Geneviève Legay : "J'avais un drapeau de la paix et je me suis réveillée aux urgences"

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Geneviève Legay : "J'avais un drapeau de la paix et je me suis réveillée aux urgences"

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Geneviève Legay, le 23 Mars 2019 sur la place Garibaldi, à Nice, juste avant d'être grièvement blessée lors d'une charge de policiers pendant une manifestation de "gilets jaunes".
Geneviève Legay, le 23 Mars 2019 sur la place Garibaldi, à Nice, juste avant d'être grièvement blessée lors d'une charge de policiers pendant une manifestation de "gilets jaunes".
© Maxppp - Roland Macri / BELPRESS

Entretien. L'IGPN, la police des polices, a "conclu à la disproportion de la charge" contre la manifestante septuagénaire Geneviève Legay en mars 2019 et "dément Emmanuel Macron", vient de révéler Mediapart. Membre d'Attac et de la CGT, cette éducatrice spécialisée avait raconté cette charge à Sophie Delpont.

Nice, le 23 mars 2019 : une manifestation de "gilets jaunes" à la veille d'une visite du président chinois Xi Jinping tourne mal. Geneviève Legay, 73 ans, est gravement blessée, victime d’une hémorragie et de plusieurs fractures au crâne, projetée au sol par un policier place Garibaldi, dans un périmètre d'interdiction établi par la Préfecture. Muté depuis à la cour d'appel de Lyon, le procureur de Nice, Jean-Michel Prêtre, dément d'abord tout "contact" physique de la part des forces de l'ordre. Ses propos sont repris par Emmanuel Macron et l'affaire fait grand bruit. Le magistrat reconnaîtra ensuite que la militante d'Attac et de la CGT a été poussée par un policier, suite à l'exploitation d'images de vidéosurveillance. 

Les ordres de la police étaient "inadaptés" au moment de "la charge", selon l’IGPN, a révélé ce lundi Mediapart. La police des polices a relevé "des différences d'appréciation" sur le terrain, le jour des faits, entre les commandants d'unités et le responsable opérationnel du maintien de l'ordre dont "la stratégie adoptée et les ordres donnés (...) se caractérisent par un manque de clarté et un aspect directif". "Il faut cependant avoir conscience que cette façon de progresser n'aurait peut-être pas empêché la chute de Mme Legay", nuance l'Inspection, ajoutant que le dispositif policier le jour des faits était "légitime", dans "un contexte sensible". "Compte tenu de ces éléments, nous attendons la mise en examen du préfet de l'époque ainsi que du commissaire Rabah Souchi. Il n'est pas admissible que celui-çi soit encore en exercice à Nice", a déclaré mardi après-midi à l'AFP, l'avocat de la septuagénaire, Me Arié Alimi. En juin 2019, la journaliste Pascale Pascariello de Mediapart avait déjà évoqué un rapport de la gendarmerie faisant état de consignes "disproportionnées" de la part de la police face à une "foule calme".

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Dans le cadre de son "Grand Reportage" intitulé "Gilets jaunes", un an après : les mutations d'une contestation, notre journaliste Sophie Delpont avait longuement rencontré chez elle Geneviève Legay le 19 octobre 2019. L'ancienne éducatrice spécialisée lui avait raconté ce traumatisme.

Geneviève Legay en octobre 2019, au micro de Sophie Delpont

9 min

Que s'est-il passé de votre point de vue ?

J'ai subi une charge policière le 23 mars 2019 sur la place Garibaldi. Une charge ordonnée par le commissaire Souchi alors qu'il ne se passait absolument rien. Bien sûr, il y avait une manifestation, mais la manifestation a été coupée en trois : nous étions une trentaine dans chaque groupe à peu près, dans le centre de Nice. 

C'est vrai que soi-disant la place était interdite. Sur l'arrêté préfectoral, toutes les rues qui y menaient étaient interdites, mais la place ce n'était pas écrit. Donc les gens se sont rassemblés parce que le droit de manifester est un droit constitutionnel.   

Quand je me suis garée, sur le dessus de ma voiture, il y avait tous les drapeaux Attac, car je fais partie d'Attac, de la CGT, et je fais aussi partie du mouvement de la paix. J'ai attrapé le drapeau de la paix et j'ai dit "Tiens, ça tombe bien". Je suis partie et j'ai traversé la place. Il y avait plein de policiers, vraiment beaucoup, beaucoup, beaucoup. Mais personne ne m'a rien dit. Personne ne m'a dit "Madame, cette place est interdite". J'ai vu mes copines et mes copains. Je les ai rejoints. Il était 10 heures du matin et on disait liberté de manifester. Après, à 12h40, alors qu'il nous avait séparés toute la matinée, ils nous ont demandé de rejoindre un groupe qui était devant le café de Turin. Et juste avant que l'on arrive, ce qu'on n'a pas vu, que nous avons su après, ils ont arrêté entre 70 et 80 personnes, y compris des touristes avec leur valise et qui étaient attablés, un monsieur qui descendait en pyjama acheter son pain ou ses croissants. Ils ont embarqué tout le monde et nous sommes arrivés à l'endroit où on nous le demandait mais sans savoir qu'ils venaient de ramasser tout le monde. Il y avait des gens. C'était encore calme, c'était calme tout le temps. 

Il faut savoir que le commissaire Souchi lui-même a fait un rapport où il a marqué que tout était calme. Le capitaine de gendarmerie, qui a refusé de faire la charge sous les ordres du commissaire Souchi a lui aussi écrit dans son rapport que tout était calme, et que cette charge était disproportionnée. Donc il a refusé d'obéir. Il avait le droit parce que quand on est fonctionnaire, on a le droit de refuser un ordre qu'on pense illégitime. Je remercie encore ce capitaine de gendarmerie. Et voilà, j'étais là, tranquille, je partais. Je partais. Mes copines étaient à trois mètres de moi, elles étaient déjà parties. Et franchement, quand je me suis retournée pour voir si les gendarmes avec qui cela s'était bien passé étaient derrière moi, j'ai vu des policiers, grands, costauds. On aurait dit une guerre civile. Ils avaient des boucliers, les matraques sortis, des casques. Je me suis dit : "Oh là, là, il va t'arriver quelque chose." Puis je me suis dit : "Non, tu fais rien". Je ne faisais rien. 

J'avais un drapeau de la paix et je me suis réveillée aux urgences à six heures et demie du soir. Je n'étais pas dans le coma. J'étais dans un état d'inconscience. Alors, vous savez, quand je me suis réveillée, je n'ai rien compris au film. 

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Pendant ce moment d'inconscience, que vous est-il arrivé ? 

J'ai su qu'à 10 mètres derrière moi se trouvait le commissaire Souchi avec ces policiers armés. J'ai vu tout cela sur des vidéos, parce que je ne me rappelle absolument de rien. Je ne m'attendais pas à cette charge policière que je n'ai pas entendue d'ailleurs. Quand ils ont fait les sommations, je n'ai rien entendu. Bizarrement, des copains m'ont dit : "Mais si, il a fait deux sommations". Et je les entends sur les vidéos. Mais le vent ne devait pas porter de mon côté à moi. Parce qu'on m'a matraquée par derrière et je suis tombée sur moi-même et je suis tombée d'un coup sur le côté droit et c'est là que j'ai eu cinq fractures du crâne à droite et que j'étais dans cette mare de sang qu'on voit sur toutes les photos. 

Mais, si vous regardez les vidéos, vous voyez que la dame en gilet jaune à côté de moi est sur son portable en train d'envoyer un texto, quelque chose comme ça. C'est une dame du Var que j'ai rencontrée le 28 septembre. Elle est venue me voir et elle m'a expliqué qu'elle était partie juste après avoir été matraquée elle-aussi. Elle avait une grosse douleur, mais elle est partie vite chez elle parce qu'elle se croyait en infraction puisque la manifestation était interdite. Arrivée dans le Var, elle a dit à son mari "J'ai très, très mal, emmène moi aux urgences". En fait, elle avait le fémur cassé alors qu'elle avait marqué dans son dos, sur son gilet jaune, handicapé. Cette dame n'a pas de main droite et malgré ça, ils l'ont fracassée aussi. Et elle a expliqué aux gendarmes qu'elle n'avait jamais entendu les sommations.

Ce qui prouve bien que moi non plus je ne les ai pas entendues. Je ne suis pas folle, je serais partie si je les avais entendues ces sommations, encore que nous étions nassés. Mais je serais partie, je ne cherche pas la bagarre, moi. Je défends le droit, mais là, face aux policiers. Et cette dame, les gendarmes voulaient à tout prix qu'elle leur dise avoir entendu les sommations. Eh bien, nous, le vent n'a pas dû porter à ce moment là vers nous, nous n'avons pas du tout entendu. 

Et ensuite ? Il y a eu cette déclaration d'Emmanuel Macron

Le 25 juin, Macron est aux Etats-Unis, à New York. Le Times lui pose des questions sur les violences policières en France et ils ont dû lui parler de moi parce qu'il répond "Geneviève Legay, qu'est-ce que vous croyez ? C'est une activiste. Vous croyez qu'elle allait faire ses courses ? Non, elle était face aux policiers". Re-mensonge. Je n'ai jamais cherché les policiers. Ils ont toujours été dans mon dos, j'avais un drapeau de la paix, et je criais simplement "Liberté de manifester". Franchement ! 

Il y a des gens qui m'écrivent des gentillesses, bien sûr, à gogo. Mais il y en a aussi qui disent les policiers auraient dû te tuer, tu devrais être au cimetière. Mais enfin, ils se rendent compte de ce qu'ils disent ! Je ne faisais rien ! Je disais "liberté de manifester". Il me semble quand même que tuer des gens pour ça, parce que franchement j'aurais pu être morte. Quand mes filles sont arrivées à l'hôpital, les docteurs leur ont dit que j'allais mourir. Et ils ont dit : "Si elle ne meure pas, ce sera un légume à vie". Ce n'est que trois jours après qu'ils ont dit à mes filles : "Ecoutez, votre maman est costaud de chez costaud, parce que franchement, elle n'aurait pas dû s'en sortir et elle s'en sort. Je me considère donc un peu comme miraculée, alors que je ne crois à rien du tout, je suis athée. 

Et ces mensonges, ça fait de la peine. Cela fait de la peine de voir que pour s'en sortir ils sont capables de dire n'importe quoi, de faire n'importe quoi. 

Ensuite, cela a été lamentable parce que Macron et les autres se sont tous vautrés dans des mensonges, englués dans des mensonges. C'est une affaire d'État. 

Quand vous subissez ce genre de mensonges, vous vous dites... Moi, je suis éducatrice spécialisée donc j'apprenais aux enfants à être droit, honnête et tout ça. Et quand vous voyez que ceux qui nous gouvernent au plus haut de l'État, Macron, le procureur, le préfet, tout le monde ment. Quand on sait en plus que le procureur était dans la salle des vidéos et qu'il savait depuis le début qu'il y avait quelqu'un qui m'avait matraquée. Franchement, pour les gens que nous sommes, les petites gens d'en bas, les gens de rien, comme dit Macron, on croit encore en une justice, on croit encore en ces gens là. Enfin, on croyait. Parce que maintenant, je suis en train de douter de tout. Même si on sait que ce n'est pas la première fois. Mais bon, franchement, quand ça vous arrive, vous perdez pied. 

Ceci dit, je ne perd pas pied puisque je me suis rétablie deux mois à l'hôpital. Après, je ne suis pas entièrement remise, mais les éditions Syllepse m'ont demandé d'écrire un livre et je crois qu'en écrivant j'ai pu un peu vider pas de la haine, mais de la colère quand même. Et je suis obligée aussi, depuis la mi août, d'aller chez un psy. Parce que quand cela vous arrive du jour au lendemain, comme ça, que vous êtes devenu un symbole, il faut l'assumer. Il faut l'assumer et ce n'est pas facile. Le livre et le psy m'ont aidé à passer des caps.  

Grand Reportage
55 min