Les aides à domicile auprès des personnes âgées appellent à l'aide : "on devient maltraitantes"

Ces aides à domicile ont vu leurs conditions de travail se dégrader et disent devenir "maltraitantes", malgré elles, avec les personnes âgées. Témoignages.

Au Bosc-du-Theil, près du Neubourg (Eure), deux hommes ont volé de l'argent liquide au domicile d'une personne âgée lundi 31 août 2020.
Les auxiliaires de vie travaillent dans des conditions précaires, au détriment du bien-être des personnes âgées. (©Illustration/Le Courrier de l’Eure)
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« J’arrive, la grand-mère dont je m’occupe a les jambes qui ont lâché dans les toilettes et je me suis déplacée une cervicale », nous annonce Sandrine, auxiliaire de vie dans le secteur de Darnétal et Saint-Léger-du-Bourg-Denis, près de Rouen (Seine-Maritime).

« Ma dame de compagnie »

Essoufflée, elle nous retrouve chez Madeleine, 86 ans, qu’elle emmène faire les courses dans le centre de Saint-Léger-du-Bourg-Denis. Complices, les deux femmes s’entendent comme mère et fille. « Souvent, les gens les appellent des femmes de ménage. Mais ce n’est pas du tout ça, Sandrine, c’est ma dame de compagnie », sourit Madeleine en regardant chaleureusement son auxiliaire de vie.

Sandrine vient une heure par jour chez Madeleine et deux heures le jeudi où elles vont faire des courses ensemble. À 44 ans, Sandrine est auxiliaire de vie depuis 15 ans au sein d’une association qui propose des services à domicile.

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Des centaines de km par semaine

Un travail qu’elle fait avec amour mais pas sans sacrifice. Comme beaucoup d’autres auxiliaires de vie, Sandrine n’est pas payé cher et fait des centaines de kilomètres par semaine avec sa voiture personnelle. « Ce n’est pas contre mon employeur que je dis tout ça. Mais je parle des conditions de travail en général des auxiliaires de vie. » Sandrine voudrait un peu de reconnaissance pour ce métier :

Pendant la crise sanitaire, on n'a pas arrêté d'aller voir nos grands-mères même si on n'avait qu'un masque par semaine. Et pourtant, on n'a pas eu la prime Covid comme à l'hôpital !

SandrineAuxiliaire de vie

Une injustice qui a poussé des aides à domicile à descendre dans la rue, le 16 juin 2020, mais aussi pour certaines, à s’engager dans le Collectif national de la force invisible des aides à domicile ou dans un syndicat.

Sortir du silence

Le 16 juin 2020, aux côtés de tous les acteurs de la santé, des aides à domicile sont descendues dans la rue à Rouen (Seine-Maritime).
Le 16 juin 2020, aux côtés de tous les acteurs de la santé, des aides à domicile sont descendues dans la rue à Rouen (Seine-Maritime). (©ML/76actu)

Ces femmes se sont trop longtemps imposées le silence, elles veulent aujourd’hui dénoncer leurs conditions de travail.

Car ce serait un euphémisme de dire que les journées des aides à domicile sont « chargées ». Elles s’étendent de huit heures à 20 heures, « avec parfois des pauses de deux heures en plein milieu de la journée », déplore Marie-Laure, 50 ans, auxiliaire de vie dans le secteur de Sotteville-lès-Rouen, qui travaille dans une entreprise privée dont elle préfère taire le nom.

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30 minutes le matin, c’est la course

« Quand on est loin de chez soi, on ne peut pas rentrer alors on attend dehors, dans la voiture, dans un café… Et tous les soirs, on rentre à 20 heures. Pour la vie de famille, c’est compliqué. Je ne comprends pas pourquoi on ne fait pas des équipes du matin et du soir, ce serait tellement plus simple », fait remarquer Marie-Laure.

Et dans le contenu de leur travail, c’est tout le temps la course. « Le matin, selon les bénéficiaires, on ne peut avoir que 30 minutes pour faire le lever, la toilette, le petit-déjeuner, la literie… », énumère Corinne, 57 ans, qui travaille à l’association ADMR (Aide à domicile en milieu rural). 

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Bip, bip… Il faut y aller !

« Entre chaque bénéficiaire, vous n’avez que cinq minutes d’écart », raconte Pauline*, 25 ans, qui travaille dans l’agglo de Rouen pour un Centre communal d’action sociale (CCAS). Selon les pratiques des employeurs, c’est un coup de téléphone ou un bip qui leur rappellent qu’il est temps de partir, qu’il faut enchaîner avec un autre bénéficiaire. 

Cet emploi du temps à la chaîne les amène parfois à se sentir « maltraitantes » avec les personnes âgées. « On les bouscule, on les presse mais on est obligé, déplore Marie-Hélène, 57 ans, qui travaille aussi pour l’ADMR. Malgré nous, on se sent maltraitantes. »

Des fois, selon comment est organisé le planning, on doit coucher les gens à 16h45 ! Là, moi, je dis non, c'est ça aussi, la maltraitance.

CorinneAide à domicile

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« On fait le travail des aides-soignants »

Pour ces femmes mûres, qui sont dans le métier depuis plus de dix ans, c’est aussi le contenu de leur travail qui a changé. « Les gens vivent plus vieux et restent à domicile plus longtemps qu’auparavant, ils ont donc des pathologies de plus en plus lourdes. Cela nous amène à des glissements de tâches. Aujourd’hui, nous faisons un métier d’aides-soignantes, on utilise du matériel de l’hôpital (verticalisateur, draps de glisse…). Une toilette complète dans un lit, c’est un geste médical. Et nos salaires sont toujours aussi bas. »

Entre 10 et 12 euros de l’heure, avec rarement des temps complets, les femmes s’en tirent régulièrement avec un salaire à moins de 1 000 euros par mois. « Alors qu’on travaille tous les jours, les week-ends et que les bénéficiaires paient quand même 25 euros de l’heure ! », s’énerve Marie-Laure.

« C’est au détriment de nos aînés »

Les aides à domicile, ces femmes essentielles qui s'occupent des personnes âgées, travaillent dans des conditions très précaires.
Sandrine, auxiliaire de vie, est devenue « la dame de compagnie » de Madeleine. (©ML/76actu)

La plupart des femmes interrogées ont des problèmes de dos et des tendinites à répétition. Mais malgré leurs dures conditions de travail, ces femmes invisibles aiment leur métier car elles se sentent utiles.

« Cependant, si rien ne change, ça va devenir très compliqué. D’ailleurs, les jeunes ne veulent plus venir dans ce métier ou alors elles sont là par dépit. Et tout ça, c’est au détriment des personnes âgées, qui sont pourtant les gardiens du savoir », philosophe Corinne. 

Mais alors pourquoi ce métier indispensable, dont la société française aura de plus en plus besoin dans les années à venir, est-il si mal payé et si mal reconnu ? 

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À qui la faute ?

Pour comprendre, il faut savoir que c’est l’Apa (Allocation personnalisée d’autonomie) qui délivre le nombre d’heures qui seront allouées à chaque bénéficiaire, en fonction du besoin évalué par un assistant social du Département de Seine-Maritime.

C’est le Département qui finance cette allocation, à hauteur de 20,30 euros l’heure, qui permet alors aux seniors de prendre des auxiliaires de vie de manière gratuite. « Mais des fois, les plans d’aides du Département, c’est à la limite de la maltraitance, confie un employeur d’aides à domicile, qui souhaite rester anonyme. Quand il faut lever une personne de 100 kg, la laver, l’habiller et la faire manger… tout ça en 30 minutes : c’est impossible. »

De son côté, Blandine Lefebvre (UDI), vice-présidente en charge de l’action sociale au Département de Seine-Maritime, assure que tous les plans d’aides peuvent être réévalués. « Avant que la situation s’aggrave, il faut tout de suite le faire remonter et on réévaluera rapidement le plan d’aides validé par le Département. »

Elle précise également que le Département met sur la table 85 millions d’euros par an pour l’APA : « Ce n’est pas anodin comme budget. »

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600 millions d’euros nécessaires

Mais il n’y a pas de secret, pour augmenter les salaires et améliorer les conditions de travail, le nerf de la guerre, c’est l’argent. 

Des représentants du personnel et des employeurs se sont d’ailleurs mis d’accord pour une augmentation de la valeur du point à 5,50 euros (au lieu de 5,38 actuellement), « mais le gouvernement rechigne à signer l’amendement pour faire modifier la convention collective car ça lui coûtera 600 millions d’euros », dénonce Gérard Leseul (Parti socialiste), nouveau député de Seine-Maritime, qui a abordé le statut des aides à domicile lors des questions au gouvernement, mardi 29 septembre 2020.

Pour Olivier Savier, le directeur de la Fédération de l’ADMR en Seine-Maritime, qui emploie 1 450 personnes dans le département, la filière a surtout besoin de se structurer. « Nous pensons qu’il faudrait mettre en œuvre une gouvernance au niveau départemental, en donnant aux Conseils départementaux les moyens de remplir leur mission historique de chef de file de l’action sociale, notamment pour organiser, harmoniser et soutenir l’aide à domicile », indique-t-il.

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Des difficultés en campagne

En Seine-Maritime, il y a 95 structures qui proposent de l’aide à domicile. « C’est à mon sens beaucoup trop, surtout sur les zones rentables en ville, ce qui fragilise les acteurs qui interviennent sur tout le territoire quelques soient les km, donc en pleine ruralité. Il faudrait moins d’acteurs mais des opérateurs départementaux globaux gérant le parcours de l’usager (en urbain et en rural) et offrant une offre de service complète », explique Olivier Savier.

Pour lui, en plus de la revalorisation salariale, il faudrait également travailler sur « l’image de ce métier essentiel », mais aussi sur « les formations et le recrutement ».

Blandine Lefebvre, la vice-présidente du Département de Seine-Maritime, entend très bien ce besoin de revalorisation de « ces femmes qui font un travail remarquable et extraordinaire » et de réorganisation de la filière, « même si tous les acteurs du secteur, qu’ils soient privé ou non, ont leur place ». Elle ouvre une fenêtre d’espoir : « On attend avec impatience la loi Grand âge et autonomie, prévue pour fin 2020, début 2021, qui pourrait changer les choses. »

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