La connerie, un moteur de l’histoire ?

Couverture du livre "Histoire universelle de la connerie" Sous la direction de Jean-François Marmion, Sciences humaines éditions
Couverture du livre "Histoire universelle de la connerie" Sous la direction de Jean-François Marmion, Sciences humaines éditions
Couverture du livre "Histoire universelle de la connerie" Sous la direction de Jean-François Marmion, Sciences humaines éditions
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Aujourd’hui Anaïs Kien n'est pas venue délivrer seule le Journal de l’Histoire puisque Yann Potin, notre invité lui prête main-forte, sur un sujet délicat, la mise en histoire d’une grossièreté

Antisémitisme, homophobie, sexisme, racisme, culturophobie, certitudes historiques, la liste est longue de ce que nous rangeons volontiers dans la catégorie construite à la va-vite sous le label « connerie », encore fallait-il commencer à construire cet objet pour le penser. C’est le projet de Jean-François Marmion dans Une histoire universelle de la connerie, publiée ces jours-ci par les éditions Sciences humaines. Marmion ne débute pas sur ce terrain puisqu’il a déjà publié une Psychologie de la connerie en 2018. 

Pour cette histoire universelle de la connerie, il s’est entouré d’historiennes et d’historiens, d’expertes et d’experts, qui ont accepté de relever le défi. Car la tâche est délicate si l’on veut respecter les règles de la discipline. Objet innovant dont la présence nous saute aux yeux une fois nommée, la connerie vivait là tapie dans un repli du champ historique et semble repérable à toutes les époques. Relativisme, anachronisme, absence de sources pour dater l’élaboration de la première belle connerie, sont autant d’écueils qu’il leur a fallu surmonter. Les auteurs de cette histoire entament donc vaillamment l’enquête avec un état-major aguerri même si le but de cette campagne parait incertain.

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La connerie au temps de pharaons

Commençons par les temps anciens, avec Florence Maruéjol, attachée de cours à l’Institut supérieur d’égyptologie Khéops qui se penche sur « La connerie au temps des pharaons » :

Les Egyptiens ayant prêté leur comportement et leurs sentiments à leurs divinités, la connerie n’épargne pas les dieux. La création est une œuvre imparfaite où le mal est apparu en même temps que le bien. Il en résulte un affrontement permanent entre les divinités incarnant le bien et d’autres personnifiant les forces du chaos.

Mais la connerie est-elle indissociable de la naissance de nos civilisations ? A n’en pas douter elle règne aussi bien dans le monde animal, il y a peut-être donc une nécessité de la connerie à la pérennité des espèces. Jean-François Marmion a posé la question à Steven Pinker, linguiste et professeur de psychologie à l’université de Harvard : les connards représentent-ils un avantage évolutif pour le groupe social ?

C’est bien possible, jusqu’à un certain point car il y a autant d’avantage que d’inconvénient à être un connard. L’avantage, c’est qu’on se sent plein d’assurance, qu’on cherche le pouvoir, qu’on revendique les ressources d’autrui. Les connards sont souvent populaires, ils trouvent facilement des partenaires sexuels…L’inconvénient c’est qu’ils blessent beaucoup d’autres personnes qui peuvent alors unir leurs efforts pour les destituer.

La connerie, moteur majeur de l'histoire

Les schémas historiques nous assaillent à cette évocation, vous en conviendrez. Et c’est bien là le caractère universel de cette histoire. Comment ne pas convenir que la meilleure façon de transformer quelqu’un en connard réside dans l’absence totale de contradiction qui lui est donnée ? A lire ces nombreuses contributions on serait tenté d’admettre que la connerie est un des moteurs majeurs de l’histoire, du côté des fauteurs comme de ceux qui les combattent.

_L’Histoire, après tout, ne serait-elle qu’une connerie de plus ? Oui, pour peu qu’on la prenne pour une machine à pondre des certitudes. Et que l'_hubris saisisse les historiens pour juger les temps arriérés du haut de notre Olympe actuelle. En temps normal, ils savent éviter cet écueil. Une enquête est le fruit d’une curiosité, d’une soif d’explorer, de débroussailler, de comprendre. Sans savoir ce qu’on va trouver, ni forcément ce que l’on cherche. A ces conditions, pourquoi la connerie, au fil de ses mues, de ses défroques ou de ses paillettes, ne serait-elle pas digne, elle aussi d’intérêt ?

par Anaïs Kien, avec la collaboration de Yann Potin

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