TRIBUNE

La santé mentale, grande absente dans la gestion de cette crise sanitaire

Pourquoi obliger les habitants de Strasbourg à porter un masque à l’extérieur, partout et à toute heure ? Il faut prévoir des zones et des heures de respiration. Il y va de notre équilibre psychologique.
par Vincent Feireisen, psychologue hospitalier
publié le 17 septembre 2020 à 15h52

Tribune. Un arrêté rédigé par la préfète du Bas-Rhin, en date du 28 août, renouvelé dans les mêmes termes le 7 septembre, oblige toute la population de Strasbourg à porter un masque à l'extérieur sur l'ensemble de l'agglomération et à toute heure, avec une exemption pour les enfants de moins de onze ans et les personnes pratiquant une activité physique, sportive ou artistique.

Grâce à la perspicacité de nos recours auprès du tribunal administratif, nous avions appris que cet arrêté devait être modifié pour n'introduire la contrainte que dans les zones à forte densité : ce jeudi, la préfète du Bas-Rhin, passant outre l'injonction du tribunal, persiste dans sa volonté délétère sur la santé mentale, en n'autorisant aucune dérogation dans les parcs ou les quartiers sans densité.

Dans la situation qui nous a concernés à Strasbourg, il s’agissait simplement d’obtenir des espaces et des temps de respiration sans masque : les parcs, les bords du Rhin, les forêts, les zones et horaires à faible densité.

Cette demande ne nous a pas paru excessive. Nous savons tous qu'il n'y a aucun consensus scientifique sur l'utilité sanitaire de porter un masque à l'extérieur, quand la distance physique peut être respectée.

Ces arrêtés s’ajoutent les uns aux autres et posent toute une série de questions.

Certaines de ces questions participent du droit et de la défense des libertés publiques, dans un équilibre à trouver entre protection de la santé et protection des libertés. Tous les textes juridiques valident bien que les restrictions de liberté ne peuvent être exercées par la force publique que pour des raisons particulières, dont les raisons sanitaires, mais dans un équilibre à protéger au risque de l’arbitraire.

D’autres participent d’une conception de la santé et de la prévention : des mesures coercitives peuvent avoir de bonnes intentions mais peuvent aussi rater la cible qu’elles visent, à savoir la protection de la santé.

En général, les politiques de santé publique allient une dose de contraintes avec une dose d’éducation pour la santé, dans un équilibre qui permet d’avancer dans le but recherché : la réduction des risques délétères pour une bonne santé.

Mais c’est un autre point que je souhaiterais aborder et qui a émergé dans le débat sur l’adoption des mesures de protection, dites «gestes barrières», nécessaires, je le rappelle, afin de nous protéger le plus efficacement possible de la diffusion du Covid.

Soutenir la santé mentale pour soutenir la santé physique

La santé mentale est le grand absent dans la gestion de cette crise sanitaire. Il s’agit d’un point aveugle, comme un angle mort dans la politique de santé.

A lire aussi«Le risque humain et psychique du confinement risque de dépasser le risque sanitaire»

J’observe que les pouvoirs publics et les ARS ne semblent pas prendre en compte l’impact psychique de toutes ces mesures de prévention sur la population générale, notamment sur les jeunes et les personnes les plus fragiles. Sinon à se débarrasser de cette question, une fois mises en route les lignes d’appels téléphoniques spécialisées pour les personnes en détresse.

Si l’humain habite un corps, il a aussi un appareil psychique. Un esprit, une âme diront certains. Et prendre en compte cette dimension psychique est nécessaire sinon vital.

Nous autres humains, nous ne sommes pas qu’un corps, une chair. L’humain ne peut pas être réduit au biologique. Le corps et la psyché sont les deux constituants de notre vie humaine.

Cette part de psychique se construit, ou plutôt : nous nous construisons dans la relation à l’autre, dans la relation aux autres. Ne plus pouvoir s’embrasser, se serrer la main, se toucher, se regarder, se sourire, se reconnaître, cela ne nous caractérise pas, nous, les humains, car nous sommes avant tout des êtres de relation. C’est pourquoi, la distanciation physique et le port du masque ne sont pas seulement difficiles à mettre en œuvre pour des raisons d’inconfort, comme on l’entend trop souvent. Ce sont toutes nos modalités relationnelles qui sont modifiées.

Actuellement, pour protéger cette part du biologique en nous, pour pouvoir continuer à vivre, nous avons besoin de nous protéger. Avec ces fameux gestes barrières qui, on le comprend bien, ne sont pas que barrières pour le virus.

Ils nous obligent à créer d’autres manières de nous rencontrer, d’être ensemble.

Nous y arriverons : l’humain est plein de ressources, intellectuelles, psychiques, sociales. Et même si cela nécessitera des efforts, nous y arriverons !

Mais quel sera l’impact de ces mesures difficiles pour notre psychisme ? Sur celui de nos enfants et adolescents, toute une génération ? Sur nos aînés, au bilan de leur vie ?

Il y aura certainement une augmentation des troubles anxio-dépressifs dans la population générale. Et toujours, à notre place de soignants, nous serons là, pour accompagner, soigner, soulager, guérir au sens noble du terme.

Une condition de la mise en œuvre des gestes barrières

Pour que nous puissions adhérer à cette idée que la vie est précieuse et qu’elle mérite d’être pleinement vécue, il y a une condition : c’est qu’on nous donne les moyens de les mettre en œuvre avec confiance et sérénité.

Il va nous falloir «tenir le coup», être résilients, c’est-à-dire capables de résister non seulement au virus mais aussi à des conditions de prévention difficiles et qui vont durer.

C’est pourquoi, nous avons besoin d’espaces et de temps de respiration, de ressourcement, de résilience. Pour trouver aussi ce point d’équilibre entre protection de notre santé biologique et protection de notre santé mentale.

A lire aussiStress, colère, anxiété… Ne pas négliger les effets de l'épidémie sur la santé mentale

Mais soutenir la santé mentale, ce n’est pas seulement mettre en place des lignes d’appels téléphoniques, c’est aussi mettre en œuvre des politiques de résilience.

Nous avons besoin de politiques publiques qui accompagnent et non pas qui culpabilisent, des politiques publiques qui donnent confiance et non pas qui insécurisent, des politiques publiques qui soient crédibles grâce à des mesures audibles et proportionnées et non pas inutilement imposées, dans le cadre notamment de ce fameux principe de précaution, visant plus à protéger ceux qui le mettent en œuvre que ceux qu’il est censé protéger.

Un instant de vie, mieux un instant d’existence

Dimanche dernier, sur les bords du canal, près de la médiathèque Malraux, une dame âgée se promène et se déplace difficilement avec un déambulateur. Son fils est présent à ses côtés, avec plein d’attention et de bienveillance. Elle a peut-être 90 ans et lui 70. Elle ne porte pas son masque, lui en porte un car il la protège.

Est-ce une délinquante ? Est-ce une inconsciente ? A qui ferait-elle tort, à qui ferait-elle du mal, au bord de l’eau, seule avec son fils ?

Juste un temps et un espace pour exister, en dehors du virus.

Un point d’équilibre pour la santé du corps et de l’esprit.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus