"Un seul masque par semaine" : au Venezuela, les médecins meurent et manquent de tout face au Covid-19
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Plus de 150 travailleurs du secteur de la santé sont décédés du Covid-19 au Venezuela depuis la mi-juin, d’après une ONG locale. Les médecins dénoncent le manque d’équipements de protection individuelle et de produits désinfectants, indispensables pour se protéger face au virus, alors que la situation dans les hôpitaux et les cliniques était déjà critique avant la pandémie.
Selon l’ONG Médicos Unidos Venezuela ("Médecins Unis Venezuela"), 163 travailleurs du secteur de la santé sont décédés du Covid-19 depuis le 16 juin. Cette ONG ne comptabilise pas uniquement ceux ayant été testés positifs : elle se base également sur des observations cliniques, épidémiologiques et radiologiques pour affirmer que certains travailleurs ont perdu la vie en raison du nouveau coronavirus.
D’après elle, beaucoup de ces décès ne sont donc pas inclus dans les bilans publiés par le ministère de la Santé, qui recense uniquement les personnes ayant été testées positives, et selon lequel le bilan total est de 485 morts dans le pays.
Así fue la despedida de la Lcda. Maiber Barrada quien se desempeño en el hospital "Dr. Américo Babo", adscrita a la Gerencia de Servicios Médicos de la Ferrominera, Estado Bolivar. Otra víctima del Covid-19 que probablemente no entre en las estadísticas de los voceros.@Sharo1412 pic.twitter.com/RnuO0lGPHk
Médicos Unidos Vzla (@MedicosUnidosVe) August 24, 2020
Applaudissements à la sortie d’un hôpital de l’État de Bolivar, au moment où est emmené le cercueil d’une infirmière décédée. "Une autre victime du Covid-19 qui n’entre probablement pas dans les statistiques des porte-parole", indique l’ONG Médicos Unidos Venezuela.
"On 'survit' grâce au peu d'aide humanitaire qui entre dans le pays"
Andrés Barreto Ruiz est épidémiologiste et membre de Médicos Unidos Venezuela.
Les décès des travailleurs de la santé sont liés à leurs conditions de travail, car ils manquent de tout : masques N95, masques chirurgicaux classiques, écrans faciaux, blouses, lunettes de protection, gants… Ils peuvent être amenés à utiliser le même masque ou la même blouse durant une semaine, voire davantage. De plus, il n’y a pas assez de solutions hydroalcooliques, et la majorité des hôpitaux n’ont pas d’eau potable 24 h/24, de savon, ou encore d’équipements d’imagerie médicale [bien que ces problèmes ne soient pas nouveaux, NDLR].
Lo bueno hay que celebrarlo. La Dra. Francisca Ruiz gana la batalla contra el COVID-19 en la Clínica Ávila de Caracas y el personal de salud lo festeja.
Médicos Unidos Vzla (@MedicosUnidosVe) August 8, 2020
A volver a la batalla en esta lucha desigual colega.
Video cortesía. pic.twitter.com/J1mHqHB0Gh@jaimeblorenzo @Sharo1412 @pzl17
Applaudissements pour saluer, cette fois, une docteure ayant récupéré du Covid-19, à Caracas.
En esta tenaz lucha en contra del Covid-19, estas son las noticias de aliento que quisiéramos transmitir a todos los que luchan desde sus lechos de enfermos para vencer la enfermedad. La Dra. Gloria Caraballo, epidemiologo de Anaco saliendo de terapia a la sala de recuperación. pic.twitter.com/xvKFOo4Jjp
Médicos Unidos Vzla (@MedicosUnidosVe) August 26, 2020
Une docteure qui récupère du Covid-19, dans l’État d'Anzoátegui.
En outre, au début de la pandémie, les autorités ont menti concernant le nombre de cas dans le pays. Par exemple, des directeurs d’hôpitaux ont tenté de cacher des cas, en signant des certificats de décès contenant de fausses informations quant au motif de décès des patients. Sans compter qu’il y avait alors peu de tests. Du coup, certains travailleurs de la santé n’ont pas forcément été assez vigilants par rapport aux mesures de protection au début, croyant que la situation était sous contrôle.
Mais ils ont ensuite pris conscience de leur vulnérabilité, avec la hausse du nombre de décès. Ils ont d’ailleurs commencé à protester publiquement contre le manque de protection, dans certains établissements de santé.
Protesta en el hospital Dr. Jesus María Casal Ramos de Acarigua #Portuguesa motivado a la falta insumos de bioseguridad para el personal de salud.
Médicos Unidos Vzla (@MedicosUnidosVe) August 12, 2020
Con reclamos justos no ofendemos a nadie, velamos por nuestra seguridad.@jaimeblorenzo @JoseDiSarli@nohemra #ConLaSaludNoSeJuega pic.twitter.com/Qzs135K453
Des travailleurs d’un hôpital de l’État de Portuguesa protestent contre le manque de protection.
Nuestras aguerridas enfermeras del
Médicos Unidos Vzla (@MedicosUnidosVe) August 7, 2020
Hospital Luis Ortega de Nva Esparta, haciendo exigencia de vida, trabajar en condiciones precarias contra el Covid-19 nos hace vulnerables y vulnera el derecho a la proteccion LOPCYMAT. Nuestro apoyo total @NotiSalud @Sharo1412 #CuandoNoHaySalud pic.twitter.com/l0b1N3tTYx
Protestation pour les mêmes raisons, dans un hôpital de l’État de Nueva Esparta.
Autre problème : à un moment donné, [le président vénézuélien] Nicolás Maduro a ordonné d’hospitaliser tous les patients testés positifs au Covid-19, même les asymptomatiques [en juillet, NDLR], ce qui a épuisé rapidement les rares ressources consacrées à la lutte contre la pandémie.
Actuellement, je pense qu’on "survit" grâce au peu d’aide humanitaire qui entre dans le pays, à travers l’Organisation panaméricaine de la santé et la Croix-Rouge. Mais les besoins sont tels que cette aide reste largement insuffisante. De plus, des médecins cubains sont arrivés pour nous aider [à partir d’août, NDLR], et la société civile s’est organisée pour tenter d’aider les hôpitaux.
À la mi-juillet, l’ONG Médicos Unidos Venezuela et d’autres associations ont ainsi lancé une campagne intitulée "Protégez-les contre le Covid-19". L’objectif : récolter des fonds pour acheter des équipements de protection individuelle et des produits désinfectants, pour le personnel de santé "le moins protégé".
Seguimos en la campaña #ProtejelosContraElCovid19
Médicos Unidos Vzla (@MedicosUnidosVe) September 1, 2020
Entrega de equipos de bioseguridad en el Hospital Dr. José Ignacio Baldo (El Algodonal), Caracas por parte del Rotary Club, Meditron C.A. y Médicos Unidos De Venezuela.
Pongamos nuestro grano de arena.https://t.co/Ae6WO9fEQA pic.twitter.com/q00u3UC6Dr
Des équipements de protection remis à des travailleurs d’un hôpital de Caracas, grâce à la campagne "Protégez-les contre le Covid-19".
Douze travailleurs de la santé arrêtés pour avoir dénoncé leurs conditions de travail
Le 18 août, Amnesty International a publié un communiqué dénonçant le fait que les autorités vénézuéliennes avaient demandé à la population d’applaudir les travailleurs de la santé, mais qu’elles ne faisaient "pas le nécessaire" pour les protéger. Elle souligne aussi que 12 d’entre eux ont même été arrêtés depuis le début de la pandémie, pour avoir dénoncé ouvertement leurs conditions de travail.
Así despiden en el Hospital "Pedro Emilio Carrillo" #Valera a otro noble trabajador de la salud víctima del Covid-19 al arriesgar su vida sin la debida proteccion para salvar a otros.
Médicos Unidos Vzla (@MedicosUnidosVe) August 17, 2020
Descansa en paz Lcdo. Victor Prato.
📹 Cortesía. pic.twitter.com/1SM7P7XxbT@NotiSalud @Sharo1412
Applaudissements à la sortie d’un hôpital de l’État de Trujillo, au moment où le corps d’un autre travailleur de la santé est emporté, sous une bâche.
Des conditions de travail déjà "inacceptables" avant la pandémie
La situation du personnel de santé est d’autant plus délicate que leurs conditions de travail étaient déjà extrêmement précaires avant la pandémie, comme le rappelle Virgilio Vasquez, un autre épidémiologiste de Médicos Unidos Venezuela, interrogé par notre rédaction :
Les conditions de travail sont inacceptables. Concernant le salaire, un médecin en fin de carrière gagne 20 dollars par mois au maximum, ce qui ne permet même pas d’acheter assez à manger. De plus, en raison du manque de transports publics, beaucoup vont au travail à pied ou sont conduits par quelqu’un ayant un véhicule. Mais avec la pandémie, les gens ont peur de transporter des passagers. Et ceux qui ont leur propre véhicule sont contraints de faire la queue, pendant plusieurs jours parfois, pour faire le plein. En outre, le manque de matériel et de médicaments est chronique.
>> LIRE SUR LES OBSERVATEURS :
- "Jusqu’à trois mois d’attente pour être opérés" : le ras-le-bol de patients vénézuéliens
Dans son communiqué, Amnesty International indique que le personnel de santé gagne entre 4 et 18 dollars par mois. Elle reprend également les chiffres de Monitor Salud, une organisation de la société civile, selon lesquels 68 % de 296 professionnels de santé interrogés à Caracas entre mars et juin arrivaient au travail l’estomac vide avant de prendre leur poste. Cette situation explique en partie pourquoi environ 50 % médecins du pays sont partis à l’étranger au cours des dernières années, selon la Fédération des médecins vénézuéliens.
Article écrit par Chloé Lauvergnier.