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Il est l’un des nombreux éleveurs chinois à avoir subi de plein fouet l’interdit étatique. «Le gouvernement a publié une liste comprenant une trentaine d’espèces pouvant être élevées en captivité et consommées, détaille Steve Blake, un militant de l’ONG de conservation WildAid. Les faisans et les lapins y figurent mais pas les rats des bambous ou les crapauds.» A Shenzhen, la métropole du sud du pays, la restriction a été étendue aux chiens et aux chats.
Elevages à large échelle
Cette décision a porté un coup d’arrêt brutal à une industrie qui vaut 520 milliards de yuans (68 milliards de francs) et emploie plus de 14 millions de personnes, selon des chiffres parus en 2017. Depuis mars, quelque 20 000 élevages ont mis la clé sous le paillasson. Le manque à gagner pour les éleveurs atteint 11 milliards de yuans (1,4 milliard de francs).
Les animaux sauvages sont perçus comme ayant des vertus curatives
Aili Kang, de l’ONG Wildlife Conservation Society
«Les civettes, les rats des bambous, les serpents, les crapauds et les blaireaux sont élevés à large échelle dans les régions rurales du sud et de l’ouest de la Chine», indique Steve Blake. Le gouvernement en a d’ailleurs fait l’un des étendards de ses programmes de lutte contre la pauvreté.
L’interdit décrété fin février touche aussi les marchés couverts situés au centre des grandes villes. «De nombreuses espèces différentes y sont entassées dans de petites cages, dans des conditions peu hygiéniques et un environnement froid et humide, avec beaucoup de passage humain, détaille Jeremy Rossman, un virologue de l’Université de Kent, au Royaume-Uni. Ces conditions favorisent le passage du virus d’un animal à l’autre, puis finalement à l’homme.»
Vertus curatives
Lors d’une récente visite au marché Pei Ho, situé au cœur de Sham Shui Po, l’un des quartiers les plus denses de Hongkong, des crapauds vivants étaient entassées dans un bac, non loin d’une montagne de cages contenant chacune une quinzaine de poulets et d’une série d’étals en bois sur lesquels étaient exposés des morceaux de viande, sans emballage ni réfrigération. Lorsqu’une volaille trouvait preneur, elle était exécutée d’un coup de couperet à même le sol recouvert de plumes, de sang et d’entrailles de poisson.
Servir un repas composé d’espèces exotiques à un invité est perçu comme une marque de respect, car elles coûtent cher
Aili Kang, de l’ONG Wildlife Conservation Society
Mais il ne sera pas évident de changer les habitudes alimentaires des Chinois. La consommation d’espèces exotiques est solidement ancrée dans les mœurs, notamment dans le sud du pays. «Les animaux sauvages sont perçus comme ayant des vertus curatives», note Aili Kang, de l’ONG Wildlife Conservation Society. Les hiboux et les aigles sont censés guérir les migraines, la soupe de serpent améliorer la vitalité et les sangliers réduire l’inflammation.
«Nous attrapons des chauves-souris et les vendons aux restaurants du coin, raconte un paysan de 40 ans du Guangdong, dans une étude publiée en février dans la revue International Health. Il paraît que les manger permet de prévenir le cancer.» Dans les ruelles de Hongkong, on trouve de nombreuses échoppes servant de la soupe de serpent et de tortue. Les ingrédients sont parfois exposés dans la devanture, vivants.
Marché noir
«Servir un repas composé d’espèces exotiques à un invité est également perçu comme une marque de respect, car elles coûtent cher», précise Aili Kang. Un paon revient à 800 yuans (105 francs) en Chine. Certains n’hésitent pas à débourser de petites fortunes pour marquer leur statut social en commandant de la viande de pangolin ou des pattes d’ours, deux mets luxueux régulièrement trafiqués depuis l’Asie du Sud-Est et la Russie, selon Steve Blake.
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Les Chinois préfèrent en outre consommer de la viande d’animaux fraîchement exécutés plutôt que des pièces réfrigérées ou surgelées. «Cette prédilection date de l’époque où personne ne possédait de frigo, ce qui est encore le cas dans certaines régions rurales de Chine, indique Dirk Pfeiffer, un expert de la santé publique à la City University de Hongkong. On estimait alors qu’il fallait pouvoir examiner l’animal vivant, afin de vérifier qu’il n’était pas malade, avant d’en consommer la viande.»
Autre obstacle, l’interdit chinois comporte une série d’exemptions qui le rendent peu efficace. «Les animaux sauvages élevés pour leur fourrure, comme les renards ou les visons, ou pour servir d’ingrédients dans les traitements de médecine traditionnelle chinoise, à l’image des bois de cerf, des écailles de pangolin ou de la bile d’ours, n’y sont pas soumis», relève Steve Blake. Ces élevages légaux pourraient servir à alimenter un marché noir pour la viande d’espèces exotiques. «On trouve déjà des centaines de revendeurs de ces mets sur les plateformes d’e-commerce comme Taobao», glisse Dirk Pfeiffer.