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Lille : procès symbolique de «l'enfer» vécu dans un quartier «gouverné» par les dealers

Le quartier Moulins de Lille est marqué par de nombreux actes de violence.
Le quartier Moulins de Lille est marqué par de nombreux actes de violence. sergign - stock.adobe.com

«La mâchoire fracassée», pour avoir osé tenir tête aux dealers : une comédienne lilloise témoigne vendredi devant le tribunal après son agression mi-juillet dans son quartier miné par le trafic de drogue, qui avait fait réagir la maire Martine Aubry et déclenché plusieurs opérations policières.

«Je vis dans une zone de non-droit, une zone dans laquelle une mafia gouverne, décide, insulte, salit, provoque, harcèle», alertait le 19 juillet, au lendemain de son agression dans le quartier Moulins au sud de Lille, la comédienne Cécile Thircuir. «Je me suis fait taper par un dealer. Parce que j'ai haussé le ton», racontait depuis l'hôpital, dans une vidéo visionnée des milliers de fois, cette chanteuse, directrice artistique et mère de famille, appelant les autorités à «prendre la mesure de la gravité de la situation».

La veille, alors qu'elle rentrait chez elle avec sa mère et sa fille, une altercation avec deux jeunes hommes postés sur une place de parking lui avait valu un coup de poing au visage, brisant sa mâchoire en deux points. «J'allais faire un créneau et les ai vus se poster, volontairement, au milieu de la place. Fatiguée de tout ça, j'ai décidé de reculer tout doucement. Et là +boum!+, claquement sur le pare-brise, insultes...», raconte Mme Thircuir à l'AFP. La comédienne répond «de manière ferme», la tension grimpe. «Il y a eu des phrases du type +chienne (...), je vais te faire vivre un enfer+», tremble-t-elle encore. La famille rentre, mais s'aperçoit au moment du coucher que «les doudous sont dans la voiture». Se croyant «respectée en tant que femme, mère et habitante», Cécile Thircuir ressort, regarde ses agresseurs et lance: «je vous interdis de m'emmerder quand je suis avec ma fille». «Un type est venu se coller à moi, (...) m'a mis un coup de poing. Je me suis retrouvée par terre, avec un trou entre les incisives», s'émeut-elle, le souffle court.

«Réinvestir l'espace»

Sur le portable de la jeune femme, une photographie désigne l'agresseur présumé, un homme de 21 ans jugé vendredi devant le tribunal correctionnel. Inconnu des services de police, il «traînait dans cette rue» depuis quelques semaines.

À Moulins depuis six ans, «j'aimais mon quartier, mixte, vivant, même si je constatais qu'il était le théâtre d'un trafic de drogue. Mais depuis le déconfinement, les cadres ont explosé, il n'y a plus de limites...», estime Mme Thircuir. Elle décrit les vols de voitures, les hurlements nocturnes, les «murailles de containers», «entrées d'immeubles peintes en noir et lieux publics privatisés» par les dealers. «J'avais l'impression qu'on était des grenouilles en train de cuire. Se laissant mourir sans bouger, parce que la température grimpait doucement». Se voulant «citoyenne», elle «tente de dialoguer», mais finit par se tourner vers la mairie, déplorant «l'abandon politique» d'un quartier «qui dérive».

Après un mois d'arrêt de travail, Mme Thircuir peine à ouvrir la bouche, est assaillie de douleurs et «n'a plus plaisir à chanter». Angoissée «jour et nuit», elle a dû déménager. «J'ai l'impression que ma citoyenneté a frisé l'inconscience», dit-elle. Son avocate, Hélène Vatinel, note les «trois coups de masse» récemment portés sur le pare-brise de sa voiture, possiblement pour l'intimider.

Depuis l'agression, Martine Aubry a réagi dans la presse, regrettant le «manque de moyens» de la police et «l'enfer» vécu par les habitants, et en appelant au ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin. La police a mené plusieurs opérations et interpellations, ramenant «un peu de calme».

«J'ai été soutenue, aidée», assure Cécile Thircuir. Mais «si les choses bougent, le changement n'est pas profond». «Ma rue est constellée d'immeubles pourris, de commerces fermés, même les habitants sont introuvables», regrette-t-elle, appelant les autorités à «réhabiliter». Car au-delà du procès d'un individu, «chaque maillon de la société a une part de responsabilité, proportionnelle à son pouvoir», juge-t-elle. Il faut «montrer qu'on existe, réinvestir les lieux».

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