Covid-19 : Axel Kahn dénonce "la brochette d'abrutis qui disent que rien ne se passe"

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Covid-19 : Axel Kahn dénonce "la brochette d'abrutis qui disent que rien ne se passe"

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Axel Kahn, médecin généticien,  Paris le 7 Avril 2015.
Axel Kahn, médecin généticien, Paris le 7 Avril 2015.
© Maxppp - Vincent Isore

Entretien. Le célèbre généticien et président de la Ligue nationale contre le cancer s'emporte contre ceux qui minimisent une reprise épidémique. Malgré tout plutôt optimiste, il redoute que l'on se focalise trop sur la pandémie au détriment d'autres maladies comme le cancer.

En une semaine, le Covid-19 a durement touché 800 nouveaux malades placés en réanimation. 800 sur 4 000 admissions à l'hôpital. Selon les chiffres de Santé publique France, le taux de positivité continue d'augmenter. Au début du mois, sur 1 000 tests, 40 personnes en moyenne étaient positives à la maladie. Actuellement, 76 tests sur 1 000 reviennent positifs. Et les maires et présidents de métropoles de Paris, Lyon, Lille et Grenoble ont rendez-vous jeudi matin avec Jean Castex pour discuter d'"éventuelles adaptations" des mesures de restriction en raison de l'épidémie de Covid-19, a annoncé mercredi Matignon.

Des indicateurs préoccupants mais les discours varient, en fonction des scientifiques, des médecins. Axel Kahn, le Président de la Ligue nationale contre le cancer était l'invité du journal de 22h sur France Culture, hier, au micro de Stanislas Vasak.

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Axel Kahn : "Le nombre de morts a été multiplié par six depuis deux mois"

12 min

Ce mardi matin, vous avez dénoncé sur Twitter "la brochette d'abrutis qui se répand sur les plateaux pour affirmer qu'il n'y a pas de reprise épidémique". Pourquoi ce coup de gueule aujourd'hui ? Et qui visez-vous en particulier ? 

D'abord, je vise la brochette d'abrutis qui disent que rien ne se passe, alors que le nombre de morts a été multiplié par 6 à 7 depuis deux mois, que le pourcentage des personnes contaminées a été multiplié par trois et que les réanimations dans toute la France, en moyenne, sont remplies à entre 25 et 40% à Marseille et 25% à Paris de malades atteints de la Covid.

Il s'agit donc d'une évidence. Après, on peut tout discuter. Mais discuter qu’il y a un phénomène de reprise épidémique qui a provoqué ces paramètres totalement indiscutables ne peut être le résultat d'un certain degré d'abrutissement. Mon propos n'est pas si méchant que cela.

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Mais vous visez des personnes en particulier, des spécialistes autoproclamés ? 

Non, je ne suis pas un polémiste. Du tout. Je suis le président national de la Ligue contre le cancer. Il y a 4 millions de personnes concernées par le cancer, concernées également par la Covid et je m'en sens au moins co-responsable. Par conséquent, quand j'essaye de toutes mes forces de les préserver, comme n'importe quelle Française, Français, mais également comme des personnes d'une certaine fragilité. Fragilité peut-être au virus, et surtout fragilité aux conséquences de l'épidémie sur le traitement de leur cancer. Effectivement, les bras m'en tombent et je suis atterré parce qu'il s'agit, me semble-t-il, par rapport à cet effort, de protéger les gens d'une mauvaise action. 

Car s'il n'y a rien, la conséquence qu'il faut en tirer, c'est qu'il n'y a pas lieu de prendre quelque mesure de protection que ce soit. Or, je vous répète, ce n'est pas un problème de discussion. Ce n'est pas un problème d'opinion. Il y a deux mois, il y avait 10 à 14 morts par Covid chaque jour, aujourd'hui, il y a en moyenne 70 morts. Il s'est passé quelque chose. 

Maintenant, on peut indiquer que ce qui se passe est beaucoup moins grave que ce que l'on a connu au mois de mars. C'est évident. Le problème est d'éviter que cela ne s'aggrave autant. 

Mais la raison pour laquelle je suis mécontent par rapport à mes responsabilités de médecin, de président de la Ligue, c'est quand des personnes ont un discours dont on tire comme conclusion qu'il n'y a vraiment à prendre aucune précaution. Alors, tout s'effondre. Mais si on n'avait pas ces mesures barrières, je vous le dis, et c'est une quasi certitude, l'épidémie serait aussi grave qu'elle l'était au printemps.

Coronavirus. Les chiffres clés de l'épidémie en France au 29 septembre 2020
Coronavirus. Les chiffres clés de l'épidémie en France au 29 septembre 2020
© Visactu

Il y a effectivement une augmentation du nombre de cas positifs, plusieurs milliers par jour. Mais il faut rappeler que toutes les personnes testées positives ne sont pas malades ?

C'est bien la raison pour laquelle je ne vous ai pas parlé de ça, moi. Je vous ai parlé du nombre de morts. Les personnes mortes étaient bien malades, les personnes mortes ne sont pas des simulateurs et donc je prends uniquement des paramètres qui sont incontestables. Et je ne parle pas du tout du nombre de cas. Il est important pour connaître le nombre de personnes infectées, mais les éléments indiscutables et qui ne devraient pas être discutés, c'est que cette maladie a modifié son aspect de telle sorte que depuis deux mois, le nombre de morts liés à cette maladie a été multiplié par 6 à 7. Que le nombre de personnes entrant en réanimation en soins intensifs du fait de cette maladie a été multiplié d'un facteur à peu près équivalent. Ce sont des paramètres incontestables. Le reste, vous pouvez discuter de tout ce que vous voulez. Je veux bien que l'on discute que 2 + 2 font 4, si vous voulez. Mais je peux considérer également que ce sont des abrutis qui discutent le fait que 2 + 2 font 4. 

Vous considérez qu'il y a aujourd'hui un relâchement dans l'application des mesures barrières, même si le port du masque s'est généralisé ? 

Non, je ne le considère pas. La cinétique de l'épidémie est très claire. Le confinement a été bien bien respecté et c'est normal, on s'y attendait, il a fait s'effondrer le taux de circulation virale. Puis, après deux, trois mois de confinement, les gens ont voulu souffler, surtout les plus jeunes, les adultes jeunes. Et donc, non seulement ils ne se sont plus protégés, mais ils sont allés en vacances, dans le grand Sud et dans le grand Ouest, régions qui étaient relativement préservées. Et même si le virus circulait peu, il circulait. Et progressivement, ces personnes, peu fragiles à la maladie, mais fragiles quand même, ont commencé de s'infecter. Et ces personnes-là habitent dans les mêmes villes, en tout cas dans le même pays, sur la même terre que les personnes fragiles, les personnes âgées et les personnes qui ont des comorbidités. Avec un décalage d'environ 3 à 4 semaines après que les personnes peu fragiles ont commencé de s'infecter, ils ont donc infecté les personnes les plus fragiles et ce sont elles qui commencent à mourir. La cinétique de ce côté là ne comporte aucun mystère. Et s'il n'y avait pas eu rapidement ces mesures barrières qui sont relativement efficacement respectées, alors je vous le dis et tout le monde le sait d'ailleurs, il y aurait à peu près la même reprise épidémique que la première crise épidémique du printemps. 

Approuvez-vous la politique du gouvernement qui adopte des mesures restrictives au cas par cas, avec des zones d'alerte maximale et des zones d'alerte renforcée ? 

Moi, j'essaye de rester dans mes fonctions de médecin, de responsable en plus, qui essaye de dire la vérité parce que je veux faire en sorte que les gens se protègent. Mon discours est un discours de responsabilité. Ce n'est pas un discours de culpabilité. Ce n'est pas du tout un discours de peur. Je vous l'ai dit, je serais plutôt optimiste. À condition, je l'ai dit en souriant et cela marque bien ce qu'est mon âge, car c'est une expression d'un vieux temps, qu'on ne fasse pas les cornichons. Si on ne fait pas les andouilles, si on respecte bien ces mesures, peut-être un peu plus sévèrement encore, on devrait vraiment éviter le pire. Maintenant, le gouvernement prend les mesures qu'il veut. Vous imaginez bien que le président de la Ligue nationale contre le cancer ne va pas se mettre à critiquer ou à discuter des mesures politiques de tel ou tel, notamment du gouvernement. 

Considérez-vous qu'il faut apprendre à vivre longtemps avec le nouveau coronavirus ? 

Oui. Tant qu'il n'y aura pas une vaccination qui sera largement acceptée et qui sera raisonnablement efficace, nous pourrons connaître cette situation. Et si on se réfère aux périodes épidémiques antérieures, la grippe espagnole a duré deux ans de manière intense et en réalité, on a vu le virus pendant environ quatre ans, de 1916 à 1920. La grippe de Hong Kong, plus près de nous, on ne se la rappelle pas parce que quand on parle de mai 68, ce n'est pas de la grippe de Hong Kong que l'on se rappelle, mais cette grippe de Hong Kong a duré deux ans également et a fait un million de morts dans le monde. Le même nombre de victimes aujourd'hui de la Covid dans le monde entier. Ce peut donc être une habitude de vie de deux ans avec ce virus. Mais j'espère que cela ne sera pas vrai, parce que je crois vraiment qu'il y aura un vaccin début 2021, cet hiver sans doute. Et il y en aura d'autres de nouvelles générations, et cela devrait arriver à stopper effectivement cette tension épidémique liée à ce virus. 

Et en attendant, il faut changer nos habitudes, moins s'exposer en réduisant nos déplacements, par exemple ?

Voilà. En attendant, il faut vivre le mieux qu'on peut. Il faut certainement sauvegarder l'économie. Il faut sauvegarder l'affection, l'amour, la joie de vivre. Mais effectivement, avec quelques complications. C'est vrai. Est-ce que cela me fait plaisir de porter des masques ? Quand je vais sur les plateaux de télévision, je mets un masque également parce que je veux montrer l'exemple. Non, cela ne me fait pas plaisir. Est-ce épouvantable ? Ai-je cessé d'être un homme profondément optimiste, gai et joyeux parce que je porte un masque ? 

Cela bouleverse-t-il ma vie ? Non. Ce qui bouleverserait ma vie, ce serait de mourir. 

Existe-t-il un risque que la focalisation sur la Covid-19 nous détourne des autres maladies comme le cancer ? 

Ce n'est pas un risque, c'est une certitude. Je rappelle souvent des chiffres. Le cancer, c'est 156 000 morts par an. C'était vrai en 2019. C'est vrai en 2020. Ce sera vrai en 2021. Et la Covid, ce sera 35 000 morts en France. Donc, ce n'est pas du tout dans la même catégorie. 

En plus, totalement obsédé par la Covid et on le comprend bien, c'est un adversaire nouveau qui fait peur et sur lequel on connaît peu de choses, les personnes se sont détournées des pratiques de dépistage, de détection, de diagnostic de leur cancer. Parfois, leur traitement a été modifié. Il a été adapté et surtout, les retards au diagnostic des cancers maintenant se sont accumulés pour certains depuis plusieurs mois, peut-être 3, 4, 5 mois. Cela entraînera alors des évolutions plus graves du cancer qu'elles n'auraient pu être et aboutira à des pertes de vie. Je ne peux pas le quantifier, mais certains ont dit que la mortalité par cancer, très élevée, pourrait augmenter de 1 % à 3 % durant l'année 2020. On verra bien. En tout cas, il y aura certainement des vies perdues parce que totalement obnubilé par la Covid, on aura baissé la garde contre un adversaire autrement plus ancien et autrement plus redoutable : le cancer. 

Mais si les hôpitaux sont saturés à cause de la Covid, cela peut aussi expliquer qu'on ne puisse pas aborder la question du cancer de la même façon ? 

On s'est arrangé déjà pendant la période de confinement. Les centres anticancéreux et même les CHU avaient essayé de préserver des lieux de consultation pour les malades atteints de cancer. Ce qui n'était pas urgent a été effectivement reporté, mais pour les urgences, on a pu prendre en charge les personnes et durant la période de confinement de mars à mai, je ne crois pas réellement qu'il y ait eu vraiment des des vies perdues. Les personnes malades, la Ligue le sait bien parce qu'elle a ouvert une ligne téléphonique avec des oncologues qui se relayaient pour répondre et 2 000 personnes atteintes de cancer ont répondu durant toute cette phase. Nous savons très bien qu'il y a eu une angoisse, un manque d'information, mais objectivement, mon sentiment est que cette phase-là a été relativement bien gérée. 

Et comme on a appris de l'expérience, aujourd'hui, les centres hospitaliers, les centres anticancéreux ont créé des filières aussi à l'abri que possible de tout risque de surinfection par le virus. Donc, si les gens n'ont pas trop peur, ne sont pas terrorisés, vont consulter, on devrait pouvoir prendre cela en charge. C'est plus difficile pour les opérations chirurgicales. Il n'y a pas de doute, à Marseille, à Paris ou dans d'autres endroits également. Comme on est obligé d'utiliser des salles de réveil ou de réanimation post-opératoire pour réanimer les malades atteints de la Covid, comme des réanimateurs sont mobilisés pour la Covid, ils ne sont plus disponibles pour les réveils, pour les réanimations post-opératoire, on est obligé de supprimer, pour l'instant dans les hôpitaux de Paris, 20% des interventions normalement prévues au tableau opératoire. Dans la dernière période, j'ai dû intervenir moi-même pour faire débloquer des situations. C'était quelques cas, mais il s'agissait de situations tragiques de personnes qui avaient une hémorragie importante sur cancer, qui allaient mourir si on ne les opérait pas, et on avait de la difficulté à trouver une place dans un tableau opératoire. L'intervention de la Ligue, évidemment influente et puissante, a permis de débloquer les situations. Mais ce risque-là existe. Et puis, il y a besoin d'interventions pour faire des biopsies, des prélèvements, des diagnostics. Là aussi, il y a un retard important et c'est une préoccupation de plus. 

En conclusion, Axel Kahn, vous pensez qu'il ne faut pas trop en faire avec la Covid ? Que peut-être, il faut éviter une communication anxiogène sur le nouveau coronavirus ? 

Vous l'avez constaté, je ne suis pas du tout anxiogène. Si je dis que les gens qui nient qu'il y a un problème, qu'il y a un virus et une reprise épidémique sont des abrutis, c'est parce que c'est aussi évident que ça. Et en plus, je sais très bien que si on les écoute, on a tort de les écouter, mais si on le fait alors cela conduit à ne prendre aucune précaution. Et si on ne prend aucune précaution, alors cela peut être la catastrophe. Mais je ne suis pas pessimiste, car ce sont tellement des abrutis que peu de gens les écouteront. Et quand vous vous promenez dans la rue, les gens respectent pour l'essentiel les mesures barrières et ces mesures barrières sont efficaces

Malgré la reprise épidémique, on devrait éviter le pire. Oui, il y aura plus de morts. Mais on devrait éviter quelque chose de cataclysmique. Je le pense encore, ce n'est pas sûr, mais c'est vraiment possible. Et c'est la raison pour laquelle les gens qui sont démobilisateurs des efforts pour se protéger du virus, ma responsabilité, vraiment, est de les dénoncer. 

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Avec la collaboration de Nathalie Lopes