La véritable histoire de "Nadja" de Breton

Nadja et Breton
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La véritable histoire de "Nadja" de Breton
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La véritable histoire de "Nadja" de Breton

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"Nadja" de Breton, est l'un des plus beaux récits d'amour de la littérature. Grâce aux secrets de son manuscrit, voici l'histoire vraie de celle qui se fait appeler Nadja, parce qu'"en russe, c'est le commencement du mot espérance".

Un des plus beaux récits de la littérature française, Nadja, est écrit à partir d'une histoire vraie : celle de l’amour entre André Breton et Nadja. Longtemps, on a cru que Nadja était une actrice, Blanche Derval, voire un être de fiction. Mais des découvertes et des ventes récentes de manuscrits, de lettres et de carnets de Breton ont permis de redécouvrir la femme derrière le récit, comme l'explique, à la Bibliothèque nationale de France où est conservé le manuscrit original, Olivier Wagner, conservateur chargé de collections au Service des Manuscrits modernes et contemporains. 

La Compagnie des auteurs
58 min

S'ouvrir à la rencontre

"Sont réapparus sur le marché des témoignages qu’on pensait perdus de l’existence de Nadja. Et c’est assez troublant de la voir réapparaître, aussi longtemps après. Nadja était danseuse, courtisane, vivait de petits contrats. Elle était dans un état de pauvreté à ce moment-là. Et Breton va la soutenir, en particulier il va vendre un tableau de Derain pour lui permettre d’éponger ses dettes et de trouver un hôtel où elle puisse vivre." 

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L'unique photo connue de Nadja, aujourd'hui en possession de la BNF
L'unique photo connue de Nadja, aujourd'hui en possession de la BNF
- BNF

En 1926, quand il rencontre Nadja, André Breton a 30 ans, et il aime errer dans Paris. Ouvert au hasard de la rencontre, il accoste une femme mystérieuse. "C’est une errance qui provoque la rencontre amoureuse dans le sens où il se place lui-même volontairement dans un état de disponibilité. Nadja probablement était dans un état similaire. Probablement pas pour les mêmes raisons : c’est qu’elle se trouve elle-même déjà un peu vacillante, aux limites du délire. Et c’est le côté fascinant de cette rencontre : Nadja devient plus surréaliste que Breton. Elle est productrice d’images très fortes, qui bouleversent Breton, qui lui-même les encourage, et peut être encourage aussi l’aggravation d’un délire, derrière. Disons que c’est la rencontre entre deux causalités qui rend cette histoire très magnétique." De son vrai nom Léona Delcourt, elle se fait appeler Nadja parce qu'en russe, c'est "le commencement du mot espérance, et le commencement seulement". 

Vivre l'amour fou

En bon surréaliste, Breton place l’amour comme valeur cardinale. "L’amour fou est au centre de l’éthique surréaliste dans le sens où le surréalisme ce n’est pas qu’un mouvement littéraire, c’est une philosophie de vie, une morale de l’existence." André et Nadja passent ensemble une semaine d’errance, de fascination, de passion. Mais bientôt déçue par cet amour non réciproque, en février, Nadja quitte Breton, et lui prédit qu’il écrira leur histoire. "C’est le côté prophétique de Nadja, prophétique toujours un peu aux limites du délire aussi, puisque le délirant voit des associations qui n’existent pas."

“Tu écriras un roman sur moi. (...) Tout s’affaiblit, tout disparaît. De nous il faut que quelque chose reste...” Nadja à Breton, dans Nadja

"Au mois de mars 1927, Nadja sombre dans la folie, elle a un épisode délirant dans son hôtel, et elle est enfermée. C’est la tragédie de cette femme : elle ne sortira jamais de cet enfermement, et comme beaucoup de personnes hospitalisées dans des institutions psychiatriques, elle va mourir au cours de la Deuxième Guerre mondiale, probablement de faim. Donc Breton, au moment d’écrire “Nadja”, est face à cette catastrophe, d’une aventure qui le remet profondément en cause."   

Dessin de Nadja, autoportrait
Dessin de Nadja, autoportrait
- Nadja / BNF

Écrire l'intensité

Quelques mois après son internement, pour exorciser ce traumatisme, Breton s’isole dans un manoir normand, pour écrire, en 10 jours, le récit de cette rencontre. 

"C’est ce qui explique aussi l’intensité de l’écriture telle qu’on le voit sur le manuscrit. C’est-à-dire qu’il y a une vérité par rapport à soi-même, qu’on voit dans la rigueur extrême de l’écriture. Donc c’est à la fois une écriture intense, et en même temps raturée, cahoteuse, difficile pour Breton, facile et empêchée en même temps… c’est ce paradoxe qui est bouleversant avec ce manuscrit."

Le manoir normand dans lequel Breton écrit "Nadja"
Le manoir normand dans lequel Breton écrit "Nadja"
- André Breton / BNF

Moins de deux ans après sa rencontre avec Nadja, Breton en publie le récit. "C’est le soulagement pour Breton, qui le fait lire en descendant du train. Ses amis sont rassemblés à la gare, et il commence la lecture de “Nadja”. Pour Breton, c’est un récit tellement intime et tellement bouleversant que ça devait avoir une importance plus singulière. Et rentré à Paris, Breton se met à rassembler tout l’aspect iconographique du récit. Puisque c’est une des caractéristiques majeures de “Nadja”, c’est non seulement cette rencontre amoureuse, mais l’usage très novateur fait par Breton de l’image qui vient ponctuer le récit pour éviter la description. Et Breton évidemment a mis un soin maniaque dans le choix de ces images, puisque évidemment aucune n’est anodine. Elles ont toutes une importance énorme." 

La 1e page de "Nadja", manuscrit original
La 1e page de "Nadja", manuscrit original
- André Breton / BNF

Transformer l'original

Tombé amoureux d’une autre femme, Suzanne, Breton ajoute une troisième partie au texte sur l’amour véritable permis par l’amour contrarié avec Nadja. "C’est cette dernière partie qui explicite ce qu’a signifié pour lui son aventure avec Nadja, c’était l’annonce de l’amour, mais ce n’était pas encore l’amour. Ce n’est pas très sympathique pour Nadja, mais c’est comme ça que Breton l’a vécu, et il ne faut pas oublier que c’est un récit avant tout de l’authenticité et de l’analyse de soi."

Des années plus tard, en 1962, Breton modifie substantiellement le texte et les images d’origine. Il efface notamment la nuit passée avec Nadja dans un hôtel, que l’immense majorité des lecteurs actuels ne soupçonne donc pas… "Donc on perd là la dimension charnelle de l’histoire d’amour entre Breton et Nadja. C’est un réflexe de vieillesse qu’on s’explique un peu moins, qui fait perdre un peu en fraîcheur, en spontanéité, le récit de Nadja_, alors que c’est précisément ce qui est intéressant à la base : c’est cette profonde spontanéité, l’authenticité du récit de_ Nadja_. Même Julien Gracq a trouvé que Breton se reniait par cette réécriture."_

Depuis 1928, peu à peu, le mythe de Nadja a fini par effacer jusqu'à sa personne. À plusieurs reprises, Breton a même reçu des lettres de femmes qui prétendaient être Nadja. "Ce sont des femmes qui souvent étaient folles, internées, tellement prises par le mythe Nadja qu'elles finissaient par s'identifier." Et Breton lui-même, à la fin de sa vie, ne se souvenait plus bien de son nom, hésitait avec celui d'Hélène. "C'est quelque chose qui même pour Breton à ce moment-là, dans les années 1960, se déréalise un peu. C'est le côté triste aussi de ce récit : à quel point une femme, qui a existé pourtant, a disparu de la mémoire."

À lire

Nadja, d'André Breton, le fac-similé du manuscrit autographe de 1927 et étude illustrée de Jacqueline Chénieux-Gendron et Olivier Wagner. Gallimard et BNF éditions, 2019

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