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Attaques en série contre le Parquet national financier français

Le Parquet national financier français est connu en Suisse pour avoir obtenu la condamnation de l’ancien ministre du Budget Jérôme Cahuzac, puis celle de la banque UBS. Il est aujourd’hui mis en cause par le ministre de la Justice lui-même

Le ministre français de la Justice Eric Dupond-Moretti. — © Bertrand Guay/AFP
Le ministre français de la Justice Eric Dupond-Moretti. — © Bertrand Guay/AFP

Tout oppose Eliane Houlette et Eric Dupond-Moretti. La magistrate retraitée, première procureure du Parquet national financier (PNF), aime la discrétion qui sied aux enquêtes au long cours. L’avocat, devenu garde des Sceaux le 7 juillet, a toujours, lui, joué la carte de la confrontation publique, en particulier dans ses bras de fer avec les magistrats.

Autre différence de taille: la Bretonne Eliane Houlette, pur produit de l’Ecole nationale de la magistrature (ENM), a gravi un par un les échelons de l’appareil judiciaire tandis que le nordiste Dupond-Moretti a toujours fulminé contre les «apparatchiks» de la justice, dont il a entrepris de réformer la formation. Duel parfait. Avec, entre les deux, rien de moins que l’avenir de l’institution créée en décembre 2013 pour traquer la délinquance financière et ses acteurs…

Après l'affaire Cahuzac, l'affaire Sarkozy

Cette description rapide des faits est importante pour comprendre la dernière attaque lancée contre le PNF par le ministre de la Justice lui-même. Vendredi 18 septembre, Eric Dupond-Moretti a en effet décidé d’engager le fer contre l’institution à laquelle il s’est retrouvé confronté, comme défenseur de Jérôme Cahuzac, lors du procès en appel de l’ex-ministre, en février 2018. L’ancien élu socialiste avait été en première instance reconnu coupable en décembre 2016 de fraude fiscale et condamné à 3 ans de prison ferme. Peine réduite ensuite en appel à 2 ans de prison, effectuée sous forme de travaux d’intérêt général achevés ces jours-ci (Jérôme Cahuzac aura définitivement purgé sa peine en novembre).

Deux ans plus tard, c’est une autre affaire que le garde des Sceaux a décidé de réveiller, quelques mois après avoir accédé à la tête de son ministère. Elle concerne les investigations menées par le Parquet national financier pour découvrir qui, en 2014, a informé l’avocat de l’ancien président Nicolas Sarkozy du placement de ce dernier sur écoutes pour soupçon de «trafic d’influence». Le PNF avait alors épluché les relevés téléphoniques de plusieurs avocats proches de l’ex-chef de l’Etat. Parmi eux? Les cabinets de Me Hervé Temime – défenseur principal de la banque UBS dans son futur procès en appel –, celui de Me Antoine Veil (défenseur d’UBS en première instance) et… celui d’Eric Dupond-Moretti.

Fautes commises mais rien d’illégal

Première conséquence le 1er juillet: la commande d’un rapport sur le fonctionnement du PNF confiée à l’inspection générale de la justice, dont la conclusion, rendue le 15 septembre, est que le parquet a commis des fautes sans rien commettre d’illégal. Seconde étape vendredi dernier: l’ouverture d’une enquête administrative (préalable possible à des sanctions) contre Eliane Houlette et deux procureurs de l’institution: Patrice Amar et Lovisa-Ulrika Delaunay-Weiss. Motif: «Manquement au devoir de diligence, de rigueur et de loyauté.»

Difficile, outre les personnalités en cause, d’oublier le calendrier judiciaire. Cette mise en cause directe du PNF intervient en effet quelques semaines avant le premier procès de Nicolas Sarkozy pour «corruption» et «trafic d’influence» en raison de ses agissements pour obtenir des informations sur l’instruction de l’affaire Bettencourt. Le procès aura lieu du 23 novembre au 10 décembre. Démontrer que le Parquet national financier a commis des fautes corrobore donc, par ricochet, les dires de ceux qui dénoncent les juges «à charge», pressés de condamner l’ancien chef de l’Etat dont le retour au premier plan politique se confirme chaque jour, alimenté par sa proximité avec Emmanuel Macron. «Accuser le PNF d’avoir abusé de ses pouvoirs dans l’enquête préliminaire sur Sarko donne à sa défense un excellent argument pour se présenter comme victime devant ses futurs juges…» estime un avocat, familier des dossiers financiers.

«Ceux qui réclament la suppression de ce parquet sont ceux qu’il dérange»

Difficile, aussi, d’oublier l’énervement des avocats et des puissants groupes financiers devant la traque menée contre l’évasion fiscale, le blanchiment et autres délits financiers par le PNF depuis sa création. UBS, condamnée en février 2019 à une amende record de 3,7 milliards d’euros pour «démarchage bancaire illégal» et «blanchiment aggravé de fraude fiscale», a toujours estimé que le dossier de l’instruction était vide, qu’il manquait de preuves concrètes, et que le réquisitoire était avant tout politique, dans le contexte d’une France pressée de tourner le volet du secret bancaire suisse.

Le fait qu’Hervé Temime, avocat dont les communications ont été abusivement épluchées, dirige aujourd’hui son équipe de défenseurs confirme l’envie d’en découdre avec le PNF, dirigé aujourd’hui par le procureur Jean-Francois Bohnert (venu de Reims). Rançon du succès? «Ceux qui réclament la suppression de ce parquet sont ceux qu’il dérange», affirmait, en juin, l’avocat Thomas Clay, citant les 600 procédures ouvertes et les milliards d’euros rapportés à l’Etat. Un bilan sonnant et trébuchant, dont Eric Dupond-Moretti a décidé de ne pas tenir compte.