ENQUETEDes actrices X témoignent des abus sexuels subis lors des tournages

Abus sexuels dans le porno : Des actrices confient leurs difficultés « à faire comprendre qu'elles ont été violées »

ENQUETEQuelques jours après l’annonce de l’ouverture d’une enquête visant le site pornographique Jacquie et Michel, plusieurs actrices ont accepté de se confier à « 20 Minutes »
Tournage d'un film pornographique à Los Angeles (illustration).
Tournage d'un film pornographique à Los Angeles (illustration). - GABRIEL BOUYS / AFP / AFP
Vincent Vantighem

Vincent Vantighem

L'essentiel

  • Le parquet de Paris a ouvert une enquête pour « viols » et « proxénétisme » visant les conditions de tournage des films diffusés sur la plateforme Jacquie et Michel.
  • 20 Minutes a pu recueillir les témoignages de plusieurs actrices dénonçant les viols et mauvais traitements subis lors de tournages de films pornographiques, en lien avec Jacquie et Michel ou pas.
  • Sur les réseaux sociaux, un mouvement de dénonciation des violences sexuelles commence à voir le jour, laissant espérer un changement de pratiques à l’avenir.

Cela faisait déjà une bonne demi-heure que Manon* racontait son quotidien d’actrice X. Ses débuts enthousiastes dans le métier après une carrière de coiffeuse. Ses premières scènes. Ses premiers traumatismes, aussi. Les pratiques pour lesquelles elle n’était pas préparée. Pas consentante. La jeune femme de 32 ans a alors interrompu son récit d’un coup. Et c’est à ce moment précis qu’elle est parvenue à résumer le problème d’une seule phrase. « C’est difficile de faire comprendre qu’on a été violée quand ton métier consiste justement à faire du sexe. Mais en fait, c’est ça… »

Moins d’une semaine après la révélation de l’ouverture d’une enquête pour « viols » et « proxénétisme » visant les conditions de tournages des vidéos pornographiques diffusées sur le site Jacquie et Michel,​ les témoignages visant les pratiques de certains producteurs et réalisateurs affluent. « J’ai fini par effacer le message que j’avais posté sur Twitter car je recevais trop de réponses. Je n’arrivais plus à suivre, poursuit ainsi Manon qui, parmi les premières, a révélé avoir été agressée sexuellement sous l’œil de la caméra. J’ai le sentiment qu’il se passe quelque chose… »

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Le mouvement de dénonciation n’a pas encore pris l’ampleur de la vague #MeToo qui avait déferlé dans le sillage de l’affaire Weinstein, en 2017. Mais dans le milieu du X, la digue se fissure. Sur les réseaux sociaux, #BalanceTonPorno pourrait bientôt succéder à #BalanceTonPorc. Et rassembler, outre celui de Manon, les témoignages d’Audrey, Julie, Estelle et Aïcha*. Sous couvert d’anonymat, toutes ces jeunes femmes ont accepté de confier à 20 Minutes les histoires sordides qu’elles ont vécues ces dernières années. En lien avec le site Jacquie et Michel ou pas.

« Elle est là pour ça ! Et elle va sourire devant la caméra ! »

Pour Estelle, c’était dans un appartement parisien. Mal à l’aise, elle avait demandé à ne tourner que des scènes classiques. « Les acteurs étaient d’accord. Mais pas le réalisateur, raconte-elle. Il a répondu : "Non, nique sa mère ! Elle est là pour ça ! Elle va faire ça ! Et elle va sourire devant la caméra"… » Novice, la jeune femme se laisse alors faire. Et le regrette encore plus en découvrant, quelques jours plus tard, que l’un des acteurs lui a refilé une infection sexuellement transmissible. « De l’herpès… Je ne pouvais plus m’asseoir… Il avait falsifié ses tests… »

Avant chaque tournage, les acteurs doivent en effet produire les résultats d’examens médicaux datant de moins d’une semaine et montrant qu’ils ne sont porteurs d’aucune affection. Pour Manon aussi, la question des tests a été l’un des problèmes. « Tout se passait bien jusqu’au moment où le cameraman a décidé de venir participer à la scène pour son propre plaisir, s’insurge-t-elle. Ce n’était pas prévu. Et évidemment, lui n’avait pas fait de test. Cela le faisait marrer. J’ai mis du temps à comprendre que c’était un viol. »

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Tout comme Aïcha, qui a passé « des heures en boule sous sa couette » après avoir subi une pratique qu’elle ne connaissait même pas en arrivant dans le garage de Bretagne où elle a tourné son premier film. Ou Julie, qui a dû se laisser faire pour que le producteur accepte de la ramener chez elle en voiture. Ou encore Audrey, qui s’est retrouvée à devoir tourner avec un acteur bien spécifique alors qu’elle avait spécifiquement exprimé son refus au préalable…

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Nue en plein soleil au milieu d’un champ pendant des heures

Dans le récit de ces mauvais films, on trouve toujours le même scénario. Des actrices jeunes et inexpérimentées à qui l’on impose des pratiques non prévues et/ou de multiples partenaires une fois la caméra enclenchée. « Ils misent sur le fait que les filles ne vont pas interrompre le tournage une fois que c’est parti, et ça fonctionne », se désole Manon.

Kim en sait quelque chose. Actrice durant les années 2000, elle se souvient de l’âge d’or du porno où le réalisateur invitait les actrices à déjeuner pour leur expliquer ce qu’il souhaitait filmer avec leur accord. « Il n’y avait pas beaucoup de filles, il n’y avait pas d’Internet. Pour voir du porno, il fallait acheter des cassettes ou s’abonner à Canal +. Les producteurs avaient besoin de nous. Aujourd’hui, si une fille se plaint, on lui fait comprendre qu’il y en a plein d’autres qui attendent dehors… » Pour que cela change, elle a décidé d’enregistrer elle-même les témoignages de victimes et réfléchit à l’idée de les diffuser.

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Selon elle, le succès du site « amateur » Jacquie et Michel n’est pas étranger à ces problèmes récurrents. En dix ans, il a démocratisé l’idée que n’importe qui pouvait jouer dans un film X. N’importe où et n’importe quand. « Du coup, il y a tellement d’actrices qu’elles acceptent tout pour 150, 200 ou 250 euros, résume Kim. Sans savoir dans quoi elles s’engagent exactement. » Comme cette fille qui lui a confié qu’elle avait dû rester des heures nue au milieu d’un champ pour tourner une scène alors qu’il fait 40 degrés. Ou cette autre qui raconte avoir été forcée de dormir par terre après un tournage harassant simplement parce que le réalisateur voulait économiser une nuit d’hôtel. « A l’étranger, cela ne se passe pas comme cela, compare Lalie, une autre actrice qui a beaucoup tourné. Là-bas, on est chouchoutées. Et personne n’oserait forcer une actrice à faire quelque chose qu’elle refuse… »

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Cocaïne et consentement…

Si la contestation gronde, les réalisateurs n’ont pas attendu pour se protéger. Ils savent que les faits sont très difficiles à prouver. D’autant qu’à la fin de chaque film, ils ont pris l’habitude de tourner une petite séquence dans laquelle les actrices déclarent qu’elles étaient consentantes et qu’elles n’étaient ni alcoolisées, ni droguées pendant le tournage. Cela afin de se prémunir de tout risque de poursuite.

« C’est le sommet de l’hypocrisie, dénonce Manon. Je me souviens très bien d’une fois où j’ai fait la vidéo alors qu’on avait pris de la cocaïne une demi-heure auparavant… » Mais les actrices doivent se plier à l’exercice juste avant de recevoir leur rémunération. Alors, bon gré, mal gré, elles le font. « Mais le jour où la mienne va ressortir, cela ne sera pas très compliqué de voir que je mens, lâche Audrey. J’étais tellement traumatisée par la scène… »

Les réseaux de fans désormais privilégiés

Manon a attendu neuf mois pour balancer son témoignage sur Twitter. « En fait, c’est à force de travailler avec des gens respectueux que je me rends compte à quel point ils m’ont maltraitée. » Étrangement, le salut pour elle et les autres actrices pourrait venir du public. Sur Twitter, une actrice a ainsi publié le message que lui avait envoyé par l’un de ses fans. Il voulait savoir sur quelle vidéo elle avait été violée afin qu’il ne la regarde pas.

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Et cette prise de conscience pourrait accompagner un changement du milieu du porno. Après les vidéoclubs il y a dix ans, ou les mastodontes du web ces dernières années (Xhmaster, YouPorn, etc.), les acteurs et actrices pourraient demain investir des sphères beaucoup plus privées sans avoir besoin de producteurs. Ainsi, ils sont nombreux à avoir ouvert un compte sur la plateforme Onlyfans créée en 2016. Sur ce site, les « fans » doivent payer un abonnement pour accéder aux photos et vidéos exclusives disponibles sur le compte des « créateurs ». Sur Onlyfans, pas besoin de producteur ni de réalisateur. Une simple webcam suffit. « Cet été, avec des amis, on a loué une villa financée en partie par nos fans, résume Manon. On a tourné sans aucun problème. Et le résultat va être prochainement mis en ligne sur nos comptes respectifs. »

Cela n’est pas passé inaperçu. Juste après le confinement, Jacquie et Michel a annoncé l’ouverture de sa propre plateforme du même type. Son nom ? Mercifans…

* Les prénoms ont été changés

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