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BURKINA FASO

Au Burkina Faso, une milice d’auto-défense Koglweogo torture un enfant 

Un enfant a été maltraité par une milice Koglweogo du Burkina Faso près de Pouytenga à la fin du mois d'août. Capture d'écran de la vidéo.
Un enfant a été maltraité par une milice Koglweogo du Burkina Faso près de Pouytenga à la fin du mois d'août. Capture d'écran de la vidéo.
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Une vidéo amateur diffusée début septembre montre des membres d’un groupe d’auto-défense infliger des sévices à un enfant, dans la région de Pouytenga, dans le centre-est du Burkina Faso. Actifs  depuis 2015 dans le pays, les “Koglweogo” se sont déjà signalés par leurs abus violents. Cette dernière vidéo serait le symbole du sentiment d’impunité qui les animerait, estime notre Observateur.

 

ATTENTION, CERTAINES IMAGES CI-DESSOUS PEUVENT CHOQUER LES PLUS SENSIBLES

 

La vidéo, qui dure un peu plus de deux minutes, est difficilement soutenable : on y voit un enfant, visiblement très jeune, attaché pieds et mains à un rondin de bois en hauteur. Son corps est lui-même attaché à une pierre, et le jeune garçon pleure et crie en mooré, la langue locale alors qu’il est fouetté avec un martinet.

L’enfant est visiblement suspecté d’avoir volé de l’argent pour le remettre à ses parents. S’en suit un échange entre le garçon, et un des hommes présent sur les lieux :

 

- (Homme) L'argent que tu as volé, […] C'est quel argent ?

-          (Enfant) C'est l'argent du riz.. C'est l'argent que j'ai volé pour remettre à papa.

-          (Homme) Et ton papa a bouffé ?

-          (Enfant) C'est mon papa qui m'a donné l'argent pour acheter du Fanta et de la salade, alors que c'est de l'argent volé.

-          (Homme) C'est pour ça que tu courais sous le soleil comme ça ?

-          (Enfant) Oui. […]

-          (Homme)  Mais tu es au courant que c'est de l'argent volé ou pas ?

-          (Enfant) Oui je sais. J'ai entendu les gens dire que c'est de l'argent volé. C'est l'argent des machines à sous.

-          (Homme) Vous avez bouffé l'argent, le reste est où ?

-          (Enfant) C'est Baba [papa, NDLR] qui prend et me donne 150 FCFA dessus...

-          (Homme) Toi tu sais qu'ils ont volé et tu viens pas le dire ?

-          (Enfant) Si je le dis, ils vont me frapper.

-          (Homme) Quand on vole, c'est toi qui est en première ligne ?

-          (Enfant)  Non, quand ils volent c'est eux qui m'envoient pour prendre le sac. Je vais vous dire la vérité.  Je n'ai jamais volé.

France 24 a décidé de ne pas diffuser la vidéo, mais en voici des captures d’écran.

L'enfant, visiblement très jeune, pleure alors que des membres de la milice le filment de près.

Au début de la vidéo, un bloc de pierre attaché aux mains et aux jambes de l'enfant est visible.

 

"Un incident datant de fin août" selon un représentant de la milice Koglweogo de Pouytenga

 

Des sources sécuritaires et locales ont confirmé à la rédaction des Observateurs de France 24 que la scène était authentique et s’était déroulée à proximité de Pouytenga, dans la région du centre-est du Burkina Faso.

L’enfant a été maltraité par des membres du Koglweogo, milice rurale signifiant "gardiens de la forêt" en langue mooré. Ces milices, constituées dès 2015, sont généralement formées d’habitants constitués en comités de vigilance pour contrer la multiplication des cas de banditisme. Notre rédaction a documenté à plusieurs reprises des cas d’abus perpétrés par ces milices dans leur traque de voleurs ou bandits.

Un des représentants des Koglweogo de Pouytenga a affirmé que la scène avait eu lieu le 30 août dernier à notre rédaction. Il explique :

Le père de cet enfant était suspecté d’avoir volé, et ces membres de la milice ont pensé qu’ils pouvaient avoir des informations en procédant ainsi auprès de son enfant.

Mais cette manière-là n’est pas bonne pour nous : il ne faut pas s’en prendre à un mineur comme ça, et cela a été une erreur. Ça ne respecte pas nos engagements et ce n’est pas notre travail : notre travail est de lutter contre le banditisme comme le trafic de drogue, les auteurs de violences, ou les braqueurs, et de remettre les bandits aux forces de sécurité.

Nous avons mis aux arrêts les personnes qui ont fait cela. Pour l’instant ils sont avec nous, et nous allons prochainement les remettre aux forces de sécurité.

Le ministère de la Femme, de la Solidarité nationale, de la Famille et de l’Action humanitaire ainsi que le ministère de la Sécurité contactés par notre rédaction avaient eu connaissance de la vidéo. Le premier a indiqué ne pas faire de communication à ce sujet pour le moment, faute d’informations. Le ministère de la Sécurité n'avait pas donné suite à nos questions lors de la publication de cet article, malgré plusieurs relances.

“Par cette vidéo, les Koglweogo veulent montrer qu’ils sont les maîtres de la République” ​​​​​​​

Al-Hassane Barry est un de nos Observateurs au Burkina Faso. Dès 2015, il nous avait alertés sur la création des milices Koglweogo, et suit régulièrement le sujet. Nous l’avions rencontré en 2016 dans le cadre d’un reportage de la Ligne directe des Observateurs sur les traces de Koglweogo, que vous pourrez revoir ci-dessous.

Quatre ans après, Al-Hassane ne se dit pas si surpris par la vidéo, bien “qu’écoeuré et attristé” par son contenu :

 

Les Koglweogo sont arrivés à un stade où l’autorité publique devrait prendre ses responsabilités. J’avais déjà vu, il y a quelques années, une vidéo où des Koglweogo avaient maltraité un enfant, dans la zone de Sapouy, en l’obligeant à rester près du feu, pieds et poings liés. Mais cette nouvelle vidéo est vraiment encore plus cruelle [l’Association de défense du droits des enfants au Burkina Faso (ADDE-BF) a de son côté indiqué que c’était la première fois qu’une vidéo de maltraitance d’un enfant par des Koglweogo était portée à leur connaissance, NDLR].

Pourquoi font-ils cela ? Parce qu’ils veulent montrer qu’ils sont capables de détecter les voleurs, peu importe les moyens, montrer qu’ils sont les maîtres de la République, et qu’ils font ce que les forces de sécurité ne pourraient pas faire. Ils estiment être plus rapides et efficaces que la police, qui a des contraintes administratives. En faisant cela, ils veulent montrer à l’opinion qu’ils peuvent trouver rapidement où sont les malfrats et qu’ils ont davantage de marge de manœuvre. Ainsi, ils répondent plus rapidement aux besoins de justice de la population, mais au prix de comportements parfois contraires aux droits de l’Homme.

Actuellement, les Koglweogo bénéficient de trop de soutien de la part des autorités. Ils sont devenus les VDP [Volontaires pour la défense de la patrie, protégés par une loi de janvier 2020 qui vise à mobiliser des volontaires au niveau local pour renforcer les opérations militaires du gouvernement contre des groupes armés à travers le Burkina Faso. NDLR). Ils ont eu des armes souvent sans formation, et jouissent d’une forte impunité surtout dans la partie centre et nord du Burkina Faso. On ne peut que dénoncer cela.

Dans un rapport publié en mars 2020, l’ONG Amnesty International épinglait des groupes d’auto-défense Koglweogo pour avoir attaqué trois villages et tué des dizaines de civils début mars, dans le but de soutirer argent et biens. Des ONG burkinabè ont dénoncé de leur côté un "nettoyage ethnique".

Les violences imputables aux groupes armés non étatiques ont causé la mort de 1 295 personnes en 2019 au Burkina Faso selon l’ONG Armed Conflict Location Event Database. Ce total représente une hausse de 650 % par rapport aux 173 décès enregistrés en 2018, sans préciser quelle est la part imputée au Koglweogo dans l’augmentation de ces violences.

Article écrit par Alexandre Capron (@alexcapron)

Remerciements à Gaston Sawadogo et Ousmane Drabo pour leur aide

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