Le braconnage de pangolins a atteint un niveau record en 2019

Malgré des protections accrues, ce mammifère continue d'être exploité pour les besoins de la médecine traditionnelle chinoise, selon un rapport exclusif auquel National Geographic a pu avoir accès.

De Rachael Bale, Rachel Fobar
Publication 17 sept. 2020, 15:47 CEST
Plus de 128 tonnes d'écailles et de viande de pangolin ont été interceptées dans le monde ...

Plus de 128 tonnes d'écailles et de viande de pangolin ont été interceptées dans le monde l'année dernière - une augmentation de 200 % par rapport à 2014.

PHOTOGRAPHIE DE ISAAC LAWRENCE/AFP via Getty Images

Les ventes de ses écailles pour satisfaire les besoins de la médecine traditionnelle chinoise et sa viande considérée comme un mets raffiné ont fait du pangolin le mammifère non-humain le plus trafiqué au monde. La survie de cette singulière créature était si menacée qu'en 2016, le commerce international des pangolins a été interdit.

Mais malgré ces mesures de protections, un nouveau rapport - auquel National Geographic a pu avoir accès en exclusivité - constate que les saisies d'écailles et de viande de pangolin par les autorités ont atteint un niveau record en 2019. À l'échelle mondiale, plus de 128 tonnes ont été interceptées, soit une augmentation de plus de 200 % par rapport à 2014.

Le rapport, publié jeudi par le Center for Advanced Defence Studies (C4ADS), une organisation à but non lucratif qui analyse les problèmes de sécurité transnationale, fournit de nouvelles données et de nouveaux détails qui montrent que le commerce des pangolins africains vers l'Asie pour satisfaire les besoins de la médecine traditionnelle chinoise continue de croître.

Souvent décrits comme des « fourmiliers à écailles », les pangolins sont les seuls mammifères au monde à posséder de vraies écailles, une sorte de cuirassé en kératine. Bien que ces écailles puissent protéger les pangolins de bien des dangers - même de la morsure d'un lion - elles ne sont d'aucune utilité contre les Hommes, la plus grande menace pour cet animal. Plus d'un million de pangolins ont été braconnés entre 2000 et 2014, selon Traffic, l'organisme de surveillance du commerce des espèces sauvages. 

Les experts en pangolins savent depuis longtemps que le commerce des quatre espèces de pangolins asiatiques est en déclin car ils deviennent de plus en plus difficiles à trouver à l'état sauvage. Au lieu de cela, les trafiquants se sont tournés vers les quatre espèces africaines de pangolins pour répondre à la demande, l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique centrale sont de fait devenues des plaques tournantes majeures. Le rapport de la C4ADS s'appuie sur sa propre base de données de saisies et sur les données de l'Organisation mondiale des douanes et d'un programme conjoint du US Fish and Wildlife Service-Zoological Society of London pour quantifier dans quelle mesure cette région est liée au commerce illégal. Le rapport met en évidence des points spécifiques de la chaîne d'approvisionnement sur lesquels les forces de l'ordre pourraient mieux concentrer leurs efforts.

« En cooptant les chaînes d'approvisionnement de viande de brousse existantes en Afrique et en mêlant leur activité illégale au marché existant de la médecine traditionnelle chinoise, les principaux trafiquants ont augmenté l'offre entre l'Afrique et l'Asie à des niveaux alarmants », regrette Faith Hornor, directrice du programme C4ADS et co-auteure du rapport.

 

UNE ANNÉE RECORD

L'année dernière, non seulement un plus grand nombre d'écailles de pangolins ont été saisies dans le monde qu'au cours de toute autre année pour laquelle des données sont disponibles, mais on a également enregistré les plus grandes saisies individuelles d'écailles de pangolins. En une seule semaine en avril 2019, Singapour a intercepté une cargaison de 14,2 tonnes et une cargaison de 14 tonnes, soit plus de 70 000 pangolins.

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    PHOTOGRAPHIE DE Brent Stirton

    Les deux envois provenaient du Nigéria, d'où sont originaires plus d'un quart de toutes les saisies de pangolins d'Afrique d'origine connue de 2015 à 2019, rapporte le C4ADS.

    L'Afrique occidentale et centrale sont également apparues comme des points chauds de cet obscur commerce. Près de 90 % des écailles de pangolins saisies depuis 2015 sont originaires ou ont transité par la région. En outre, la taille des expéditions de contrebande en provenance de la région semble également augmenter, le poids moyen de chaque cargaison ayant presque décuplé pour atteindre environ 3 tonnes.

    Cela suggère l'implication d'organisations criminelles disposant de ressources suffisantes, indique le rapport : « Le paiement, la collecte et le transport de grandes quantités de produits à base de pangolins impliquent un investissement initial et une coordination considérables. » Cela signifie également probablement que les trafiquants ne sont pas préoccupés par des potentielles interceptions par les forces de l'ordre, et ce même s'ils acheminent plusieurs tonnes valant des dizaines de millions de dollars.

    Francis Tarla, coordinateur du programme pangolin de la Zoological Society of London au Cameroun, a vu cette évolution du trafic sur le terrain. Le prix des écailles de pangolin sur le marché noir a grimpé en flèche, indique Francis Tarla dans un e-mail, et « avec les prix élevés, des trafiquants plus talentueux et mieux organisés sont entrés en jeu et sont prêts à prendre des risques plus élevés. » Les facteurs combinés d'une gouvernance faible, d'une application de la loi par des forces de l'ordre sous-équipées, de niveaux élevés de corruption, d'une diminution des investissements des ONG et d'une baisse de la valeur des exportations locales comme le pétrole ont permis à l'Afrique de l'Ouest et centrale d'émerger comme des carrefours du trafic d'espèces sauvages.

    L'augmentation des saisies pourrait être le résultat de plusieurs facteurs. « Oui, la demande [de pangolins] et le commerce illégal ont beaucoup augmenté de 2015 à 2019 », indique par email Zhou Jinfeng, directeur de la China Biodiversity Conservation and Green Development Foundation (CBCGDF). Mais « la loi est aussi de plus en plus appliquée », déclare-t-il, ce qui conduit à une détection plus fréquente des expéditions de contrebande.

    Chris Hamley, de l'ONG Environmental Investigation Agency, affirme que le commerce illégal a peut-être augmenté car, à mesure que les braconniers sont passés des pangolins asiatiques aux pangolins africains, la chaîne d'approvisionnement pré-existante a pu être cooptée. « En Afrique, il y avait déjà les chaînes commerciales de viande de brousse qui comprenaient la viande de pangolins, et c'était donc presque comme un sous-produit naturel », dit Hamley.

     

    CHANGEMENTS EN CHINE

    La Chine autorise depuis longtemps l'utilisation d'écailles de pangolin asiatique dans les préparations utilisées en médecine traditionnelle, mais le pangolin chinois a été chassé jusqu'à l'extinction il y a déjà des années. La perte des espèces indigènes, combinée à l'interdiction du commerce international de tous les pangolins asiatiques en 2000, a obligé les sociétés pharmaceutiques, les praticiens de la médecine traditionnelle et les hôpitaux à compter sur des stocks d'écailles accumulés avant l'interdiction. Ces stocks appartiennent à des entreprises privées et chaque année, les gouvernements provinciaux émettent des quotas limitant la quantité qui peut être vendue dans chaque région.

    En moyenne, le gouvernement a autorisé la vente d'environ 29 tonnes - soit environ l'équivalent de 73 000 pangolins - chaque année, selon un rapport de 2016 du CBCGDF. À ce rythme, les stocks auraient dû s'épuiser il y a des années, comme le déclarait Zhou Jinfeng à National Geographic l'année dernière.

    L'Administration nationale chinoise des forêts et des prairies, qui supervise la faune, n'a pas répondu à nos demandes de commentaires.

    D'autres experts se rangent à l'avis de Zhou Jinfeng. « Il est très difficile de croire que les sociétés pharmaceutiques sont en mesure de générer des quantités suffisantes de produits dérivés d'écailles uniquement grâce à ce stock », dit Hamley. Selon lui, il est « très probable » que des écailles importées illégalement se retrouvent dans lesdits stocks.

    Les données et recherches compilées par C4ADS soutiennent cette théorie. Depuis 2015, plus de 40 % des quelque 215 tonnes d'écailles de pangolins confisquées en Asie, étaient en cours d'acheminement vers la Chine ou à Hong Kong (ou ont été interceptés sur ces territoires), selon le rapport C4ADS. La quantité d'écailles saisies qui avaient pour destination la Chine ou Hong Kong a augmenté de plus de 171 % entre 2015 et 2019. Ce volume indique qu'il y a une énorme demande, selon Hamley.

    Le système chinois de stocks privés et de stocks auto-déclarés a créé une situation où les écailles importées illégalement peuvent facilement être mélangées avec des écailles acquises légalement avant l'interdiction - un « marché noir imbriqué dans le système juridique », comme l'indique le rapport.

    Les récentes décisions politiques suggèrent que le gouvernement chinois s'apprête à supprimer progressivement l'utilisation des écailles de pangolin dans la médecine traditionnelle chinoise.

    En 2019, le gouvernement a annoncé que les écailles de pangolin ne seraient plus couvertes par l'assurance publique. En juin, pour la première fois depuis des décennies, la liste nationale des médicaments traditionnels approuvés n'incluait pas les écailles de pangolin (même si elle incluait des médicaments brevetés contenant des écailles ou parties du pangolin). Également en juin, le gouvernement a étendu la protection des pangolins au même niveau de conservation que les tigres et les pandas géants en vertu de la loi chinoise sur la protection de la faune. 

    De nombreux experts doutent que ces mesures soient suivies de changements réels. Pour Hamley, c'est « un peu un écran de fumée ». Devin Thorne, analyste principal de C4ADS et co-auteur du rapport, affirme que ces changements semblent n'avoir aucun effet immédiat, mais les considère toujours comme une « étape positive ».

    Zhou Jinfeng garde malgré tout espoir. « Jusqu'à fin 2019, le commerce augmentait », a-t-il déclaré. Mais « nous pensons qu'il diminuera à partir de 2020 ».

     

    Wildlife Watch est un projet d'articles d'investigation entre la National Geographic Society et les partenaires de National Geographic. Ce projet s'intéresse à l'exploitation et à la criminalité liées aux espèces sauvages. N'hésitez pas à nous envoyer vos conseils et vos idées d'articles et à faire part de vos impressions sur ngwildlife@natgeo.com.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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