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Syrie : l’ONU dénonce la responsabilité de la Turquie dans les violences et viols commis sur les populations kurdes
L'Armée nationale syrienne, créée en 2017 et soutenue par la Turquie, est accusée par l'ONU d'exactions sur les populations kurdes.

Syrie : l’ONU dénonce la responsabilité de la Turquie dans les violences et viols commis sur les populations kurdes

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La Commission indépendante internationale sur la Syrie a publié ce 15 septembre un rapport d'enquête décrivant les exactions à répétions des forces armées soutenues par la Turquie sur les populations kurdes.

Neuf ans après, la Syrie est toujours en guerre. Déclenchée à la suite d’un mouvement de contestation populaire contre le régime de Bachar al-Assad, la guerre civile s’est muée en conflit international impliquant différentes puissances mondiales. La France et les Etats-Unis réunies au sein de la coalition internationale contre l’Etat Islamique, la Russie et l’Iran en soutien au régime en place, ou encore la Turquie. Chacun défendant ses intérêts en s’appuyant sur des groupes armés locaux ou en envoyant directement des troupes au sol comme les Russes ou les Américains. Et au milieu, prises en étau de toutes ces forces armées, les populations civiles. Ce mardi 15 septembre, la Commission indépendante internationale des Nations unies sur la Syrie a publié un rapport d’enquête sur les situations relatives aux droits de l‘Homme rédigé sur la base d’investigations menées entre le 11 janvier et le 1er juillet 2020 sur le sol syrien.

"Il n’y a pas des mains propres dans ce conflit, mais le statu quo ne peut pas durer" a déclaré le Président de la Commission, Paulo Pinheiro. Parmi les belligérants pointés du doigt, l’Armée nationale syrienne (ANS), un groupe syrien aux ordres de la Turquie, se distingue par ses exactions commises en grande majorité sur les populations kurdes de Syrie dans les territoires dont elle a le contrôle. Un rapport qui dénonce, en creux et de manière inédite, la responsabilité d’Ankara qui, de fait, est la véritable autorité dans cette portion territoriale. La Commission souligne ainsi que "dans les zones placées sous le contrôle effectif de la Turquie, celle-ci a la responsabilité d’assurer, dans la mesure du possible, l’ordre et la sécurité publics, et d’accorder une protection particulière aux femmes et aux enfants".

Les Kurdes pris pour cible

Les enquêteurs de la Commission affirment ainsi qu’"au cours de la période à l’examen, les civils habitant les régions d’Afrin et de Ras el-Aïn, des provinces d’Alep et de Hassaké, ont assisté à un déferlement de violations commises par les membres de l’Armée nationale syrienne ainsi qu’à des tirs d’artillerie et à l’explosion de véhicules chargés d’engins explosifs improvisés". Plusieurs témoins, relate le rapport, ont ainsi fait part des pillages et des appropriations de biens dont ils ont été victimes : "En septembre 2019, des civils dans le sous-district de Cheik el-Hadid (région d’Afrin) ont décrit comment des membres de la division 14 de la brigade 142 (Souleïman Chah) de l’armée nationale syrienne étaient allés de porte en porte en donnant l’ordre aux familles kurdes comptant moins de trois membres de quitter leur logement pour que celui-ci puisse accueillir des personnes venant de l’extérieur d’Afrin."

D’autres familles, toujours Kurdes, racontent avoir subi des extorsions sous la menace pour pouvoir rester dans leurs logements. Et en cas de plainte auprès de gradés de l’armée turque, "nombre d’entre eux ont été menacés ou détenus par des membres de l’Armée nationale syrienne, ou ont été victimes d’extorsion, tandis que d’autres ont été enlevés et forcés de payer une rançon directement à des hauts gradés de l’Armée nationale syrienne pour leur libération. La Commission demeure préoccupée par le recours très fréquent et récurrent à la prise d’otages".

Tortures et violences sexuelles à répétition

Les enquêteurs ont également constaté de nombreux cas de privation illégale de liberté, de tortures et de mauvais traitements de la part de l’ANS, les "civils − principalement d’origine kurde − ont été battus, torturés, privés de nourriture ou d’eau et interrogés sur leur foi et leur appartenance ethnique", écrivent-ils. Pire encore, le recours aux viols sur des femmes, hommes et enfants détenus dans les prisons aux mains des supplétifs de la Turquie. Ainsi, la commission d’enquête expose qu’"au cours de la période considérée, des cas de violences sexuelles contre des femmes et des hommes commises dans un centre de détention à Afrin ont été recensés." Les enquêteurs racontent que des officiers de la police militaire de l’Armée nationale syrienne "cherchant apparemment à humilier les détenus de sexe masculin et à leur arracher des aveux et leur inspirer de la peur, ont forcé des détenus masculins à assister au viol d’un mineur."

Après avoir rassemblé l’ensemble des détenus masculins de la prison d’Afrin, ces officiers de l’ANS ont commis sur la victime mineur "viol collectif (…) Un autre détenu a été victime d’un viol collectif dans le même établissement quelques semaines après ces faits." De nombreuses femmes et jeunes filles ont également subis ces viols, engendrant “de graves traumatismes physiques et psychologiques aux personnes concernées comme à la communauté en raison de la stigmatisation subséquente et des normes culturelles liées à la notion d’"honneur féminin (…)". Des actes provoquant "un climat généralisé de peur qui a pour effet de les confiner dans leur domicile", la commission laissant sous-entendre que ces actes auraient pour but de maintenir les populations Kurdes sous contrôle.

Autant d’éléments qui poussent la Commission à réclamer "à la Turquie de déployer davantage d’efforts pour assurer l’ordre et la sécurité publics dans les zones qu’elle contrôle et pour prévenir de telles violations de la part de l’Armée nationale syrienne, et de s’abstenir d’utiliser des habitations de civils à des fins militaires." Des demandes timides diront certains, qui ne pourront assurément pas mettre fin à l’impunité des supplétifs du régime d’Erdogan en Syrie. Certes. Reste qu’après ce rapport, il ne sera plus possible de fermer les yeux sur la situation des Kurdes de Syrie et de la responsabilité du Président turc.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne