Un canular littéraire : épisode • 1/2 du podcast Docteur Vian et Mister Sullivan, l’affaire "J’irai cracher sur vos tombes"

Portrait non daté de l'écrivain français Boris Vian ©AFP
Portrait non daté de l'écrivain français Boris Vian ©AFP
Portrait non daté de l'écrivain français Boris Vian ©AFP
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Quand Jean d'Halluin, créateur des Éditions du Scorpion, rêve d'un best-seller pour remonter ses affaires et que Boris Vian, prenant le désir de l'éditeur comme un défi, se propose de le relever en écrivant l'ouvrage en dix jours !

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Eté 1946. Devant un cinéma des Champs-Elysées, Jean d’Halluin, le créateur des Éditions du Scorpion retrouve Boris Vian et son épouse Michelle. La toute jeune maison d’édition de Jean d’Halluin ne se porte pas très bien et son directeur cherche à faire un coup pour la relancer. Il rêve d’un best-seller à l’américaine comme Tropique du Cancer d’Henry Miller, ou à la Peter Cheyney et James Hadley Chase, les deux auteurs de romans policiers et d’espionnage qui font les beaux jours de la collection Série noire de Gallimard, fondée par Marcel Duhamel. Boris Vian vient de manquer le Prix de la Pléiade où il avait présenté L’écume des jours, et il a lui aussi besoin d’argent. Spontanément, le jeune écrivain de 26 ans prend le désir de l’éditeur comme un pari : Ce best-seller, il se propose de l’écrire, en dix jours.

Ça démarre comme une bonne blague, sur une coin de trottoir. Claire Julliard

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5 août 1946. Boris et Michelle Vian sont en vacances en Vendée avec leur fils Patrick, qui a attrapé les oreillons. C’est en le veillant la nuit que Boris Vian écrit J’irai cracher sur vos tombes. Le 20 août, le roman est achevé. L’histoire raconte celle de Lee Anderson, un métis du Sud des Etats-Unis animé par le désir de venger son frère, lynché à mort parce qu’il était amoureux d’une Blanche. C’est un roman noir, qui dénonce le racisme. Et c’est aussi un récit cru, où la sexualité, violente, tient une place centrale. Boris Vian décide de faire croire que le livre est l’œuvre d’un romancier américain à qui il invente un nom : Vernon Sullivan. Lui n’en est, officiellement, que le traducteur. Seuls Michelle et Jean d’Halluin connaissent les coulisses de cette supercherie.

Plusieurs ouvrages parus à l’occasion des100 ans de Boris Vian, disposés sur son bureau à la Cité Véron, Paris 18ème arrondissement
Plusieurs ouvrages parus à l’occasion des100 ans de Boris Vian, disposés sur son bureau à la Cité Véron, Paris 18ème arrondissement
© Radio France - Hélène Delye

J’irai cracher sur vos tombes paraît le 21 novembre 1946. Jean d’Halluin joue sur le caractère sulfureux du roman et le présente dans des encarts publicitaires comme le roman que l’Amérique n’a pas osé publier. Le succès n’est pas immédiat, mais en 1947, le livre devient un best-seller, le tirage grimpe à 120 000 exemplaires en un peu plus de deux ans. Les raisons de ce succès tiennent pour beaucoup au scandale qu’il déclenche. Dès sa parution, les premières critiques indignées fleurissent : Dans Les Lettres françaises, le roman est qualifié de bassement pornographique. D’autres flairent déjà le canular et s’interrogent à propos de la paternité de l’ouvrage… L’emballement est à double tranchant. Et Boris Vian s’apprête à risquer gros.

Archives INA : Daniel Parker dans "Tribune de Paris" présentée par Paul Guimard au sujet de "l'affaire Henry Miller", le 06.11.1946

1 min

Intervenants 

Nicole Bertolt, mandataire de l’œuvre de Boris Vian et directrice du patrimoine ; Christelle Gonzalo, spécialiste de Boris Vian ; François Roulmann, spécialiste de l’œuvre de Boris Vian ; et Claire Julliard, biographe de Boris Vian.

Lecture des extraits du roman J’irai cracher sur vos tombes par le comédien Adama Diop.

Avant de s’en prendre à J’irai cracher sur vos tombes, Daniel Parker avait déposé plainte avec son cartel d'action sociale et morale contre Henry Miller. Intervention forte de Daniel Parker au sujet de l’édition de ces deux Tropiques de Miller dans l’émission Tribune de Paris :

Les ouvrages de Miller sont interdits en Angleterre et aux Etats Unis, leur diffusion n'est qu'une affaire commerciale menée par les éditeurs français. La France est-elle un dépotoir d'ordures ?... Daniel Parker

Archives INA : Discussion entre Christian Bourgois et Gérald Vinckenbosch sur le scandale à la sortie de livres, autres exemples de livres interdits récemment (11.06.1993)

5 min

Un documentaire d’Hélène Delye, réalisé par Véronique Samouiloff. Prise de son Romain Luquiens et Souad Bouqhorssa ; mixage Valérie Lavallart. Archives INA, Samantha Schmitt. Avec la collaboration d'Annelise Signoret de la Bibliothèque de Radio France et Quentin Vaganay.

Il (l’éditeur Jean d’Halluin de chez Scorpion) me dit : "Il me faudrait quelque chose de bien érotique, un truc à succès du genre Pas d’orchidées pour Miss Blandish" (James Hadley Chase). Je lui dis : "Pourquoi cherchez vous des exemples en Amérique ? Il doit y avoir de bonnes ressources dans notre bonne littérature érotique latine." Boris Vian dans Interview Impubliable

Musique

  • What Love, de Charlie Mingus (Doxy music)
  • I fall in love too easy de Miles Davis (Columbia)
  • Tensions de Charlie Mingus (Atlantic)
Une vue de l'appartement de Boris Vian, près du Moulin Rouge à Paris, publiée le 24 août 2020. Propriété du célèbre cabaret, il est à ce jour habité par Nicole Betolotto, qui l'a conservé en l'état
Une vue de l'appartement de Boris Vian, près du Moulin Rouge à Paris, publiée le 24 août 2020. Propriété du célèbre cabaret, il est à ce jour habité par Nicole Betolotto, qui l'a conservé en l'état
© Maxppp - Ian Langsdon - EPA/MAXPPP

Bibliographie

1er août 1949 : Portrait de l'écrivain Boris Vian.
1er août 1949 : Portrait de l'écrivain Boris Vian.
© AFP - AFP Photo pigiste

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Demain, épisode 2 Le roman maudit

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