La pénurie de nickel menace la transition énergétique

Les voitures électriques se vendent de plus en plus , les vélos avec un moteur propulsé par des électrons connaissent un engouement spectaculaire. Il s'agit de deux marchés portés par des normes antipollution plus strictes et des aménagements spécifiques. La transition énergétique du transport est donc en ordre de marche, le climat s'en porte mieux, et les villes respirent.

Dans le silence de l'habitacle d'une voiture électrique, le conducteur peut vite oublier que son véhicule a remplacé le pétrole par des quantités colossales de métaux , notamment dans la cathode, pièce maîtresse de la batterie. Il faut du lithium, du cobalt, mais aussi du nickel, dont la présence est souvent ignorée.

Ce métal, qu'on utilise en grande partie pour fabriquer de l'acier inoxydable, est un incontournable du « monde d'après ». Dans la batterie d'une « Zoé », on compte plus de nickel que de cobalt ou de lithium. Il donne de l'autonomie et permet de remplacer une partie du cobalt, plus cher et à la réputation sulfureuse même s'il donne de la durabilité.

Goulet d'étranglement

La Commission européenne reconnaît l'importance du nickel, mais le métal ne figure pas sur sa liste des matières premières « critiques » dont l'approvisionnement doit être sécurisé. Son énumération comprend déjà le cobalt et a vu apparaître en 2020 le lithium.

Pourtant, c'est bien l'approvisionnement en nickel qui inquiète les industriels, et pas des moindres. Fin août, lors d'une conférence avec des analystes, le patron de Tesla, Elon Musk, a jeté un pavé dans la mare : il promet un contrat géant à la société qui pourrait lui fournir du nickel en quantité et extrait le plus proprement possible.

Un avis partagé par Eramet : « Le goulot d'étranglement de la transition énergétique se fera sur le nickel », prévient sans détour Pierre-Alain Gautier, directeur de la stratégie du groupe français, rappelant que, par le passé, les producteurs de lithium et de cobalt ont montré leurs capacités à rapidement augmenter l'offre.

Gourmand en capital

En raison de l'explosion des véhicules électriques, la demande en nickel devrait grimper à 1 million de tonnes d'ici à 2030, contre 100.000 aujourd'hui. C'est en Indonésie que se situent les principaux gisements capables d'y répondre. Pour le moment, les projets dans les tuyaux représentent environ 250.000 tonnes.

Le temps presse, car il faut entre cinq et dix ans pour qu'un projet émerge. A cela, il faut ajouter l'obstacle financier : ces projets sont très gourmands en capital - il faut compter 1,5 milliard de dollars, contre 500 millions pour le lithium , par exemple.

Ce n'est pas un hasard si les acteurs chinois, les plus actifs en Indonésie, investissent sur l'ensemble de la chaîne de valeur. Du groupe minier au constructeur automobile en passant par le fabricant de batteries et le raffineur.

A l'inverse, les Européens, notamment les constructeurs automobiles mal en point, sont réticents à investir directement dans une mine et préfèrent acheter leur nickel via des contrats de long terme.

« Le volume de nickel disponible sur le'free market' va être faible, car le niveau d'intégration des chaînes de valeur sera important, il existe donc un risque qu'une usine de batteries française ou européenne ne soit pas suffisamment approvisionnée », met en garde Pierre-Alain Gautier.

Le patron de Tesla a par ailleurs attiré l'attention sur l'autre sujet majeur du nickel : les conditions environnementales d'extraction qui sont loin d'être neutres. Pour une tonne de métal, on obtient au moins 10 tonnes de résidus miniers.

Gestion des résidus miniers

L'option la moins chère, choisie par les Asiatiques en majorité, est de les envoyer au fond de l'océan, au risque de détruire la biodiversité sous-marine et les barrières de coraux.

Chez Eramet, qui développe un projet à Weda Bay, en Indonésie, on refuse de recourir à cette méthode. « On ne s'engagera pas dans ce type de projets, car c'est incompatible avec notre politique environnementale et avec les marchés auxquels on s'adresse », explique Samuel Dufay, directeur environnement. « Il faut préserver la réputation de toute la chaîne de valeur, sinon l'industrie automobile va revivre le dieselgate », explique-t-il.

Le groupe français préfère donc la solution, plus chère, du stockage à sec. Les résidus sont pressés, séchés et entreposés, cela permet de revégétaliser la mine et éviter l'érosion des sols. Les barrages miniers, une troisième solution, ne sont pas assez sécurisés dans un pays où il pleut beaucoup et où les séismes ne sont pas rares. Et les groupes veulent éviter une catastrophe comme celle qui a tué 200 personnes au Brésil, en amont de Brumadinho, en janvier 2019.