Selon de nouvelles observations, Vénus pourrait abriter la vie

Des chercheurs auraient détecté de la phosphine dans les nuages de Vénus. Ce gaz odorant et inflammable pourrait être une bio-signature extraterrestre.

De Nadia Drake
Publication 15 sept. 2020, 16:35 CEST
Des nuages de haute altitude obscurcissent les nuages ​​de moyenne altitude plus brillants sur cette image ...

Des nuages de haute altitude obscurcissent les nuages ​​de moyenne altitude plus brillants sur cette image de Vénus prise par une caméra infrarouge à bord de la sonde japonaise Akatsuki Venus Climate Orbiter. La phosphine détectée dans les nuages ​​tempérés de moyenne altitude questionne les scientifiques et pourrait être le signe de vie extraterrestre.

Photo colorisée PAR JAXA, Isas, Darts, Damia Bouic

Les nuages ​​qui enveloppent Vénus sont peut-être chargés d'un gaz mortel - un gaz odorant et inflammable appelé phosphine qui anéantit les formes de vie dépendant de l'oxygène pour survivre. L'ironie, c'est que les scientifiques qui ont annoncé hier avoir observé ce gaz nocif dans l'atmosphère vénusienne estiment qu'il pourrait être une preuve séduisante - bien que controversée - de la présence de vie sur notre voisine céleste.

Pour autant que nous le sachions, sur des planètes rocheuses telles que Vénus et la Terre, la phosphine ne peut être produite que par des organismes vivants, qu'elle soit humaine ou microbienne. Utilisée comme arme chimique pendant la Première Guerre mondiale, la phosphine est toujours fabriquée comme fumigant agricole. Elle est aussi utilisée dans l'industrie des semi-conducteurs et on la retrouve dans les laboratoires de méthamphétamine. Mais la phosphine est également produite naturellement par certaines espèces de bactéries anaérobies - des organismes qui vivent dans des environnements privés d'oxygène : dans des décharges, des marais et même des boyaux d'animaux.

Plus tôt cette année, des chercheurs ont émis l'hypothèse qu'observer ce produit chimique sur d'autres planètes que la Terre pourrait indiquer la présence de métabolismes extraterrestres, et ont suggéré de tourner les télescopes les plus avancés vers des exoplanètes lointaines pour sonder leurs atmosphères à la recherche de signes de gaz.

Et de fait nous avons peut-être identifié des signes de phosphine sur notre voisine, comme le rapportent des astronomes dans la revue Nature Astronomy.

« J'ai tout de suite paniqué, bien sûr. J'ai présupposé que c'était une erreur, mais je voulais vraiment que ça n'en soit pas une », déclare Clara Sousa-Silva, co-auteure de l'étude, chercheuse postdoctorante au Massachusetts Institute of Technology (MIT) qui a initialement identifié la phosphine comme une bio-signature potentielle.

En termes simples, la phosphine ne devrait pas être présente dans l'atmosphère vénusienne. C'est extrêmement difficile à fabriquer, et la chimie dans les nuages ​​qui entourent la planète devrait détruire la molécule avant qu'elle ne puisse s'accumuler dans les quantités observées. Mais il est trop tôt pour conclure que la vie existe au-delà de notre planète. Nombre de scientifiques préviennent que la détection elle-même devra être vérifiée, car l'empreinte de phosphine décrite dans l'étude pourrait être un faux signal induit par les télescopes ou par le traitement des données.

« C'est extrêmement excitant, et il y a une sorte de vérification obligatoire consistant à se demander d'abord si le résultat est bon », déclare David Grinspoon du Planetary Science Institute. « Quand quelqu'un fait une observation extraordinaire qui n'a jamais été faite auparavant, vous vous demandez d'abord s'il a pu se tromper. »

Mais si la phosphine flotte vraiment aux alentours de ce pont nuageux vénusien, sa présence suggère l'un de ces deux scénarios pour le moins intrigants : les formes de vie extraterrestres relieraient habilement les atomes de phosphore et d'hydrogène, ou bien une chimie aussi inconnue qu'inattendue fabriquerait de la phosphine en l'absence de vie.

 

LA VIE EN « ENFER CÉLESTE »

Vénus, le deuxième monde après le soleil, a longtemps été considérée comme la jumelle de la Terre. Elle a à peu près la même taille que notre planète, avec une gravité et une composition similaires. Pendant des siècles, les Hommes ont pensé - ou espéré - que sa surface pourrait être recouverte d'océans, d'une végétation luxuriante et d'écosystèmes verdoyants, offrant une deuxième oasis pour la vie dans le système solaire.

Bien sûr, ce scénario était loin de la réalité.

Les premières observations scientifiques de Vénus ont révélé que les Terriens ne pourraient pas y survivre bien longtemps, et ce pour plusieurs raisons. Entre autres choses, sa surface peut atteindre l'étouffante température de 460°C et l'atmosphère de la planète est principalement dominée par du dioxyde de carbone et parcourue ça et là de nuages ​​d'acide sulfurique.

Mais malgré cela, les scientifiques ont pendant près de 60 ans envisagé la possibilité que la vie puisse exister dans le pont de nuages ​​vénusien, où les conditions étaient peut-être un peu plus favorables.

« Alors que les conditions de surface de Vénus rendent l'hypothèse de la vie invraisemblable, les nuages ​​de Vénus racontent une toute autre histoire », écrivaient Carl Sagan et Harold Morowitz dans la revue Nature en 1967.

Malgré la présence d'acide, les nuages ​​transportent les éléments nécessaires à la vie telle que nous la connaissons : la lumière du soleil, l'eau et des molécules organiques. Et quasiment au milieu de la couche nuageuse, les températures et la pression ressemblent au niveaux terrestres. 

Les premières observations de la planète ont révélé que certaines parties de son atmosphère absorbaient plus de lumière ultraviolette que prévu, une anomalie qui, selon les scientifiques, pourrait être l'oeuvre de microbes aériens. Bien que ce phénomène soit plus probablement dû à la présence de composés chimiques contenant du soufre, une poignée de scientifiques a depuis émis des hypothèses sur les microbes vénusiens aéroportés, présentant des scénarios dans lesquels les microbes pourraient métaboliser des composés soufrésrester à flot dans les nuages ​​toujours présents, et même développer des cycles de vie rendus possibles par des périodes de dormance à différentes altitudes.

« Quand j'ai commencé à en parler, il y avait beaucoup de résistance, principalement parce que c'est un environnement très acide », dit Grinspoon, qui défend l'idée d'une vie microbienne aéroportée sur Vénus depuis le milieu des années 1990.

Comprendre : le système solaire

Mais tout ce que nous savons de la vie sur Terre suggère que la vie se fraie un chemin dans tous les coins et recoins disponibles. Sur notre planète, nous trouvons des microbes qui prospèrent dans des environnements aussi hostiles et corrosifs que des champs de lave. Nous savons également que les microbes se déplacent régulièrement sur les particules des nuages, et les scientifiques ont trouvé des organismes volant à plus de 9,6 kilomètres au-dessus des Caraïbes. Les nuages ​​sont éphémères sur Terre, il est donc peu probable qu'ils soutiennent des écosystèmes permanents, mais sur Vénus, le temps restera nuageux pendant des millions, voire des milliards d'années.

« Sur Vénus, les nuages ​​sont continus, épais et couvrent le globe » dit Grinspoon

Par ailleurs, les observations suggèrent que Vénus abritait autrefois un océan d'eau liquide. Pendant la plus grande partie de son histoire, Vénus aurait pu être aussi habitable que la Terre - jusqu'à un certain point que l'on peut situer au cours du dernier milliard d'années, lorsque les gaz à effet de serre ont fait passer la planète du statut d'oasis à celui de piège mortel. Peut-être, à mesure que la surface brûlée devenait moins hospitalière, les formes de vie ont-elles migré dans les nuages ​​pour échapper à l'extinction.

Toute vie là-bas est « beaucoup plus susceptible d'être une relique d'une biosphère primitive plus dominante », explique Penelope Boston, astrobiologiste de la NASA spécialisée dans l'étude des microbes dans des endroits les plus reculés sur Terre. Elle reste cependant sceptique quant aux dernières observations. « Je pense que Vénus est véritable enfer maintenant, alors quelle part de cet ancien signal aurait pu survivre ? »

 

LE GAZ MORTEL DE LA VIE

En juin 2017, Jane Greaves de l'Université de Cardiff et ses collègues ont observé Vénus à l'aide du télescope James Clerk Maxwell, qui scanne le ciel en longueurs d'onde radio depuis son perchoir au sommet du Mauna Kea, à Hawaï. Ils recherchaient des gaz rares ou des molécules qui pourraient être d'origine biologique. Parmi les signatures repérées, il y avait celle de la phosphine gazeuse, une molécule pyramidale comprenant trois atomes d'hydrogène réunis en un seul atome de phosphore.

Peu de temps après, Greaves a pris contact avec Sousa-Silva, qui a passé ses années universitaires à tenter de déterminer si la phosphine pouvait être une biosignature extraterrestre viable. Elle avait conclu que la phosphine pouvait être l'un des signes de présence de vie, même si paradoxalement, elle est mortelle pour tout ce qui sur Terre a besoin d'oxygène pour survivre.

« J'étais vraiment fascinée par la nature macabre de la phosphine sur Terre », dit-elle. « C'est une machine à tuer... et presque une bio-signature romantique parce que c'est un signe de mort. »

En 2019, Greaves, Sousa-Silva et leurs collègues ont suivi l'observation initiale de la phosphine à l'aide d'ALMA, le grand réseau d'antennes millimétrique/submillimétrique de l'Atacama. Plus sensible que le télescope basé à Hawaï, ALMA observe également les ondes millimétriques, et peut détecter l'énergie émise et absorbée par toutes les molécules de phosphine tourbillonnant dans l'atmosphère vénusienne.

Et encore une fois, l'équipe a détecté de la phosphine. Cette fois, les scientifiques ont pu réduire le signal de la molécule aux latitudes équatoriales et à une altitude comprise entre 51 000 et 60 000 mètres, où les températures et les pressions pourraient être compatibles avec la vie telle que nous la connaissons. Sur la base de la force du signal, l'équipe a calculé que l'abondance de la phosphine était d'environ 20 parties par milliard, soit au moins 1 000 fois plus que ce que nous trouvons sur Terre.

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    Dans le système solaire externe, la phosphine est fabriquée dans les entrailles de Jupiter et de Saturne. Près des noyaux des planètes géantes, les températures et les pressions sont suffisamment extrêmes pour fabriquer la molécule de phosphine, qui monte ensuite dans l'atmosphère. Mais sur les planètes rocheuses, où les conditions sont nettement moins extrêmes, il n'y a aucun moyen connu de fabriquer de la phosphine en l'absence de vie - cela demande simplement trop d'énergie. En d'autres termes, si l'observation de la phosphine sur Vénus était confirmée, quelque chose doit continuellement reconstituer la molécule dans l'atmosphère de la planète.

    « La vie est la seule chose qui mettra de l'énergie dans la fabrication de molécules », dit Sousa-Silva. « Sinon, dans l'univers, la chimie ne se produit que lorsqu'elle est énergétiquement favorable. »

    L'astrobiologiste Dirk Schulze-Makuch de l'Université technique de Berlin, qui a examiné la vie vénusienne basée sur les nuages, convient qu'une explication biologique de la phosphine est possible, mais il pense que d'autres réactions chimiques géologiques ou induites par la lumière pourraient également expliquer le signal. « Vénus est encore fondamentalement une planète extraterrestre », dit-il. « Il y a beaucoup de choses que nous ne comprenons pas. »

    L'équipe de recherche a cherché à déterminer si la phosphine pouvait être fabriquée sur Vénus en l'absence de biologie. Parmi les scénarios étudiés par les scientifiques figuraient le dégazage volcanique, les éclairs intenses, le frottement des plaques tectoniques, la pluie de bismuth et la poussière cosmique. Sur la base des calculs de l'équipe, aucun de ces événements n'a pu produire la molécule en une telle abondance.

    « Qu'il y ait de la vie ou non [...], il se passe quelque chose de bizarre. », dit Sousa-Silva.

     

    RETOUR SUR VÉNUS

    Pourtant, le scientifique de l'observatoire ALMA, John Carpenter, est sceptique quant à la réalité des observations de phosphine. Le signal est faible et l'équipe a dû effectuer un traitement intensif pour l'extraire des données renvoyées par les télescopes. Ce traitement, dit-il, peut avoir renvoyé un signal artificiel à la même fréquence que la phosphine. Il note également que la norme pour l'identification moléculaire à distance consiste à détecter plusieurs traces d'une même molécule, apparaissant à différentes fréquences sur le spectre électromagnétique. Cela n'a pas encore été fait avec la phosphine.

    « Ils ont pris les bonnes mesures pour vérifier le signal, mais je ne suis toujours pas convaincu que ce soit réel », dit Carpenter. « Si c'est réel, c'est un résultat très intéressant, mais il faut un suivi pour le rendre vraiment convaincant. »

    Sousa-Silva convient que l'équipe doit confirmer la détection de la phosphine en trouvant des traces supplémentaires à d'autres longueurs d'onde. Elle et ses collègues avaient planifié ce type d'observations depuis l'Observatoire stratosphérique pour l'astronomie infrarouge, un télescope monté sur avion, et avec l'installation du télescope infrarouge de la NASA à Hawaï. Mais la pandémie de COVID-19 s'est mise en travers de leur chemin et ces observations ont été suspendues.

    « Nous sommes déçus de ne pas avoir cette preuve », dit Sousa-Silva.

    Quand bien même, Sanjay Limaye, un scientifique planétaire à l'Université du Wisconsin-Madison, estime que la découverte est suffisamment excitante pour poursuivre la recherche, et de préférence d'un point de vue beaucoup plus proche. « Il est fascinant que cela puisse indiquer quelque chose dans l'atmosphère de Vénus, mais est-ce une chimie exotique, ou est-ce la vie ? » il dit. « Nous devons aller le découvrir. »

    La détection provisoire de la phosphine est susceptible d'alimenter les demandes d'un retour sur Vénus - un voyage qui se fait attendre depuis longtemps, étant donné que la dernière fois que la NASA a envoyé une sonde sur la planète remonte à 1989. Il est tout à fait possible de faire une mission de retour d'échantillons atmosphériques, en envoyant une sonde spatiale pour traverser les nuages et collecter du gaz et des particules avant de les ramener sur Terre.

    Plusieurs missions proposées sont à l'étude, y compris un concept complexe et multi-engin spatial dirigé par Gilmore de l'Université Wesleyan, qui sera évalué par la communauté scientifique planétaire alors qu'elle définit ses priorités pour la prochaine décennie en termes d'exploration du système solaire. Le concept de Gilmore comprend plusieurs orbiteurs et un ballon qui étudieraient de près l'atmosphère vénusienne et rechercheraient des signes de vie.

    À l'horizon le plus immédiat, une petite mission d'étude de l'atmosphère profonde de Vénus, nommée DAVINCI +, est l'un des quatre finalistes du concours du programme Discovery de la NASA. La prochaine mission sélectionnée le sera en 2021.

    « Vénus est un système tellement complexe et incroyable... nous ne le comprenons pas. C'est une autre Terre. Il y avait probablement un océan pendant des milliards d'années, juste là. Il faut juste y aller », dit Gilmore. « Nous avons déjà la technologie nécessaire pour entrer dans l'atmosphère de Vénus. Ça peut être fait. »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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