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C’est une affaire emblématique de la dégradation des libertés en Algérie. Incarcéré depuis le 28 mars, le journaliste Khaled Drareni a été condamné en appel, mardi 15 septembre, à deux ans de prison ferme par la cour d’Alger.
Jugé pour « incitation à un attroupement non armé et atteinte à l’intégrité du territoire national », il avait été condamné en première instance, le 10 août, à trois ans de prison ferme.
L’état de santé du journaliste, qui est apparu combatif, mais amaigri lors de son procès en appel le 8 septembre, inquiète ses proches. « Il est détenu dans des conditions qui nous sont quasiment inconnues. La famille n’a jamais été autorisée à lui rendre visite, toutes ses demandes ont été refusées. Il n’a pu passer que quatre appels téléphoniques les deux premiers mois », témoigne son frère, Chakib Drareni.
Très présent à travers ses directs sur les réseaux sociaux, intervenant régulièrement sur la chaîne TV5 Monde, dont il est le correspondant, et animateur d’une émission hebdomadaire sur Radio M à Alger, Khaled Drareni est un des « visages » du Hirak algérois, le mouvement de protestation qui a secoué le pays. Arpenter les manifestations dans la capitale, c’était l’assurance de croiser sa silhouette longiligne, son smartphone fixé au bout d’une perche.
Dans le collimateur des autorités
Il n’était pas inconnu des Algériens. Le journaliste a quinze ans de carrière dans la presse écrite et en ligne, la radio et la télévision, publique et privée. Une notoriété qui a agacé le pouvoir.
Convoqué ou interpellé chez lui à trois reprises par la Direction générale de la sécurité intérieure (qui dépend de l’armée), il s’était vu intimer l’ordre de mettre fin à ses activités et de s’abstenir de couvrir les manifestations comme les activités de l’opposition politique et associative.
Il avait refusé de se plier aux injonctions des hommes du général Ouassini Bouazza, tout-puissant patron du contre-espionnage, emporté par les guerres intestines au sommet du pouvoir et dont la chute, en avril, n’a pas mis fin à la répression ni au harcèlement judiciaire à l’encontre des opposants.
Rencontré en février à Alger, Khaled Drareni se savait dans le collimateur des autorités : « Ils veulent étouffer toutes les voix divergentes et museler la presse indépendante. Il s’agit d’isoler le Hirak. Il est important de tenir et, pour les journalistes, de s’organiser », confiait-il alors.
Contester sa qualité professionnelle
Le 28 février, tandis qu’une manifestation s’ébranle en bas de chez lui à Alger, il est arrêté à son arrivée sur les lieux. L’épidémie de Covid-19 n’a pas encore mis un terme aux manifestations et la crainte de voir les opposants défiler le samedi, en plus des traditionnelles marches du mardi et du vendredi, accroît la nervosité des autorités. Une fébrilité confirmée a posteriori par le procureur lors du procès en appel, le magistrat reprochant aux manifestants de « fatiguer les forces de l’ordre ».
Inculpé, Khaled Drareni est relâché le 10 mars et placé sous contrôle judiciaire. Pendant son audition, ses interrogateurs lui dénient sa qualité de journaliste. « Il y en a un qui m’a dit que je n’étais pas journaliste car je n’avais pas fait d’études de journaliste. Je suis journaliste depuis le premier jour et je continuerai à couvrir les manifestations, toutes les manifestations pacifiques auxquelles participent les citoyens », assure-t-il à sa sortie de garde à vue. Le 27 mars, il est à nouveau arrêté et placé en détention provisoire.
Contester la qualité professionnelle de Khaled Drareni est, dès lors, un angle d’attaque que l’appareil judiciaire et les personnalités politiques du pouvoir ne cesseront d’employer, la loi algérienne ne permettant pas de détenir un journaliste. Face au tollé provoqué par la condamnation, le ministre de la communication, Amar Belhimer, affirme ainsi que M. Drareni « n’a jamais été détenteur de la carte de presse professionnelle ». Or aucun journaliste exerçant en Algérie n’est en possession d’une carte de presse valide, la Commission de la carte nationale de journaliste n’ayant jamais été installée, soulignent les défenseurs de M. Drareni.
Triste ironie : M. Belhimer avait lui-même été l’invité de Khaled Drareni dans une émission que ce dernier présentait sur une chaîne privée, en 2016. Parmi les autres personnalités qu’il a interviewées, certaines ont depuis accompli un sacré bout de chemin. A commencer par Abdelmadjid Tebboune, venu sur son plateau en 2016 en tant que ministre de l’habitat et aujourd’hui chef de l’Etat.
« Accusation stupide »
Autre invité de marque : Emmanuel Macron. Interrogé en février 2017 par le journaliste algérien, le chef de l’Etat français reconnaît que le « colonialisme » est un « crime contre l’humanité ». Une déclaration qui va ouvrir la voie à un travail mémoriel que les deux pays entendent aujourd’hui mener.
« Khaled Drareni a interviewé Macron et lui a arraché un aveu que nos politiques n’ont jamais réussi à obtenir d’un responsable français. Au lieu de l’honorer, on le jette en prison pour une accusation stupide », s’est exclamé l’un de ses défenseurs, Me Abdelghani Badi, lors de l’audience du procès en appel du 8 septembre. Sur le fond, le journaliste se voit reprocher une critique du régime sur Facebook et d’avoir relayé un communiqué d’une coalition de partis politiques de l’opposition, parfaitement légaux.
Dans un dossier que les avocats présentent comme « vide », d’autres accusations, proférées en dehors de tout cadre procédural, ont alimenté les débats. A commencer par celles de « collusion » avec des ONG étrangères.
Pis, l’insinuation d’une « collaboration », voire « intelligence » avec l’étranger est relayée depuis le sommet même de l’Etat. Le président Abdelmadjid Tebboune l’a ainsi qualifié – sans le nommer – de khbardji (« mouchard »). Les services de sécurité reprochant au journaliste d’avoir honoré une invitation dans une ambassade après qu’ils l’ont interrogé.
La formule présidentielle choque la famille du détenu, qui rappelle que le père de Khaled Drareni est un ancien combattant de la guerre de libération et que son oncle, mort au combat, a été un fondateur de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA). « C’est décevant. Nous avons grandi dans une maison où l’on a été éduqués dans l’amour de notre pays », précise son frère. Khaled Drareni a, lui, toujours affirmé ne pas concevoir exercer son métier ailleurs qu’en Algérie.
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