Chronique «tas de vieux os»

Les Egyptiens chassaient des oiseaux sauvages pour les momifier

par Florian Bardou
publié le 2 octobre 2020 à 12h29

Une fois par mois, Libération recense l'actualité des choses du passé plus ou moins lointain : découvertes archéologiques, trouvailles paléontologiques et nouveautés préhistoriques. Ce mois-ci, notre douzième épisode relate la disparition du chromosome Y chez Néandertal, l'origine des momies animales et les migrations des mastodontes. Pour retrouver l'épisode précédent, c'est par ici.

Archéologie

Les Egyptiens chassaient des oiseaux sauvages pour les momifier

Chats, chiens, chacals, taureaux, crocodiles, serpents, perches du Nil, faucons, ibis et même, dans quelques cas, lions ou babouins… En Egypte, des dizaines de millions d'animaux momifiés ont été découverts par les archéologues depuis la fin du XIXe siècle. En 2019 par exemple, les autorités égyptiennes dévoilaient en grande pompe des momies de lionceaux, cobras et scarabées exhumées dans la nécropole de Bubasteion, à Saqqarah – une opération de communication pour relancer le tourisme. Preuve supplémentaire que ce bestiaire avait une importance significative dans la religiosité égyptienne. Depuis les débuts de l'égyptologie, la connaissance que nous avons de ces momies animales, très répandues entre les VIIIe siècle et le Ier siècle avant notre ère, s'est d'ailleurs considérablement étoffée. L'on sait par exemple qu'il s'agissait, comme les ex-voto, de témoignages de piété aux divinités auxquelles étaient associés les animaux – on offrait un chat momifié pour honorer la déesse Bastet par exemple –, que les processus de momification, assez diversifiés, étaient assez proche de celui pour les morts humains et, surtout, que certaines espèces étaient élevées non loin des temples à la seule fin d'être sacrifiées. La marque d'une véritable économie de la momification.

Des scientifiques lyonnais prélèvent des fragments de plumes sur une buse féroce momifiée des collections du musée des Confluences de Lyon. Des scientifiques lyonnais prélèvent des fragments de plumes sur une buse féroce momifiée des collections du musée des Confluences de Lyon. Photo Romain Amiot. LGL-TPE. CNRS

Mais contrairement aux chats domestiqués, élevés à cette fin, les oiseaux offerts aux dieux Horus, Rê et Thot étaient eux chassés en masse et de manière «opportuniste». C'est en tout cas ce que confirme l'étude d'une vingtaine de momies d'ibis et de rapaces, conservées dans les collections du musée des Confluences de Lyon, l'objet d'un article publié fin septembre dans la revue Scientific Reports. Concrètement, les scientifiques lyonnais ont cherché à savoir d'où provenaient les volatiles emmaillotés dans leurs bandelettes. Pour cela, ils ont donc choisi de prélever des fragments de ces oiseaux momifiés (plumes, os, tissus) afin d'analyser la signature isotopique laissée par leur alimentation. Si sa composition pour l'oxygène, le carbone ou l'azote était relativement semblable à celle laissée sur les momies humaines de la vallée du Nil, alors l'on pourrait conclure à une diète homogène, locale voire dérivée de celles des anciens Egyptiens – et, par là même, que ces oiseaux ont été élevés à des fins rituelles. Sinon, il s'agissait d'oiseaux sauvages chassés, une hypothèse retenue en raison de la très grande variabilité des isotopes analysés sur les momies. Et si les ibis et rapaces migrateurs étaient prélevés à l'état sauvage en aussi grande quantité (industrielle même), alors ces espèces ont dû sacrément en pâtir dès le Ier millénaire avant notre ère.

En bref

Au Nord, que du nouveau. Les Vikings n'étaient pas tous scandinaves. C'est en tout cas ce que révèle une vaste étude génétique de centaines de dépouilles retrouvées dans des nécropoles de l'ère viking (VIIIe au XIe siècle) en Suède, au Royaume-Uni, en Ukraine ou au Groenland. Mieux : le séquençage de l'ADN ancien permet d'affirmer que les hommes du nord, s'ils guerroyaient en famille, n'étaient pas tous grands et blonds aux yeux bleus, mais génétiquement bien plus diversifiés.

Esclavagisme mexicain. Les Mayas ont-ils aussi été réduits en esclavage par les Européens ? Cela se confirme grâce à la découverte par les archéologues mexicains dans les eaux de la péninsule du Yucatan d'une épave ayant autrefois servi au transport d'esclaves capturés illégalement. Baptisé la Union, ce bateau à vapeur, qui reliait le continent à Cuba, s'est abîmé en mer en 1861 emportant avec lui la moitié des membres d'équipage et 60 passagers.

Paléoanthropologie

Comment Néandertal a perdu son chromosome Y

Le génome de ce bon vieux Néandertal a encore parlé. Depuis que des paléogénéticiens de l'Institut d'anthropologie évolutionniste Max-Planck de Leipzig, en Allemagne, ont réussi à séquencer l'ADN de notre plus proche cousin humain disparu, en 2010, on sait que Homo neandertalensis et l'homme anatomiquement moderne (nous, enfin nos ancêtres) se sont rencontrés, y compris sexuellement, il y a au moins 80 000 ans au Proche-Orient. Ce métissage, longtemps impensable pour les scientifiques, a d'ailleurs laissé des traces dans notre génome, puisque 1% à 4% de l'ADN d'Homo sapiens est héritée de Néandertal. C'est par exemple la présence d'une version d'un gène impliquée dans les mécanismes de la douleur ou le legs d'une variante génétique associé à des formes plus graves de Covid-19. Mais il a aussi eu des conséquences pour le génome d'Homo neandertalensis suggère une étude publiée fin septembre dans la revue Science.

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En séquençant l'ADN ancien de cinq Néandertaliens et Dénisoviens mâles, ce qui n'avait jamais pu être fait jusqu'à ce jour, une équipe internationale de paléogénéticiens et paléoanthropologues s'est en effet rendu compte que le chromosome Y des hommes Homo neandertalensis avait été progressivement remplacé, de génération en génération, par celui des hommes d'Homo sapiens. Autre découverte : la présence dans les restes génétiques néandertaliens, pour certains vieux de 100 000 ans, d'ADN mitochondrial de femmes Sapiens – un legs seulement transmis par la mère. Ce qui implique des croisements entre les deux espèces bien plus anciens – il y a au moins 200 000 ans.

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Et cela ravit le paléoanthropologue Jean-Jacques Hublin. «L'analyse du chromosome Y apporte une nouvelle preuve de contacts anciens, quelque part entre l'Afrique et l'Eurasie, entre #Sapiens et #Neandertals, longtemps avant le remplacement de ces derniers», souligne à ce propos sur Twitter le professeur au Collège de France. En revanche, pour expliquer la disparition du chromosome Y, les scientifiques n'ont que des hypothèses : soit la sélection naturelle a favorisé la version d'Homo sapiens en raison de mutations délétères sur la version néandertalienne liées à des populations beaucoup moins nombreuses ; soit l'héritage d'ADN mitochrondrial Sapiens a favorisé des interactions avec notre chromosome Y. Dans tous les cas, notre rencontre avec l'Homme de Néandertal, l'a aussi changé.

En bref

Empreintes arabes. Il y a 120 000 ans, Homo sapiens foulait des prairies semi-arides pourvues en lacs et aujourd'hui situées au beau milieu de la désertique péninsule arabique. C'est en tout cas ce que suggère la découverte d'empreintes humaines et animales, de pas, dans le désert du Nefoud, en Arabie Saoudite. La région, propice au ravitaillement en eau, n'aurait été qu'un lieu de passage pour les hommes comme les animaux.

La première empreinte humaine, vieille de 120 000 ans et découverte dans le désert de Nefoud en Arabie Saoudite. La première empreinte humaine, vieille de 120 000 ans et découverte dans le désert de Nefoud en Arabie Saoudite. Photo Klint Janulis. AFP

Grotte portugaise. Arrivé en Europe par la voie danubienne il y a environ 45 000 ans, l'homme anatomiquement moderne s'est installé plus tôt qu'on le pensait dans la péninsule ibérique. C'était il y a entre 41 000 et 38 000 ans, ce qu'indique en tout cas la découverte dans la grotte de Lapa do Picareiro d'outils en pierre taillée propres aux premiers Sapiens européens. A cette époque, les tout derniers néandertaliens occupaient encore la région.

Paléontologie

En Amérique, les mastodontes migraient vers le nord en fonction du climat

Parmi les proboscidiens disparus, pour l'œil non averti ils se ressemblent, les mammouths (Mammuthus, de la famille des éléphantidés) ne doivent pas être confondus avec les mastodontes (de la famille mammutidés, apparus il y a 3,7 millions d'années). Les premiers, à l'image du mammouth laineux, étaient largement répandus de l'Afrique à l'Eurasie (et jusqu'au Canada), adaptés au froid et étaient un peu plus imposants (en taille et en poids) tandis que les seconds, préféraient les forêts de conifères nord-américaines, différaient surtout par leurs dents, en forme cônes, et leurs défenses plutôt droites. De même, les mastodontes américains, comme la plupart des éléphants préhistoriques, se sont éteints il y a environ 10 000 ans alors que Mammuthus primigenius a pu survivre sous une forme naine sur une île de l'Arctique quelques millénaires de plus. Compte tenu de l'échelle de temps de leur existence (le Pléistocène), ponctuée de périodes de glaciation et de réchauffement, mais aussi par l'arrivée de l'homme moderne sur le continent il y a environ 15 000 ans, ils sont donc de parfaits candidats pour comprendre comment les espèces réagissent à de telles perturbations écologiques - en particulier la mégafaune. Et passée l'analyse génétique des restes de 35 spécimens ils ont offert à des scientifiques de l'université de McMaster (Ontario) des résultats probants publiés tout début septembre dans la revue Nature Communications.

Les pérégrinations nord-américaines des mastodontes au Pléistocène en fonction des périodes de glaciation et de réchauffement du climat.Les pérégrinations nord-américaines des mastodontes au Pléistocène en fonction des périodes de glaciation et de réchauffement du climat. Photo Karpinski et al., Nature communications, septembre 2020.

Qu'ont découvert les paléogénéticiens canadiens en examinant l'ADN mitochondrial, une toute petite partie du génome de ces très gros mammifères ? Que la répartition géographique sur le continent des mastodontes, notamment aux latitudes nord, coïncidait avec les périodes interglaciaires durant lesquelles le climat se réchauffait. Autrement dit, les mammutidés migraient vers l'actuel Yukon ou l'Alaska dès que les conditions environnementales (un climat plus doux propice à l'établissement de forêts et zones humides en lieu et place des steppes gelées) le permettaient. Cependant, et c'est un peu le revers de la médaille, les populations les plus au nord perdaient aussi en diversité génétique, un très gros inconvénient pour leur survie à moyen et long terme. Ce qui est induit par le fait que ce sont de petits troupeaux matriarcaux qui prenaient la route du nord. En revanche, une question demeure sans réponse : pourquoi Mammut americanum s'est éteint après le dernier âge glaciaire (dont le maximum a été atteint il y a environ 21 000 ans) alors qu'il s'était adapté aux variations climatiques jusque-là ? L'espèce était-elle déjà en déclin ? Et si oui, quel a été le poids du facteur humain ?

En bref

Ours congelé. Il présente encore sa truffe, son pelage et ses organes internes. Découverts cet été par des éleveurs de rennes sur une île de l'archipel de Nouvelle Sibérie, dans l'Arctique, les restes quasi entiers d'un ours de cavernes sont les premiers à être sortis du permafrost. L'animal, dont l'étude va livrer plein de détails inédits sur cette espèce éteinte aux scientifiques, a vécu il y a entre 22 000 et 39 500 ans, selon les premières datations.

Pluies diluviennes. Il y a 232 millions d'années, un changement climatique global associé à un très fort volcanisme a conduit à une «extinction de masse». Connus comme l'«épisode pluvial du Carnien», à la fin du Trias, ces bouleversements auraient en effet provoqué une perte de 33% de la biodiversité marine selon de nouvelles estimations paléontologiques. Avant un nouveau boom des espèces végétales et animales comme l'apparition des tortues, des crocodiles et des mammifères ou la diversification des dinosaures.

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