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Chine-UE : pour les Vingt-Sept, la lucidité après la pandémie

Après avoir tendu la main à Pékin aux premières heures de l’épidémie de Covid-19, les pays européens optent à présent pour une ligne plus ferme s’inspirant des Etats-Unis.
par Jean Quatremer, correspondant à Bruxelles
publié le 13 septembre 2020 à 20h31

La «diplomatie du masque» restera dans les annales diplomatiques comme un fiasco retentissant de la Chine de Xi Jinping. Conçue pour reprendre pied sur un continent européen qui lui était de plus en plus hostile, sa mise en œuvre agressive a eu l'effet inverse à celui qui était recherché. Jamais la méfiance à l'égard de la Chine n'a été aussi forte. Si la «fin de la naïveté européenne» à l'égard de Pékin a été décrétée en juin 2019 par Emmanuel Macron, la crise du coronavirus l'aura cristallisée.

Discrédit

Pourtant, l’année 2020 avait plutôt bien commencé entre la Chine et l’Europe. Dès que Pékin a reconnu être confrontée à un nouveau virus, en janvier 2020, l’Europe, une puissance qui affectionne le «soft power», n’a pas mégoté son aide médicale tant bilatérale que multilatérale : plusieurs dizaines de millions de tonnes de masques, de gants, de produits désinfectants ou de vêtements de protection ont été livrées à Pékin en février. Mais cela a été fait en toute discrétion, l’UE n’ayant jamais su communiquer. En mars, le virus a atteint le Vieux Continent et la Chine lui est venue en aide à son tour. Mais celle-ci n’a pas hésité à mettre en scène cette aide pour mieux souligner l’incapacité des Etats européens à s’aider les uns les autres, l’Italie s’étant d’abord retrouvée seule pour faire face à la pandémie avant que ses partenaires ne s’organisent pour la secourir. Résultat : les opinions publiques italienne, hongroise ou serbe placent la Chine en tête des amis de leur pays, alors que Berlin se retrouve en tête des ennemis… Incroyable retournement historique.

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Mais Pékin, fort de son succès d'image, ne s'est pas arrêté là , lâchant ses «loups combattants», ses diplomates en poste dans les capitales européennes. Dans les médias et sur les réseaux sociaux, ces derniers ont tenté de discréditer la lutte des Etats contre la pandémie (la France a été accusée d'avoir abandonné ses vieux dans les Ehpad, ce qui a valu à l'ambassadeur de Chine une convocation au quai d'Orsay) et d'imposer leur récit sur les origines du virus (américain, bien sûr). Une agressivité qui est d'autant plus mal passée qu'une partie du matériel chinois livré se montre défectueux.

Réveil

Début septembre, Pékin a pu constater l’ampleur des dégâts causés par son nationalisme agressif : le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, et le responsable des relations internationales du Parti communiste chinois, Yang Jiechi, ont reçu un accueil glacial dans les pays supposés «amis» lors de leur tournée destinée à préparer le sommet UE-Chine de ce lundi. Surtout, dans le même temps, une délégation tchèque emmenée par le président du Sénat, Milos Vystrcil, s’est rendue en visite officielle à Taïwan, quasiment une déclaration de guerre pour Pékin. Ce dernier coup est d’autant plus rude que la Tchéquie est un membre historique du 17+1, un format créé en 2012 par la Chine qui réunit les pays d’Europe centrale et orientale (dont 12 Etats membres de l’Union), et surtout, jusque-là, une solide tête de pont des intérêts chinois. Bref, la Chine est vite passée du statut de puissance bienveillante, celle d’un soft power à l’européenne, à celui d’une hyperpuissance nationaliste qui n’a que ses intérêts en vue. La répression du mouvement démocratique à Hongkong et le génocide contre les Ouïghours ont achevé de dégrader son image, même chez ses plus fidèles alliés.

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Cela étant, l'agressivité chinoise existe depuis longtemps, au moins sur le plan commercial et technologique. Sans Donald Trump, l'UE se montrerait sans doute toujours aussi timorée. De fait, le président américain a sonné le réveil de l'Occident en se lançant dans une guerre commerciale contre une Chine accusée à juste titre de ne pas respecter les règles du jeu international, ce qui a donné des ailes aux Européens. Depuis 2017, l'Union ne cesse de renforcer son arsenal antidumping et antisubvention contre la Chine, surveille de plus en plus étroitement ses investissements sur le continent, exige une réciprocité totale dans l'ouverture des marchés, surveille les transferts de technologies, etc. En mars 2019, la Commission estimait enfin que la Chine était un «rival systémique» et non plus un ami un tantinet affamé. Ce réveil européen face à une Chine soupçonnée d'avoir caché la vérité sur la gravité de la pandémie, empêchant ainsi ses rivaux de se préparer, est durable : la récession causée par le coronavirus, la plus grave depuis trois siècles en temps de paix, va affaiblir l'Union qui va devoir se défendre férocement face aux appétits d'une Chine beaucoup moins touchée par la crise dont elle est à l'origine.

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