Peintre perfectionniste, inventeur visionnaire, anatomiste, cartographe, fêtard à ses heures et séducteur-né : Léonard de Vinci incarne le génie universel. Cinq cents ans après sa mort, sa créativité et ses intuitions stupéfiantes en matière de science nous fascinent encore. Pour saisir toute la force de son œuvre et percer quelques uns de ses secrets les plus précieux, nous vous proposons d’explorer en détail les multiples facettes du « maître du sourire ». Immersion immédiate !
Un destin de prodige
Fruit de l’union illégitime entre un notaire et une paysanne, Léonard est né le 15 avril 1452, dans le petit village de Vinci, non loin de Florence. Au milieu de la nature, l’enfant trouve « le maître des maîtres ». Tout au long de ses quarante-six années de carrière, passée pour l’essentiel à Florence et à Milan, Léonard de Vinci fait preuve d’un appétit vorace pour la connaissance. Les pages de ses carnets, constellées de dessins et de notes, témoignent de ses recherches incessantes, dans tous les domaines de la science. Tout commence dans l’atelier d’Andrea del Verrocchio à Florence, où il se forme et côtoie les grands artistes et ingénieurs de la Renaissance. Seul, il vendra tour à tour ses services aux ducs, princes, papes et rois, de Ludovic Sforza à François Ier. Beau, fort et élégant, Léonard charme ses contemporains.
1452
Le 15 avril, Léonard naît dans la petite ville de Vinci où il passe toute son enfance.
1469
À Florence, Léonard entre dans l’atelier (bottega) d’Andrea del Verrocchio, l’un des artistes les plus importants de l’époque.
1471
Travaillant sur une commande avec son maître, Léonard signe son premier coup d’éclat avec l’ange du Baptême du Christ.
1482
Léonard entre au service du duc de Milan, Ludovic Sforza.
1503
Il entame le portrait de Monna Lisa.
1513
Il se rend à Rome pour servir Julien II de Médicis.
1516
En réponse à l’invitation de François Ier, Léonard part s’installer en France.
1519
Il meurt le 2 mai au château du Clos Lucé, à l’âge de 67 ans.
Pourquoi incarne-t-il le génie de la Renaissance ?
Léonard de Vinci, Proportions du corps humain, selon Vitruve (L’Homme de Vitruve) [détail], vers 1490
Plume, encre et lavis sur pointe de métal • 34,4 x 24,5 cm • Coll. Galerie dell'Accademia, Venise • © Luisa Ricciarini / Leemage
Le destin de Léonard s’inscrit dans une des périodes les plus riches et foisonnantes de l’Histoire : la Renaissance.
En Europe, un souffle nouveau
En 1452, Léonard naît dans une Italie transformée. Du XIIIe au XVIe siècle, Florence est l’une des cités les plus florissantes d’Europe et un véritable vivier d’artistes, rivalisant de génie. L’Antiquité est alors une source majeure d’inspiration : des découvertes archéologiques génèrent un engouement pour cet héritage, les traités de géométrie et d’architecture – tels les théorèmes d’Euclide – s’élaborent et des principes comme la perspective édictent de nouvelles règles de la beauté. Une figure apparaît : l’humaniste. Il connaît la langue et la civilisation grecque et latine mais transmet aussi son savoir dans les universités ou chez un seigneur.
Vinci
1452-1464
La première œuvre connue de Léonard, datée du 5 août 1473, montre un paysage de la vallée de l’Arno, un panorama de son enfance qui le marque durablement. Exécuté à la plume, ce dessin dévoile le talent précoce du jeune homme de 21 ans. Léonard est fasciné par l’eau et son pouvoir d’effervescence. Sur ce dessin, la perspective est reléguée au second plan, ce qui prime est la verticalité des roches et la représentation de la nature.
Florence
1464-1482 et 1500-1506
Florence, dirigée par les Médicis, est alors une cité florissante et un extraordinaire vivier d’artistes. Bien que peintre indépendant, Léonard travaille encore dans l’atelier de Verrocchio, où il s’est formé, lorsqu’il réalise ce tableau qui porte encore l’influence du maître, notamment dans la perspective et le paysage maîtrisé.
Milan
1482-1499 et 1506-1513
Peintre à la cour de Milan, Léonard réalise ce portrait de Cecilia Gallerani, la discrète maîtresse de Ludovic Sforza au service duquel il œuvre. Elle pose ici de trois-quarts, lumineuse et sereine, tenant contre son cœur une hermine. L’animal est une allusion à l’emblème du duc et aux sentiments que la dame lui porte.
Rome
1513-1516
Lorsque Léonard de Vinci quitte Rome et part pour la France en 1516, il emporte avec lui ce portrait de saint Jean-Baptiste. On y voit un jeune homme sensuel, le torse nu, surgissant d’un fond obscur et pointant le ciel du doigt, invitant à lever les yeux vers un infini divin.
Amboise
1516-1519
Dans le Val de Loire où il se rend sur invitation de François Ier, Léonard est installé au château du Clos Lucé, tout près de la cour royale qui séjourne à Amboise. Fatigué et paralysé de la main droite, Léonard ne peint plus mais organise des fêtes somptueuses. Son projet de cité idéale pour Romorantin n’aboutira jamais. Il meurt en 1519.
De Florence à Amboise
1516
Alors âgé de 63 ans, Léonard est invité à Amboise par François Ier et s’engage dans un long et fatiguant voyage de 1500 km. À dos d’âne, il traverse les Alpes accompagné d’un élève, d’hommes d’armes et de trois immenses chefs-d’œuvre : la Sainte Anne, le Saint Jean-Baptiste et la fameuse Joconde. Venant de la vallée d’Aoste puis empruntant la vallée de Montjoie, l’équipée franchit le col du Bonhomme en décembre 1516. Devant ce paysage alpin de sommets enneigés il dessine et écrit : « Notre corps est au-dessous du ciel et le ciel au-dessous de l’esprit ». Il traversera ensuite Grenoble et Lyon avant d’atteindre les rives de la Loire qui le conduiront à sa dernière demeure.
Au service du pouvoir
Habile courtisan, Léonard savait s’attirer les faveurs des puissants qui appréciaient ses talents universels. En 1482, alors qu’il est âgé de 30 ans, Léonard de Vinci est à la recherche d’un emploi et adresse à Ludovic Sforza, gouverneur du duché de Milan, une audacieuse lettre de motivation.
Vitruve, architecte et ingénieur, rédigea en 15 av. J.-C. un traité d’architecture dédié à son maître l’empereur Auguste. Il y inséra un dessin représentant les proportions idéales – divines – du corps humain (inscrites dans un cercle et un carré), qui va fasciner les hommes de la Renaissance. Après la version maladroite de il Taccola, Léonard s’attelle à cette tâche vers 1490 dans ce qui deviendra son dessin le plus célèbre.
Ses multiples talents
Ingénieur militaire
Dans sa lettre d’introduction au seigneur de Milan, Léonard consacre neuf paragraphes (sur dix) à décrire ses talents d’ingénieur militaire. Pour Sforza, il imagine sur papier quantité d’engins de guerre : des chars blindés, d’épouvantables attelages munis de lames pour découper l’ennemi, une arbalète de 25 mètres d’envergure… Destinées avant tout à impressionner le duc, ces inventions débridées ne seront pas réalisées.
Botaniste
La centaine de plantes et de fleurs finement dessinées dans ses carnets prouvent que Léonard s’intéressait beaucoup à la botanique. Il est d’ailleurs le premier à deviner le rôle du Soleil dans la croissance des plantes ! Parmi les plus beaux exemples de cette passion : son décor de 270 m² au plafond réalisé pour son protecteur Ludovic Sforza où s’épanouissent des branches de mûrier avec force détails.
Anatomiste
S’il est un domaine où Léonard est en avance sur son temps, c’est bien celui de l’anatomie. Aujourd’hui encore, ses dessins décrivant l’intérieur du corps humain fascinent. Il est l’un des premiers à comprendre que le cœur — et non le foie — se trouve au centre du système sanguin !
Organisateur de fête
Léonard de Vinci, party planner ? Pour ses protecteurs, Ludovic Sforza, le duc de Milan, puis pour François Ier, son dernier mécène à Amboise, il organise des banquets et des fêtes somptueuses et conçoit de luxueux décors, costumes et automates destinés à éblouir les invités et à renforcer le prestige de ses hôtes.
Ce lion cracheur de fleurs est l’une des seules inventions qui ait vraisemblablement été construite du vivant de Léonard. L’automate aurait été conçu pour marcher jusqu’à François Ier et laisser tomber à ses pieds des fleurs de lys, à la fois blason de Florence et symbole de la royauté française.
D'intrigants codex
Astronomie, architecture, géologie… Véritable graphomane, Léonard de Vinci a noirci de ses recherches des milliers de feuillets, dont au moins la moitié a été perdue. Rédigés de son écriture en miroir, caractéristique du gaucher qu’il était, ces codex illustrent une incessante quête de savoir, même si ses inventions resteront à l’état de papier. Après sa mort, Francesco Melzi, son fils adoptif, s’attellera à rassembler les manuscrits du maître, notamment pour publier un Traité de la peinture, projet dont rêvait Léonard. En vain. Aujourd’hui cette quantité de manuscrits est dispersée dans le monde entier. On peut toutefois consulter librement l’un des plus fameux d’entre eux.
Pourquoi sa peinture
est-elle si unique ?
Léonard de Vinci, La Vierge aux rochers [détail], 1483-1486
Huile sur bois transposé sur toile • 199 x 122 cm • Coll. musée du Louvre, Paris • © RMN-GP / Michel Urtado
Se revendiquant autant artiste qu’ingénieur ou scientifique au gré des circonstances, Léonard n’en a pas moins placé la peinture au-dessus de tout. Penseur et expérimentateur curieux, autodidacte avide de connaissances, il allie, comme personne avant lui, explorations techniques, pensée théorique et pratique picturale virtuose. Mais combien de tableaux a t-il vraiment peint ? Comment procédait-il au sein de son atelier ?
Ses armes secrètes
La science du dessin
Léonard observe, scrute, analyse, dissèque : il embrasse « l’œuvre infinie de la nature » avec une extraordinaire capacité à capter la vivacité de son sujet. Ses grotesques, bien qu’aux traits exagérés, témoignent de son attirance tant pour le sublime que pour les difformités. Il aimait le contraste, pousser l’étude et la réflexion au-delà de la nature elle-même.
La primauté de la perspective
Pour Léonard de Vinci, « la perspective doit être mise au premier rang de toutes les sciences et disciplines humaines, car elle couronne tant les mathématiques que les sciences naturelles. » Il en distingue trois types : la perspective linéaire, soucieuse de la juste diminution des choses à mesure qu’elles s’éloignent de l’œil ; la perspective des couleurs qui altère celles-ci, là encore, en fonction de leur éloignement. Et toujours selon le même principe, la perspective d’effacement, qui rend les choses moins nettes proportionnellement à leurs distances.
La magie du sfumato
C’est la plus remarquable invention picturale de Léonard ! Autant que l’on puisse en juger, les matériaux utilisés par le maître sont conformes à ceux de ses contemporains : c’est l’usage qu’il en fait qui est neuf. Il pose la couleur en nombreuses couches transparentes sur l’imprimatura, technique consistant à travailler sur un fond préalablement coloré, et joue de l’opacité du blanc de plomb et de la translucidité de l’huile. Léonard de Vinci n’est pas l’un de ces « beaux-parleurs » qui charme par des couleurs éclatantes, mais un véritable illusionniste qui restitue les variations de la lumière.
Qui n’aurait pas voulu avoir le grand Léonard de Vinci comme professeur de dessin ? Dans ses notes, le maître dévoile une intelligence picturale faite de va-et-vient entre une connaissance approfondie des mécanismes de ce monde, la perception de la nature par l’œil et sa restitution.
Sainte Anne, de l’ébauche au chef-d’œuvre
À partir de 1500, Léonard travaille à son chef-d’œuvre ultime : une Sainte Anne commandée à l’origine par le roi de France, Louis XII, mais jamais livrée ni achevée. Pendant une quinzaine d’années le maître multiplie les esquisses, jusqu’à obtenir la composition qui conjugue à la perfection la forme et le sens. D’une beauté vertigineuse...
1. L’ébauche
Les travaux préparatoires permettent d’observer les recherches du peintre, ses essais de composition et d’agencement, pour parvenir au résultat le plus expressif.
2. Le carton
Ce carton diffère du tableau final par la représentation de saint Jean-Baptiste à la place de l’agneau. Sa composition est moins dynamique, plus linéaire. Selon Giorgio Vasari, biographe de Léonard et des grands artistes de la Renaissance, nous savons que ce premier carton (à l’attribution controversée), lorsqu’il fut exposé au public florentin, a provoqué « un afflux continuel deux jours durant d’hommes et de femmes (...) désireux de contempler les prodiges de Léonard, qui faisaient naître chez tous ces gens une immense stupéfaction ».
3. Le prototype
C’est l’une des originalités du travail de Léonard : une fois que le maître a l’idée de l’œuvre qu’il veut exécuter, il dirige et corrige ses collaborateurs qui copient ses formes et réalisent une sorte de prototype expérimental – que Léonard reprend ensuite pour le tableau final. Ici, les détails, notamment dans les paysages, sont moins beaux, mais plus achevés que dans la version finale du maître.
4. Le chef-d’œuvre
Cette peinture est restée inachevée car l’artiste n’a cessé de reprendre son œuvre pour atteindre la perfection. Par rapport aux versions antérieures, on retrouve la construction pyramidale, accentuée par la verticalité de sainte Anne, gage de stabilité. Sur ses genoux, la Vierge, véritable moteur, insuffle du dynamisme à la scène et sert de lien avec Jésus et l’agneau. Le bras droit figurant même symboliquement un cordon ombilical. Chaque figure est ainsi imbriquée l’une dans l’autre. La trinité est ici, selon les mots de l'historien de l'art Daniel Arasse, « un ensemble organique vivant » renforcé par l’échange des regards.
4. Le chef-d’œuvre
Cette peinture est restée inachevée car l’artiste n’a cessé de reprendre son œuvre pour atteindre la perfection. Par rapport aux versions antérieures, on retrouve la construction pyramidale, accentuée par la verticalité de sainte Anne, gage de stabilité. Sur ses genoux, la Vierge, véritable moteur, insuffle du dynamisme à la scène et sert de lien avec Jésus et l’agneau. Le bras droit figurant même symboliquement un cordon ombilical. Chaque figure est ainsi imbriquée l’une dans l’autre. La trinité est ici, selon les mots de l'historien de l'art Daniel Arasse, « un ensemble organique vivant » renforcé par l’échange des regards.
Sainte Anne, la figure originelle
Avec son sourire typiquement léonardesque, sainte Anne adresse un regard tendre et protecteur à sa fille et son petit-fils. Après avoir expérimenté dans des esquisses un visage plus marqué par la vieillesse, Léonard a finalement opté pour une sainte Anne plus douce et jeune. Son âge est cependant signifié par le voile et par sa position qui domine l’ensemble. Elle est la figure suprême des origines, celle par qui tout est engendré.
La Vierge au visage de lumière
Nimbé d’un subtil sfumato, le visage incliné de la Vierge irradie et fait l’effet d’une caresse qui balaye le tableau. Le teint diaphane, les yeux dépourvus de sourcils, les traits tout en rondeur, elle incarne la figure maternelle pleine de grâce. La masse moussue de ses cheveux formée de fines boucles ajoute encore à l’effet vaporeux. Son sourire est toutefois plus ambigu que celui de sainte Anne : on peut y lire de l’amusement, mais aussi de la mélancolie.
Un enfant Jésus à visage humain
Dépourvu d’auréole, le visage tendre et poupin, le fils de Dieu présente un aspect humain et regarde sa mère comme n’importe quel enfant. Son jeu avec l’agneau, qui peut paraître innocent, se révèle cependant violent (il lui tord le cou) et annonce le sacrifice à venir. Les deux êtres tendent même à se confondre, pieds et pattes s’entremêlant.
Un paysage montagneux
À l’arrière-plan, comme dans La Joconde, apparaît une vaste étendue de montagnes escarpées et de cours d’eau. La perspective atmosphérique est subtilement rendue et permet de dissoudre le paysage dans l’horizon lointain. On pourrait croire que ce décor idyllique renvoie à un état primitif du monde mais de minuscules villages ont été décelés en contrebas des montagnes.
Au bord du précipice
Si ce précipice rocheux permet de tenir à distance le spectateur, il vient également signifier la stabilité du groupe face à l’abîme terrestre. La terre rocailleuse fait écho au paysage de l’arrière-plan et matérialise la Terre sur laquelle est descendu Dieu fait homme pour sauver l’Humanité. La restauration de l’œuvre en 2011 a permis de découvrir la présence, parmi les cailloux, de petits fossiles et d’eau, référence à la genèse du monde ainsi qu'au baptême.
Sainte Anne et ses doublures…
La formule iconographique de cette Sainte Anne de Léonard est si innovante qu’elle a rapidement été reprise par divers artistes. Et les variantes sont parfois… déconcertantes. Ici un rideau dévoile la scène, là un Joseph a été ajouté, ailleurs une ville a surgi dans le décor !
Des attributions controversées
Un corpus de quinze à vingt : pas plus ! C’est le chiffre que les spécialistes admettent à propos des peintures de Léonard de Vinci. Focus sur quatre œuvres qui ont fait débat.
La Belle Ferronnière
Attribuée à De Vinci en 1642, la paternité de cette œuvre a longtemps été discutée jusqu’à ce qu’une étude scientifique, publiée en 2008, ne démontre que le noyer utilisé en support est le même que celui de La Dame à l’hermine, dont l’attribution est 100% sûre.
La Belle Princesse
Au cœur d’une interminable controverse, ce dessin à la craie sur vélin n’a rien d’un Léonard de Vinci : le rattachement du cou au buste est médiocre, l’épaule est mal définie, la paupière inférieure de l’œil est conçue sans adresse... autant d’éléments indignes du grand maître italien.
La Vierge au fuseau
Au printemps 1501, Léonard reçoit la commande pour le secrétaire du roi de France d’une Madone au fuseau. L’œuvre est connue grâce à de multiples copies (dont celle-ci) provenant de l’atelier du maître. On y voit la Vierge tenant dans ses bras l’Enfant Jésus devant un paysage léonardesque, composé de montagnes rocheuses.
Le Musicien
Cette peinture divise les spécialistes. Exécutée sur du bois de noyer, elle est inachevée par endroits (notamment le bonnet et le manteau) et certaines ombres malhabiles – comme celles du cou et de la lèvre supérieure – pourraient être dues à des repeints ultérieurs. Certains détails du visage font penser à Léonard mais le doute demeure. La raideur du musicien et la dureté de certains contrastes ont fait pencher l’attribution vers deux collaborateurs du maître, Giovanni Antonio Boltraffio et Ambrogio de Predis.
Pourquoi a-t-il été adopté par la France ?
Gabriel Lemonnier, Le Siècle de François Ier [détail], XVIIIe siècle
Huile sur toile • 64 x 96 cm • Coll. Musée des Beaux-Arts, Rouen • © Photo Josse / Leemage
De son vivant, la notoriété de Léonard de Vinci excédait déjà les Alpes. En 1516, l’artiste cède à l’invitation enthousiaste de François Ier et quitte l’Italie pour un voyage sans retour en France. À la cour d’Amboise, dans le Val de Loire, outre ses carnets, il emporte trois tableaux, sa Sainte Anne, son Saint Jean-Baptiste et sa fameuse Joconde. À sa mort, à 67 ans, François Ier en deviendra l’heureux propriétaire. Redécouvert au XIXe siècle, le maître suscite une véritable fascination, de Stendhal à Ingres, pour devenir un mythe national attirant au musée du Louvre les foules du monde entier.
Un ambassadeur sous le charme
Avant de rencontrer François Ier en 1515, Léonard entretenait déjà des liens forts avec la France, et notamment avec l’ambassadeur français à Milan, Charles II d’Amboise. Dans une lettre du 16 décembre 1506, adressée à la seigneurie de Florence, il clame son amour pour Léonard de Vinci, arrivé dans la ville quelques mois plus tôt pour des travaux, probablement d’ingénierie militaire :
« Les excellents ouvrages qu’a laissés en Italie et surtout dans cette ville (Milan) maître Léonard de Vinci, votre citoyen, ont incité tous ceux qui les ont vus à l’aimer de façon particulière sans même l’avoir rencontré. »Léonard à la cour de François Ier
À la mort de Julien de Médicis en 1516, Léonard est privé de mécène. Il accepte alors l’invitation de François Ier qui lui voue une admiration absolue, et traverse, selon la légende, les Alpes à dos d’âne. Léonard embarque avec lui Sainte Anne, Saint Jean-Baptiste et La Joconde. Il est installé dans le Manoir du Cloux, actuel Clos Lucé, qui communique avec la cour du château royal. Honoré par sa présence, François Ier le consulte régulièrement et le charge, en plus d’organiser de superbes fêtes, de réhabiliter et d’embellir la ville de Romorantin. Ce projet colossal de cité idéale ne sera cependant jamais concrétisé, la mort rattrapant le vieil homme.
Un génie est mort, une légende est née
Le 2 mai 1519, Léonard de Vinci rend son dernier souffle à Amboise. François Ier était très attaché au maître italien qu’il appelait « mon père ». Cette affection a traversé le temps et en 1818, lorsque Jean-Auguste-Dominique Ingres immortalise la mort de Léonard, il place le roi à son chevet. Il n’était en vérité pas présent, mais cette légende est à la hauteur du couple mythique que formaient les deux hommes.
Selon un sondage réalisé par Beaux Arts Magazine en avril 1992, Léonard de Vinci est l’artiste favori des Français. Au micro de la documentariste Pascale Charpentier sur France Culture, l’historien de l’art Daniel Arasse, spécialiste de Léonard de Vinci, revient sur les raisons de cette passion. (Vous pouvez aussi podcaster l'émission sur le site de France Culture).
Pourquoi La Joconde
est-elle si célèbre ?
Léonard de Vinci, La Joconde [détail], vers 1503-1519
Huile sur bois • 77 x 53 cm • Coll. musée du Louvre, Paris • © RMN-GP / Michel Urtado
Icône absolue de l’histoire de l’art, œuvre la plus visitée au monde, la plus commentée aussi, à jamais insaisissable avec son regard qui nous suit des yeux pour ne plus nous lâcher, La Joconde nous semble éternelle. Et pleine de mystères ! Ces dernières années, les analyses scientifiques et recherches menées ont permis de lever le voile sur quelques énigmes de ce chef-d’œuvre, sans éviter les théories les plus farfelues.
Qui est-elle ?
Un homme travesti ? Une florentine proche des Médicis ? Isabelle d'Este ? Si l’identité du modèle a fait couler beaucoup d'encre et a suscité quelques idées folles, la théorie la plus probable est celle de Giorgio Vasari, grand biographe de la Renaissance. Il s’agit, selon lui, d’une commande, qui n’a jamais été livrée, de Francesco del Giocondo, un marchand de soie florentin. Le tableau serait le portrait de son épouse Lisa Gherardini – Monna Lisa –, une jeune femme de 25 ans qui venait probablement de lui donner un fils.
L'ombre d'un sourire
Un des plus beaux exemples du fameux sfumato de Léonard de Vinci. Cette technique virtuose, tout en nuances, confère au sourire de La Joconde cette lecture ambiguë, cette impression d'énigme qui a fait sa légende. Aussi, Monna Lisa incarne-t-elle la figure universelle de la sérénité à laquelle renvoie son nom, Gioconda, évoquant le terme jucundus, soit « plaisant », « agréable », « heureux ».
Sous le voile
Des analyses par rayons infrarouges et ultraviolets réalisées en 2004 laissent penser que ce voile d’une extrême finesse pourrait être un guarnello, une gaze transparente que portait à l’époque les femmes enceintes ou qui venaient d’accoucher. Les examens ont aussi révélé que la chevelure ceinte par le voile noir était ramassée par un chignon plat, peut-être couvert d’un bonnet, coiffure que portaient les jeunes mères.
Un regard nu
C’est l’élément de force du tableau. Dépourvu de sourcils et de cils, le visage de La Joconde est totalement épilé. Si longtemps les spécialistes ont cru qu’il s’agissait là d’une mode de la Renaissance, des analyses récentes portent à croire que La Joconde était bien pourvue à l’origine de sourcils, mais que ceux-ci ont été effacés avec le temps.
De précieux habits
Le rendu du textile est subtil et fin. Le mari du modèle présumé étant marchand d’étoffes, il n’est pas surprenant que tant d’attentions aient été accordées à ces détails !
Étrange décor
Traité selon une perspective époustouflante, le paysage atmosphérique à l’arrière-plan, restitué avec une incroyable profondeur pour finir par se perdre dans le ciel, est un étrange mélange associant lac, volcans et forêt. Il aurait été inspiré à l’artiste lorsqu’il partit pour Milan. Des historiens de l’art y ont décelé des points communs avec la région de Montefeltro.
Étrange décor
Traité selon une perspective époustouflante, le paysage atmosphérique à l’arrière-plan, restitué avec une incroyable profondeur pour finir par se perdre dans le ciel, est un étrange mélange associant lac, volcans et forêt. Il aurait été inspiré à l’artiste lorsqu’il partit pour Milan. Des historiens de l’art y ont décelé des points communs avec la région de Montefeltro.
On a volé La Joconde !
La popularité de La Joconde explose après sa disparition en 1911, qui fait la une des journaux du monde entier.
Stupeur au Louvre le 22 août 1911 : La Joconde a disparu des cimaises du musée, laissant un vide béant. C’est le branle-bas de combat à la Préfecture de police qui dépêche des dizaines d’inspecteurs. Parmi les suspects figurent deux personnages bien connus : le poète Guillaume Apollinaire (emprisonné à cause de son ancien secrétaire qui avait dérobé des statuettes au Louvre) et Pablo Picasso (qui lui avait acheté des statuettes). Des récompenses de 60 000 francs sont offertes. L’affaire fait le tour du monde. L’œuvre est finalement retrouvée en décembre 1913. Le voleur, Vincenzo Peruggia, est un vitrier spécialisé dans la mise sous verre des tableaux du musée. Il a conservé l’œuvre dans sa chambre avant de la proposer à un antiquaire florentin qui décide de prévenir la police. Ses avocats expliquent son acte par un sentiment de patriotisme et il n’écope que de dix-huit mois de prison... En janvier 1914, La Joconde fait un retour triomphal au Louvre.
La Joconde en voyage
Exposée au Louvre depuis 1793, la précieuse et fragile Joconde a effectué très peu de voyages. Après un séjour aux États-Unis de 1962 à 1963, elle part au Japon et fait une escale à Moscou en 1974, avant de revenir définitivement à Paris. Ses déplacements ont chaque fois fait l’objet d’importantes mesures de sécurité, comme en témoignent les images d’archives.
Jocondomanie, jocondalâtrie, jocondophilie… Aucune autre œuvre au monde ne peut se targuer d’une telle popularité. Quand elle n’est pas détournée par les artistes tels que Marcel Duchamp (L.H.O.O.Q., 1919) ou Fernand Léger (La Joconde aux clés, 1930), elle inspire la littérature, la publicité ou le cinéma. En 1967 elle est même la star d’un court-métrage primé à Cannes. Réalisé par Henri Gruel avec les commentaires désopilants de Boris Vian, La Joconde : histoire d’une obsession est un petit bijou de drôlerie mêlant animation et prise de vue réelle. En musique aussi Monna inspire : détestée pour son « son rictus immonde » par Serge Gainsbourg, elle est chantée avec humour par Barbara ou adulée comme une fashionista par Will.i.am dans « Mona Lisa Smile ». Écoutez… et souriez !
L’homme de tous les fantasmes...
Léonard de Vinci, Saint Jean-Baptiste [détail], vers 1513-1516
Huile sur bois • 69 x 57 cm • Coll. musée du Louvre, Paris • © RMN-GP / Tony Querrec / presse
De son vivant, Léonard de Vinci était déjà reconnu pour ses qualités hors du commun. Grâce à la fascination des peintres, poètes et écrivains, qui l’ont rendu immortel, au fil des générations, un mythe est né.
Grand défenseur de la vie animale, amateur de gastronomie, architecte de cité idéale, concepteur de machines volantes… Léonard de Vinci était un insatiable curieux, en avance sur son temps dans de nombreux domaines. Et chaque année nous apporte son lot de découvertes nouvelles – comme de théories farfelues – qui contribuent à entretenir son aura magnétique.
Le peintre de tous les records !
Cinq cent ans après sa mort, Léonard de Vinci continue de déchaîner les passions. L’exemple le plus éclatant remonte au 15 novembre 2017, où dans une fameuse salle des ventes londonienne le Salvator Mundi, tableau attribué à Léonard, battait tous les records : en moins de vingt minutes, l’œuvre a été adjugée pour une somme stratosphérique de 400 millions de dollars !
L'exposition événement au musée du Louvre
Cinq cents ans après sa mort, la fièvre Léonard de Vinci s’empare du musée du Louvre. Cette méga-exposition réunissant près de 160 œuvres est l'aboutissement de dix années de travail des conservateurs du musée du Louvre et de négociations acharnées afin d’obtenir les prêts les plus prestigieux. Un événement qui promet de battre des records de fréquentation. Réservation impérative !
Léonard de Vinci
Du 24 octobre 2019 au 24 février 2020
Musée du Louvre • Rue de Rivoli • 75001 Paris
www.louvre.fr
Coordination éditoriale : Florelle Guillaume
Textes : Malika Bauwens et Pauline Debroux
Gestion de projet : Alessandra Danelli
Iconographie : Laurène Flinois
Relecture : Léone Metayer
Voix podcast « Lettre à Ludovic Sforza » : Olivier Richard
Cartographie : Stéphane Humbert-Basset
Vidéos © INA • Podcast Daniel Arasse © France Culture
Pour découvrir tout le génie de Léonard de Vinci, commandez dès aujourd’hui notre hors-série.
Ce numéro collector fait le tour des connaissances actuelles sur Léonard de Vinci, décryptant ses œuvres les plus fameuses comme ses zones d’ombre. Suivez le maître dans une Italie en pleine effervescence créative et technique, parmi les joyaux de l’architecture, les chefs-d’œuvre et leurs grands représentants. Où l’on découvre un artiste universel, à la fois peintre, architecte, ingénieur militaire ou metteur en scène de spectacles. Inclus, dans un cahier spécial sur papier dessin, les plus beaux crayonnés du maître.
François Ier, roi de France, reçoit à Fontainebleau le tableau de la Sainte Famille, envoyé de Rome par Raphaël comme hommage. À ses côtés, on distingue (à gauche) Catherine de Navarre de dos, avec en face d’elle Claude, reine de France, derrière laquelle on reconnaît Louise de Savoie et Diane de Poitiers (avec le grand chapeau). À droite de François Ier: Léonard de Vinci, la famille de Bourbon, Coligny, Bayard et le cardinal Bembo.