chronique «aux petits soins»

Les malades du cancer face au risque de pénurie de médicaments

Rassemblés par la Ligue nationale contre le cancer, ces dizaines de témoignages dessinent un paysage thérapeutique incertain.
par Eric Favereau
publié le 14 septembre 2020 à 12h31

Ce lundi, des malades du cancer vont témoigner publiquement, à la demande de la Ligue nationale contre le cancer, pour raconter les difficultés qu'ils rencontrent pour avoir simplement accès à leur traitement. Des histoires simples. Rien de catastrophique encore pour le moment, mais des situations qui laissent perplexe. «Mon traitement pour mon cancer de la vessie a consisté en six semaines de BCG thérapie, alors que d'ordinaire c'est neuf», explique ainsi une jeune malade. Une autre personne, atteinte de leucémie : «On a dû chercher pendant une semaine mon médicament, aucune pharmacie n'en avait de disponible.»

Un autre patient, Bernard, 72 ans, atteint d'un cancer de la vessie, évoque ses craintes : «La première fois, je l'ai très mal vécu. Mon médecin me dit, on va attendre un peu, parce qu'il n'y a pas de médicaments. J'étais choqué, j'ai un cancer et on ne peut pas me soigner. On se retrouve avec rien, on n'est pas soigné en France, on n'est pourtant pas au fin fond du monde.» Et il ajoute : «Je connais une personne qui était au stade 3, elle est passée au stade 4 parce qu'elle n'a pas eu de médicament. C'est grave, c'est anormal.» Enfin, ce patient atteint d'un cancer des testicules : «J'aurais aimé le savoir avant. J'ai fait une première cure avec le produit qui a été en pénurie et que j'ai mal supporté au niveau pulmonaire. Ça n'a servi à rien.»

«Incompréhension, inquiétude et colère»

Rassemblés par la Ligue, ces dizaines de témoignages dessinent un paysage thérapeutique incertain. D'autant que ce phénomène de manque n'est pas nouveau, en tout cas il n'est pas imputable à l'épidémie de Covid. Le professeur Axel Kahn, qui préside la Ligue, le rappelle avec force : «Avec 1 499 médicaments signalés en difficulté ou rupture d'approvisionnement auprès de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), l'année 2019 atteint un record. C'est 34 fois plus de pénuries signalées qu'en 2008.» En 2018, on en dénombrait 868. Ce n'est certes pas un phénomène touchant uniquement la France ou l'Europe, mais aujourd'hui il prend de l'ampleur. En France, selon l'étude la Ligue, «parmi les 500 professionnels interrogés, 74% ont déclaré avoir déjà été confrontés à des pénuries de médicaments utilisés contre le cancer pendant leur carrière». Ils sont également trois quarts à avoir le sentiment que les pénuries de médicaments contre le cancer s'aggravent depuis dix ans. Et 95% des pharmaciens hospitaliers disent les subir.

Que faire ? S'y habituer et vivre avec ces pénuries ? L'enquête de la Ligue, pour la première fois, évoque les conséquences de ces ruptures répétées de stocks. Elles ne sont pas anodines. Ainsi, «94% des malades qui y ont été confrontés associent l'annonce de l'indisponibilité de leur traitement contre le cancer à des sentiments négatifs : incompréhension, inquiétude et colère ensuite. C'est une nouvelle extrêmement pénible à supporter.»

Paysage mondialisé

Plus troublant : «75% des professionnels soignants interrogés sont d'accord pour dire que, malgré l'existence des traitements de substitution, les pénuries de médicaments utilisés contre le cancer entraînent une perte de chances pour les personnes malades.» 45% des professionnels interrogés dans l'enquête font «le constat d'une détérioration de la survie à cinq ans de leurs patients qui sont victimes de pénuries de médicaments contre le cancer. Ce pourcentage s'élève à 68% parmi les oncologues qui ont fait l'expérience des pénuries».

Dans ce contexte, les pouvoirs publics ont pris leur temps. Il a fallu ainsi près de deux ans pour que le gouvernement se décide à se montrer plus contraignant vis-à-vis des firmes pharmaceutiques en imposant des stocks aux industriels, sans menaces néanmoins à la clé. Il est vrai que le contexte mondial reste compliqué. Faut-il rappeler qu’aujourd’hui, seuls 22% des médicaments remboursés en France sont produits localement – soit 17% des principaux médicaments utilisés à l’hôpital et 2% des anticancéreux.

Dans ce paysage mondialisé, avec une demande croissante, la Ligue insiste sur la transparence qui fait encore cruellement défaut. Et demande «le recensement par les pouvoirs publics, de façon systématique, des personnes qui n'ont pas eu accès au médicament prescrit en premier lieu». Mais aussi «la mise en place d'un système d'information sur les pénuries de médicaments, à destination des professionnels de santé et particulièrement ceux exerçant en ville. Ce système d'information doit permettre de renforcer la transparence sur l'origine, la durée et l'historique de ces pénuries». Et enfin, bien sûr, «la mise en place d'études pour mesurer les pertes de chances causées par les pénuries. Elles doivent être réalisées par une autorité publique et indépendante».

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus