020. L’étude porte sur les photos et le texte de une, et un focus plus précis d’une semaine (du 30 mars au 4 avril) a également analysé les pages débats et la présence des expertes à l’intérieur de l’ensemble des pages.

Les résultats de l’étude ne sont pas très glorieux. S’agissant des photos, on dénombre 83 % de personnalités masculines en une, contre 17 % de femmes. Seuls Le Monde et Libération dépassent les 20 % (avec respectivement 25 % et 23 % d’images de personnalités féminines). Pendant ces 13 semaines, 74 % de tribunes ont été signées par des hommes. La Croix se détache avec 31 % de femmes en pages débats, suivi de près par Le Monde (30 %). La semaine test fait ressortir seulement 24 % de femmes expertes. [Voir précisions plus bas]

Des outils pour compter

Pour contrer ce phénomène, le rapport de la députée Céline Calvez préconise de compter régulièrement la proportion de femmes dans les colonnes des journaux, pour déclencher une « prise de conscience ». Et donc de s’inspirer de méthodes expérimentales développées par certains titres pionniers.

Quelques médias comptent déjà : c’est le cas de Ouest France, par exemple, avec son baromètre ; des Echos, qui opèrent des screenings réguliers de leur site, ou du journal Le Monde, qui collecte tous les trois mois de multiples données. « Rendre publics ces chiffres ne relève pas seulement d’une volonté de transparence. C’est aussi un moyen de se donner une obligation de résultat pour rééquilibrer la place des femmes et des hommes dans nos colonnes » écrivait le quotidien du soir en juillet dernier.

Le Paritomètre, bien plus qu’un gadget

Mais l’outil qui séduit le plus la députée s’appelle le Paritomètre. Il a été développé par le journal suisse Le Temps. Un programme parcourt le site toutes les demi-heures, repérant les noms d’hommes et de femmes et les transformant en pourcentage. A partir de ces données, deux confrères du journal ont eu l’idée d’un « gadget qui attire les badauds » : un graphique en bois et métal avec un interrupteur à l’ancienne, pour montrer dans la rédaction la part de femmes en temps réel. L’idée peut être déclinée bien sûr par rubrique, chaque service pouvant alors entrer en émulation avec les autres.

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Manque de savoir-faire

Compter de manière régulière est utile en temps normal. Cela devient particulièrement important en temps de crise, où les habitudes chamboulées font aussi par le même temps chuter le taux de femmes. Compter est aussi un préalable pour progresser, gagner en réputation auprès de ses lecteurs et lectrices, diversifier le lectorat.

Mais compter n’est pas toujours facile : les rédactions sont soumises à des impératifs économiques, et les journalistes manquent toujours de temps. Il y a aussi, note Céline Calvez, un problème de savoir-faire : « Il faut inciter la puissance publique à développer ces solutions et faire en sorte que les médias aient les moyens de compter », remarque la députée.

Bonus-malus

Pour aider les médias, et alors que les chiffres ne bougent pas, ou si peu depuis plus de dix ans, le rapport recommande d’inciter financièrement les entreprises, sous la forme d’un système de bonus à prélever sur la somme d’argent que veut verser l’Etat aux médias, dans le cadre du plan de relance lié au coronavirus. 400 millions d’euros ont été annoncés le 27 août dernier, une somme rondelette que la députée ne veut pas octroyer sans conditions.

Les entreprises qui respectent l’égalité salariale, se dotent d’outils pour compter la présence des hommes et des femmes dans leurs contenus et qui forment leurs équipes à ces questions, pourraient toucher un bonus. A contrario, les médias qui ne respectent pas l’égalité salariale, pourtant inscrite dans la loi depuis 1983, seraient sanctionnés d’un malus. « C’est intolérable qu’on puisse investir dans des pans entiers de notre économie alors que les acteurs économiques ne respectent pas ce minimum », se désole l’élue des Hauts-de-Seine.

Répondre aux « besoins de la société »

Comme les aides du plan de relance s’étalent sur deux ans, le système de bonus-malus accordé la première année pourrait se transformer en condition sine qua non la deuxième année, afin de laisser un peu de temps aux entreprises pour s’adapter. Charge ensuite aux nouveaux élus de pérenniser ce système, en transformant les aides permanentes à la presse, qui représentent une sacrée somme (217 millions d’euros en 2019).

Pour la députée, la situation entre d’un côté des médias audiovisuels de plus en plus contrôlés par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, et de l’autre une presse écrite qui n’est pas du tout astreinte à ces contraintes, ne peut plus durer. « Aujourd’hui quand on a décroché une aide, c’est une aide indétrônable, dit-elle. Il faut pouvoir rééxplorer ces aides à l’aune des besoins de la société ».

Précisions

L’étude du service des droits des femmes est globalement cohérente avec les précédentes études menées sur le sujet. Une étude de la rubrique Décodeurs menée en 2015 sur quatre grands titres de presse français (Le Parisien, Le Figaro, Libération et Le Monde) ne dénombrait que 14,2 % de femmes en une, que ce soit en photo ou nommées dans un titre.

Une grande étude menée tous les cinq ans dans 114 pays, nommée Global Médias Monitoring Project, relevait la même année que les femmes représentaient 23 % des personnes dont il est question dans les nouvelles de huit quotidiens français.

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