Petite enfance : “Protéger les enfants, ça passe par mieux accompagner les parents”

Annoncé le 23 septembre dernier et entrant en vigueur ce 1er juillet, l’allongement du congé paternité n’était pas la seule proposition du rapport de la commission des 1000 premiers jours, chargée de plancher sur l’amélioration du bon développement des enfants. Des parents avaient pu rencontrer Adrien Taquet, le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, pour évoquer avec lui leurs difficultés, leurs attentes, et les autres mesures prônées par la commission.

Par Julia Vergely

Publié le 01 juillet 2021 à 09h35

Mis à jour le 01 juillet 2021 à 09h46

Article initialement publié en septembre 2020

L’annonce de l’allongement du congé paternité, faite par Emmanuel Macron le 23 septembre, a été beaucoup commentée. La volonté de donner davantage de temps au père ou second parent après la naissance d’un enfant – vingt-huit jours, dont sept à prendre obligatoirement – fait suite au rapport rendu par la commission des 1 000 premiers jours, présidée par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik. Mais ce n’est pas la seule piste du gouvernement pour améliorer le bon développement des enfants. Le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, Adrien Taquet, a précisé dimanche dans le JDD le reste des mesures envisagées.

Lundi 28 septembre, il est venu en discuter avec trois mamans, trois papas, une femme enceinte et deux nourrissons, réunis autour d’une table aux Pâtes au beurre, rue de Paradis, dans le 10e arrondissement de Paris. Un lieu de parole créé par la psychanalyste et spécialiste de la petite enfance Sophie Marinopoulos (qui a fait partie de la commission), où les parents peuvent venir parler de leurs difficultés, gratuitement, et trouver conseils et réconfort.

« On a voulu cette commission parce que les mille premiers jours sont une période très importante dans le développement de l’enfant, et aussi pour rappeler que ce n’est pas toujours simple d’être parent. Beaucoup m’ont exprimé leur sentiment de solitude. Protéger les enfants, cela passe, parfois, par mieux accompagner les parents », débute Adrien Taquet.

La discussion s’est évidemment portée sur le congé paternité. « Quand mes enfants sont arrivés, j’avais une activité professionnelle où il était mal vu de prendre un congé paternité. J’aurais aimé qu’on me déculpabilise d’en prendre un. Cette obligation d’une semaine, finalement c’est pas mal », raconte Yassine, père de trois enfants, dont le dernier a tout juste 2 mois. « Vingt-huit jours de congé, c’est bien, mais c’est très peu finalement par rapport aux autres pays, on aimerait bien plus », ajoute Édouard, son voisin de table, père d’une enfant de 3 mois et demi. « On entend beaucoup parler de l’égalité femme-homme, mais les entreprises mettent la pression pour qu’on vienne bosser. C’est assez frustrant de ne pas pouvoir profiter des premiers mois de son bébé », renchérit Keiran.

Frein culturel

Depuis une semaine, les critiques ont surtout concerné les sept jours obligatoires, que beaucoup jugent bien trop peu engageants. Adrien Taquet s’en défend : « Cela reste une grande avancée. Au-delà de faire en sorte que les pères prennent ce congé, l’idée est aussi d’initier un changement culturel dans les entreprises. L’horizon est que, dans un monde idéal, dans le monde de demain, il n’y aura pas besoin d’instaurer le caractère obligatoire parce que tout le monde, la société tout entière, valorisera le fait que les pères se doivent de prendre le congé paternité. Cette mesure est censée aussi y concourir. On passe de zéro à sept jours obligatoires, mais cela n’empêche pas les entreprises, dans le cadre d’accords collectifs, d’en faire davantage. »

Sophie Marinopoulos, qui, dans la commission des 1 000 premiers jours, avait recommandé un congé paternité de neuf semaines, fait une remarque, aussitôt approuvée par les parents : « On espère aussi que lorsque la crèche ou l’école doit appeler un parent parce qu’un enfant est malade ou qu’il y a un souci, on n’appelle pas systématiquement la mère ! On a l’impression que le numéro du père disparaît automatiquement. »

Adrien Taquet dit avoir été surpris de voir que le sujet de la paternité était très peu investi dans les entreprises et chez les partenaires sociaux. « Il faut qu’on change ce frein culturel. On ne s’arrête pas d’être parent une fois la porte de l’entreprise franchie. Un parent heureux est un salarié heureux, et un salarié heureux est un salarié productif. »

Adrien Taquet : « On ne s’arrête pas d’être parent une fois la porte de l’entreprise franchie. Un parent heureux est un salarié heureux, et un salarié heureux est un salarié productif. »

Adrien Taquet : « On ne s’arrête pas d’être parent une fois la porte de l’entreprise franchie. Un parent heureux est un salarié heureux, et un salarié heureux est un salarié productif. » plainpicture / Stephanie Uhlenbrock

Confusion des discours

Une autre préoccupation pour les parents présents est le congé parental, dont ils demandent une amélioration. « Pourquoi ne pas s’inspirer des pays scandinaves, avec un nombre de jours à se répartir entre la mère et le père ? » demande Édouard. Adrien Taquet admet que le congé parental est aujourd’hui mal payé, mal conçu et donc trop peu pris par les familles, mais que le refondre implique également de revoir les modes d’accueil des enfants dans des structures spécialisées. « Il y a une vraie demande sur le congé parental, mais il y a aussi des vraies implications. Il faut être bien au clair, avoir tiré toutes les conséquences et les effets de bord que ça peut avoir avant de prendre des décisions. On donne l’exemple de la Suède, avec son congé parental élargi, où, en gros, on est auprès de l’enfant la première année de la vie. Mais cela veut dire que l’enfant ne va pas à la crèche. Or, en France, il y a des endroits, comme la Guyane par exemple, où si l’enfant n’est pas pris en charge très tôt à la crèche, il arrive à l’école sans parler un mot de français, ou il n’a pas le ventre plein toute la journée. L’augmentation des places en crèche s’inscrit dans la stratégie du gouvernement de prévention et de lutte contre la pauvreté. On a là deux objectifs qui se percutent. »

Les trois mamans évoquent tour à tour les difficultés rencontrées pendant leur grossesse, à l’accouchement et après. Le manque de prise en charge à la sortie de la maternité fait l’unanimité, tout comme la confusion des discours. « J’ai été confronté à des sages-femmes qui me donnaient des conseils qui allaient à l’inverse de mes convictions éducatives. On nous dit tout et son contraire. Après, on perd la confiance en tous les professionnels », explique Licka.

Adrien Taquet évoque la volonté de consolider la formation des sages-femmes et des six cent mille professionnels de la petite enfance. « Nous allons également renforcer les staffs médico-psycho-sociaux dans une centaine de maternités prioritaires avec la création de deux cents postes – sages-femmes, psychologues, médecins, travailleurs sociaux. L’objectif à terme est de le faire dans chacune des cinq cents maternités. »

Pour éviter que les parents soient perdus, le secrétaire d’État a annoncé que des messages clés sur la parentalité, « ni normatifs ni culpabilisants », seraient ajoutés au carnet de santé. L’entretien prénatal précoce à 4 mois doit également être repensé. « Aujourd’hui, seules 28 % des femmes s’y rendent, il faut le généraliser et le réaxer sur la parentalité, pas seulement sur l’accouchement. On va mettre 10 millions d’euros dans les réseaux de santé périnatale auprès de l’assurance maladie pour faire connaître ce dispositif. »

Un investissement ambitieux

Un des points d’alerte du rapport de la commission des 1 000 premiers jours concerne la dépression post-partum, qui concernerait bien plus de femmes que ce que disent les chiffres. « Il s’agit d’un sujet tabou. Nous devons renforcer l’accompagnement post-partum, notamment afin de couvrir les pics de dépression qui se situent à la cinquième semaine après l’accouchement, puis autour du troisième mois. Nous allons mettre en place un entretien dédié et remboursé qui aura lieu à ces moments précis », explique Adrien Taquet, envisageant des visites à domicile ou en PMI (Centre de protection maternelle et infantile). Le secrétaire d’État annonce également la création de dix nouvelles « unités mère-enfant », « qui permettent une prise en charge en psychiatrie hospitalière de jeunes mères en dépression, avec leur bébé », ainsi que vingt équipes mobiles en psychiatrie périnatale, « pour aller à la rencontre des mères en souffrance psychologique importante ».

Pour Sophie Marinopoulos, tous les aspects du rapport ont été pris en compte par le secrétaire d’État, et la mise en place d’un parcours des 1000 premiers jours semble être en bonne voie. « Si on additionne toutes les mesures, c’est un milliard d’euros que l’on met sur la petite enfance, c’est très ambitieux », conclut Adrien Taquet. « En investissant dans ce domaine, on s’attaque aux inégalités là où elles se forment. »

Sur le même thème

Cher lecteur, chère lectrice, Nous travaillons sur une nouvelle interface de commentaires afin de vous offrir le plus grand confort pour dialoguer. Merci de votre patience.

Le magazine en format numérique

Lire le magazine

Les plus lus