Politique de la culture

"Rimbaud et Verlaine ont le Panthéon décousu" ©Getty
"Rimbaud et Verlaine ont le Panthéon décousu" ©Getty
"Rimbaud et Verlaine ont le Panthéon décousu" ©Getty
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Une pétition, qui a recueilli le soutien de la ministre de la culture, suscite un vif débat : elle plaide pour l’entrée de Rimbaud et Verlaine au Panthéon.

Je vous fais grâce des épisodes précédents. La dernière prise de position est due à Luc Le Vaillant dans Libération et elle résume le petit feuilleton.

Il y a ceux qui clament : Entre ici Arthur Rimbaud, avec ton splendide cortège de mots fulminants et de bravades adolescentes, de ruptures théoriques et de barouds poétiques.

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Et il y a ceux qui crient à la mascarade : « Rimbaud qui taguait des “Merde à Dieu !” sur les bancs publics n’avait pas une petite gueule bien sympathique d’amoureux bécoteur de légions d’honneur ». Sans vouloir trancher « ce débat si français », Luc Le Vaillant relève « l’impossible consentement du héros mort ». Il rappelle que si « un Nobel se refuse, et Sartre s’y employa quand Camus fit le voyage à Stockholm », c’est en revanche « la famille de l’auteur de L’homme révolté qui s’opposa à ce que l’accidenté de la route sorte de son tombeau de Lourmarin pour, tel Sisyphe, remonter son rocher jusqu’en haut de la rue Soufflot ». Et aux côtés des nombreux porteurs de sabre des années Napoléon, « la survenue des Rimbaud-Verlaine en ce lieu de mémoire serait le signe que l’héroïsation esthétique est devenue la guerre par d’autres moyens ».

Politique culturelle

Une guerre « soft », comme on parle de « soft power »… Mais la culture, même sous son angle politique, ressortit-elle au seul domaine de l’influence ? Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication de 2012 à 2014 estime dans la revue Esprit qu’on ne peut y réduire la politique culturelle, car il y manque une dimension « citoyenne » : faciliter, encourager l’accès de toutes et tous au patrimoine et à la création. François Léotard, à la Culture de 1986 à 1988 avant de passer à la Défense, s’insurgeait déjà contre la conception « monarchique » du ministère taillé sur mesure par de Gaulle pour Malraux, reléguant l’éducation populaire à celui de la Jeunesse et des Sports et ramenant toute politique culturelle à « des relations publiques du Prince ».

La France est un des premiers pays au monde en termes de fréquentation des salles de cinéma, des musées… (Aurélie Filippetti)

Et d’évoquer le Centre Pompidou à Metz comme un exemple de la réussite d’une politique décentralisée, soucieuse « d’aller chercher les citoyens plutôt qu’attendre qu’ils viennent à nous ». Cela dit, « à force de pousser les grands musées à avoir des ressources propres pour diminuer leurs subventions, les directeurs d’établissement sont tentés d’augmenter le prix de leurs billets d’entrée ».

Culture politique

Cette livraison de la revue Esprit consacre donc un dossier à « la culture au tournant ». Un tournant serré : le ministère de la Culture estime à près de 25% du chiffre d’affaires la perte enregistrée par le secteur du fait de la crise sanitaire. Ce chiffre s’élève à 70% pour l’audiovisuel et le cinéma, ou encore le spectacle vivant. Reste une ressource qui n’est pas seulement économique : la protestation. La revue Noto s’intéresse au poème qui annonce une révolution, au dessin qui fait de la résistance, au livre portant la voix des oubliés, à tout ce qui dans la culture est de nature à émanciper la société. Une autre forme de politique, citoyenne à la base… Avec, en exergue, ces mots d’Antonin Artaud :

Le plus urgent ne me paraît pas tant de défendre une culture dont l’existence n’a jamais sauvé un homme du souci de mieux vivre et d’avoir faim, que d’extraire de ce que l’on appelle la culture, des idées dont la force vivante est identique à celle de la faim.

Emmanuel Wallon, professeur de sociologie politique, revient sur l’histoire des politiques culturelles, longtemps confinées à l’administration du patrimoine, sauf l’inflexion imprimée à la Libération par Jean Zay à l’Éducation nationale. Dans la foulée, le ministère des Affaires culturelles est créé en 1959, pour Malraux, avec la mission de « rendre accessible les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ». La singularité de l’action française sera d’instaurer « des mécanismes peu coûteux pour le contribuable, mais relativement vertueux pour l’écosystème, comme le 1% artistique, mis en place dès 1951, ou la loi sur le prix unique du livre, votée en 1981 ». Au chapitre de la circulation des œuvres, Maxime Georges Métraux et Léa Saint-Raymond retracent – archives à l’appui – l’incroyable odyssée de la Chambre à Arles de Van Gogh, acquise par un industriel japonais entre les deux guerres mais restée sous séquestre après la Libération du fait que son possesseur était « sujet d’une puissance ennemie ». Une « histoire patrimoniale et diplomatique » : le reste de la collection Matsukata formera le socle du Musée national d’art occidental construit par Le Corbusier à Tokyo. Le plus étonnant, c’est que cette chambre avait été représentée par l’artiste dans une référence affirmée à la peinture japonaise.

Par Jacques Munier

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