À Lesbos, île du désespoir pour des milliers de réfugiés

Une famille afghane a trouvé refuge sous une bâche non loin du port de Mytilène, elle a tout perdu dans l'incendiue du camp de Moria ©Radio France - Marie-Pierre Vérot
Une famille afghane a trouvé refuge sous une bâche non loin du port de Mytilène, elle a tout perdu dans l'incendiue du camp de Moria ©Radio France - Marie-Pierre Vérot
Une famille afghane a trouvé refuge sous une bâche non loin du port de Mytilène, elle a tout perdu dans l'incendiue du camp de Moria ©Radio France - Marie-Pierre Vérot
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Ils sont passés de l'enfer du camp de Moria sur l'île de Lesbos, le plus grand camp de réfugiés en Europe, à la rue. Plusieurs milliers de réfugiés afghans, syriens, somaliens ou congolais errent désormais dans le plus complet dénuement et en appellent à l'Europe pour quitter une île devenue leur prison.

À l’abri d’un muret, à même le bitume sous un soleil de plomb, dans la poussière d’un champ écrasé par la chaleur dès le matin mais battu par les vents quand le soir tombe... Sur l'île grecque de Lesbos, la misère de Moria s’est répandue à ciel ouvert, depuis le sinistre qui a entièrement détruit, il y a six jours, ce méga-camp de réfugiés, le plus grand d'Europe.

Cette famille afghane n'a pu sauver grand chose de l'incendie et cherche un abri
Cette famille afghane n'a pu sauver grand chose de l'incendie et cherche un abri
© Radio France - Marie-Pierre Vérot

Les routes qui descendent vers le port de Mytilène débordent d’enfants, de familles, bébés, jeunes gens qui s’entassent dans le plus grand dénuement, sur un bout de carton, sous une bâche plastique, une toile de tente ou dans une cabane de fortune faite de roseaux. Partout la même désolation que résume Hosseini, épuisé. Il est arrivé d’Afghanistan il y a de longs mois :

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"Nous ne savons pas où aller… Nous sommes en famille, avec beaucoup d’enfants. Nous n’avons rien à manger, ils ont soif… tout a été détruit"

Un enfant brandit un carton à mon approche. Il est écrit, en allemand : "J’ai fui la guerre mais maintenant je suis en danger à Moria, sauvez-moi s’il vous plait". 

Un enfant porte une pancarte écrite en allemand qui appelle à le sauver
Un enfant porte une pancarte écrite en allemand qui appelle à le sauver
© Radio France - Marie-Pierre Vérot

Errance sans fin

Les camions de l’armée bloquent l’accès à la ville de Mytilène, capitale de l’île. Et la route vers l’ancien camp de Moria est bloquée par des résidents en colère qui ne veulent plus des réfugiés. C’est le chaos qui domine. Un monsieur se précipite :  son fils devient fou, il a tenté de le poignarder, il cherche un médecin. Une famille congolaise apparaît poussant une poubelle chargée de quelques effets sauvés des flammes. 

Une famille de Congolais toujours en chemin depuis l'incendie du camp de Moria quatre jours auparavant
Une famille de Congolais toujours en chemin depuis l'incendie du camp de Moria quatre jours auparavant
© Radio France - Marie-Pierre Vérot

"Nous ne savons pas où aller", explique Abangui. "Nous nous arrêterons quand nous serons fatigués. Nous poserons ces quelques couvertures par terre". Cela fait quatre jours qu'ils dorment sur le bitume, et n'ont rien à manger. "Tous nos biens ont brûlé", ajoute Jonathan. Sa femme serre leur petit bébé de deux semaines. Sa sœur, hagarde, ne dit pas un mot :"J'ai trop d'émotion" chuchote-t-elle. Son frère l'a sortie de sa tente en flammes. 

"C'est ça l'Europe?! Je préfère mourir ici, je suis trop fatigué, mais qu'au moins on sauve l'âme de ces enfants!"

Une famille de Congolais avec un bébé de deux semaines se repose avant de reprendre la route
Une famille de Congolais avec un bébé de deux semaines se repose avant de reprendre la route
© Radio France - Marie-Pierre Vérot

Partout la même fatigue dans les yeux et un même cri, que l’on soit jeune ou vieux, afghan, congolais, somalien ou syrien : partir, quitter cette île devenue une prison. 

Liberté !

Quelques Afghans improvisent une manifestation. Ils scandent "Azadi!", crient "Freedom! Liberté !" Une jeune femme enceinte s’effondre en larmes : "Ce n’est pas de la nourriture que nous voulons".

Une entreprise se protège avec des barbelés sur la route qu'empruntent des réfugiés
Une entreprise se protège avec des barbelés sur la route qu'empruntent des réfugiés
© Radio France - Marie-Pierre Vérot

"Je ne vous demande pas d’eau! Je veux juste partir, je ne veux plus vivre ici!"

Tous le répètent, ils ne sont pas venus en Europe chercher à manger mais pour trouver un peu de sécurité. 

Sur la route du port de Mytilène
Sur la route du port de Mytilène
© Radio France - Marie-Pierre Vérot

La majorité des réfugiés ne veut plus d’un camp, quelle qu’en soit la nature. Et a encore manifesté ce week-end, essuyant des tirs de gaz lacrymogènes. Des enfants ont eu le visage brûlé. À quelques kilomètres, l’armée grecque érige en effet des tentes, qui s’alignent derrière des barbelés. Le gouvernement a promis un camp fermé. Sans doute la pire des solutions pour Sayed. Moria, prévient-il était une bombe à retardement, "elle a explosé, n’en fabriquez pas une nouvelle".

Le camp de Moria, le plus grand camp de réfugiés en Europe a été réduit en cendres
Le camp de Moria, le plus grand camp de réfugiés en Europe a été réduit en cendres
© Radio France - Marie-Pierre Vérot

Une nouvelle bombe

Sayed poursuit : "Cette catastrophe n’a rien changé! C’est le même état d’esprit : vous voulez les enfermer, les empêcher de bouger, les mettre dans des camps, derrière des barreaux. Combien de temps allez vous continuer ainsi? Si vous ne les voulez pas, si vous ne voulez pas les intégrer, dites-leur, 'Nous ne voulons pas de vous. Nous ne sommes pas l’Europe que vous croyez. Nous ne vous aimons pas. Vous devez rentrer chez vous'"

"Renvoyez-les au lieu de les torturer ainsi. C’est le moins que vous puissiez faire"

"Les renvoyer, pour être au moins honnête avec vous-mêmes. Enfermer les gens dans un camp ce n’est pas une solution. Chaque fois que vous le ferez, chaque fois que vous restreindrez leurs droits, cela reviendra en boomerang. Parce que c’est dans la nature humaine. Vous les mettez sous pression, ils reviendront avec plus de force encore. Et croyez-moi, c’est vous qui le paierez le plus cher au bout du compte. Parce que ces gens disent : 'Ce sont des Européens' et vous, vous, appartenez à l’Europe", prévient-il. Une Europe qui ne semble toujours pas avoir pris la mesure du désastre.

Au bord de la route, des réfugiés font sécher leur linge
Au bord de la route, des réfugiés font sécher leur linge
© Radio France - Marie-Pierre Vérot

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