Plus d'un tiers de tous les gènes humains sont activés à différents niveaux entre les hommes et les femmes dans au moins un type de tissu, bien que l'écart reste faible, conclut un pan d'une collaboration scientifique internationale d'analyse du génôme humain. Ce ne sont pas moins de 13 publications qui couronnent la décennie d'efforts de plusieurs dizaines de chercheurs, rassemblés au sein du consortium Genotype-Tissue Expression ou GTEx. L'une d'entre elles publiée dans la revue Science se penche sur l'influence du sexe biologique.
Le "transcriptome" permet de connaitre le niveau d'activation des gènes
Les niveaux d'activation de tous les gènes humains ont été mesurés sur 44 types de tissus humains – peau, cerveau, muscles, tissu mammaire, etc. - provenant de 838 individus. Pour comprendre, il faut savoir que dans notre ADN, enroulé sous forme de chromosomes, chacun de nos gènes peut être "lu" et "transcrit" par des protéines spécialisées, pour générer une molécule appelée ARN. C'est cet ARN qui servira de guide pour créer une protéine spécifique. Plus le gène est actif, plus il y a d'ARN (et donc de protéines) de produits. C'est donc le nombre d'ARN correspondant à chaque gène, ce qu'on appelle le "transcriptome", que les chercheurs ont mesuré pour réaliser leur incroyable cartographie. "Pour caractériser les différences de sexe dans le transcriptome humain et sa régulation, et pour découvrir comment le sexe et la génétique interagissent pour influencer des traits complexes et des maladies, nous avons généré un catalogue des différences de sexe dans l'expression des gènes et leur régulation génétique (…), en analysant 16.245 échantillons de séquençage d'ARN", récapitulent les 43 auteurs européens et américains dans la publication.
Plus d'un tiers des gènes sont activés différemment entre femmes et hommes
D'après ces travaux, 37% de tous les gènes humains sont activés à des niveaux différents chez les hommes et les femmes dans au moins un type de tissu. Si les gènes dont l'expression a le plus fortement changé étaient sur le chromosome X (le chromosome sexuel), ils ne représentaient que 4% des gènes s'exprimant différemment selon le sexe. Les 96 % restants étaient répartis sur le reste du génome.
Un effet de faible ampleur…
Bien que cet écart d'expression soit fréquent, il était cependant généralement faible. Ainsi, dans chaque tissu, 1,3 à 12,9% des gènes présentaient des différences entre les sexes dans leur activation. Mais cet effet restait subtil, la différence pour un gène donné n'étant que de 1,04 en valeur médiane (il s'agit de la valeur partageant les données en deux : il y en a autant au-dessus qu'en dessous). Les différences inter-individuelles floutent donc la plupart de ces écarts entre les sexes, empêchant une répartition binaire claire. En utilisant leurs résultats à l'envers, c’est-à-dire en tentant de prédire le sexe d'une personne en fonction de son transcriptome (sans prendre en compte les chromosomes sexuels), les résultats sont d'ailleurs mitigés. Ainsi, la prédiction tombait juste dans 84% des cas, mais avec seulement 56% de spécificité, ce qui signifie qu'un des deux sexes était très souvent correctement identifié, mais au prix de beaucoup de faux négatifs sur l'autre.
…Mais qui peut être déterminant sur le plan médical
Reste que ces différences sont loin d'être anodines. Les scientifiques ont ainsi découvert 58 liens inédits entre des gènes et des caractéristiques complexes telles que la pression sanguine, le taux de cholestérol, le cancer du sein et le pourcentage de graisse corporelle. La majorité des effets découverts étant observés dans le tissu mammaire, suivi par le muscle, la peau et le tissu adipeux. Par exemple, le gène CYP450, qui influe sur l'assimilation et donc l'efficacité des médicaments humains dans le foie, s'est avéré être exprimé de manière différente selon le sexe dans de nombreux tissus.
Chez les femmes, l'activation du gène CCDC88 s'est avéré fortement associé à la progression du cancer du sein, et celle du gène HKDC1 au poids de naissance. Chez les hommes, la régulation génétique du gène DPYSL4 est associé au pourcentage de graisse corporelle et celle du CLDN7 au poids de naissance. Les chercheurs ont également identifié un lien entre un gène non caractérisé, C9orf66, et la calvitie masculine.
L'enjeu, c'est bien sûr la médecine personnalisée. "Si nous comprenons la biologie d'un trait, nous pouvons essayer d'utiliser cette information pour le diagnostic, le développement de médicaments et la prévision des résultats", explique dans un communiqué la Pr Barbara Stranger, qui a participé à ces travaux. "Ces découvertes suggèrent l'importance de considérer le sexe comme une variable biologique dans les études de génétique et de génomique humaines."
Plutôt des hommes blancs de plus de 50 ans
Ces travaux constituent une contribution "inestimable" au monde scientifique, d'après Melissa Wilson, biologiste évolutionniste et computationnelle américaine, qui s'exprime dans un commentaire co-publié dans Science. Pour autant, ils sont loin d'être dépourvus de biais. Les 838 individus à la base de l'étude étaient en effet surtout des hommes (67,1%) caucasiens (85%) et dont plus de la moitié avaient dépassé les 50 ans. Il faudra donc d'autres travaux de cet acabit pour étudier plus de femmes, d'autres origines ethniques et à plus d'étapes différentes de la vie. L'âge mur de la majorité des sujets implique en effet qu'ils ont été exposés à de nombreux aléas potentiellement liés aux niveaux d'activation constaté de leurs gènes. "Il est particulièrement important de tenir compte des variations au cours de la vie pour comprendre comment la puberté et la ménopause, par exemple, affectent la régulation des gènes entre les sexes", conclut Melissa Wilson.