« Morts pour rien », « On est là pour nos enfants », « Plus jamais ça », voici quelques-uns des nombreux slogans inscrits sur les affiches et banderoles exposées sur la place Micoulaud ce vendredi 18 septembre. En cet fin d’après-midi, un rassemblement pour « la paix et l’harmonie dans le quartier » à l’appel de l’association Izards Attitude et des habitants a réuni une petite centaine de personnes. Sortie du métro Trois Cocus à l’endroit même où quelques semaines auparavant une (autre) fusillade a éclaté. Des habitants sont présents, mais beaucoup par peur ont préféré rester chez eux. Des associatifs, et des médias locaux ont également répondu à l’appel.

Sortie du métro « Trois Cocus » – Quartier des Izards à Toulouse

Quelques heures plus tôt la même place était encadrée par la police avec des fonctionnaires armés de fusils d’assaut, imposant une ambiance digne d’un film américain. Pourtant depuis quelques jours c’est le quotidien des habitants. « J’ai entendu les rafales hier, maintenant ça tire à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit » confie une mère de famille, tout en imitant le bruit des impacts. Elle ne cache pas sa peur. Une autre explique « ce ne sont plus des jeunes du quartier, ceux-là on ne les connaît pas, à ce qu’il parait, ils viennent de Paris ». Des guetteurs venus de Seine-Saint-Denis recrutés en renfort, c’est ce que relatait la Dépêche du Midi début septembre.

Ici, où 16 personnes ont été interpellées en juin et un réseau a été démantelé, le marché de la drogue a explosé. Un marché très lucratif engendrant des guerres de territoires incessantes. Tandis que les équipes qui récupèrent le terrain se succèdent, les consommateurs font la queue devant les points de vente. Les cris des choufs ici, sont, un peu comme les chants des cigales, un bruit de fond permanent. Et face à cette violence et ces drames successifs les habitants se sentent bien seuls.

C’est un quartier abandonné qui n’intéresse personne sauf quand il y a des élections.

Alors que ce rassemblement pour la paix dans le quartier a été relayé sur tous les réseaux sociaux, et malgré la présence de plusieurs médias, aucun élu de la majorité toulousaine n’est présent. Pire, on raconte que des agents de la mairie auraient reçu une injonction de leur hiérarchie de ne pas s’y rendre.

« C’est un quartier abandonné qui n’intéresse personne sauf quand il y a des élections. On veut voir les vrais représentants des institutions, le maire, le commissaire, le préfet ainsi que les représentants de la justice. Qu’ils arrêtent de nous envoyer leurs sous-fifres » s’indigne Alain Chainel habitant du quartier et membre du comité d’administration d’Izards Attitude. Interrogé sur cette absence de représentants, le maire de quartier Maxime Boyer argue qu’il lui semblait « légitime de laisser cette initiative d’habitants, aux habitants et de la préserver de toute récupération politicienne ».

Izards attitude : 7 ans de travail de terrain

C’est en 2013, qu’Izards Attitude voit le jour sous l’impulsion de Yamina Aissa Abdi sa cofondatrice. Celle qui est aujourd’hui la locomotive du quartier est arrivée dans la ville rose en 1997, après son mariage.

 « Nos enfants connaissaient des difficultés à l’école et les parents étaient convoqués de plus en plus souvent par les professeurs, c’est suite à ce constat d’échec et aux problématiques liées à la rénovation urbaine qu’on a lancé l’association » raconte la mère de quatre enfants.

Deux mois après ce lancement, une première fusillade endeuille le quartier. Nabil, 18 ans est blessé par balles, il se réfugie dans un bâtiment et frappe à la porte de Yamina. Elle lui ouvre. Il aura tout juste le temps de succomber chez elle, dans ses bras. « Je ne pouvais plus rester dans mon appartement, c’était trop dur, se souvient-elle. Mais je n’étais pas prioritaire. J’ai attendu un an pour être relogée ».

Parfois j’ai envie de tout lâcher, mais je trouve la force pour ces enfants et ces femmes
qui restent.

Depuis, elle vit en dehors du quartier, mais y revient chaque jour. Lors de tous les évènements, elle impressionne par son énergie et sa détermination. Ateliers cuisine, initiation au bio, camps de vacances pour les enfants et les mamans du quartier… Inspirante et infatigable, elle force l’admiration et emmène « ses daronnes » faire des randonnées à vélos. 45 km pour la dernière en date. A croiser son regard noir et déterminé, on comprend vite qu’elle ne lâchera pas l’affaire. Quand on l’interroge pour savoir où elle puise toute cette énergie, elle répond humblement « parfois j’ai envie de tout lâcher, mais je trouve la force pour ces enfants et ces femmes qui restent. Elles aussi sont très courageuses. Et cette colère face à l’injustice qu’elles vivent est aussi un moteur »

Les femmes des Izards

Dans ce marasme et malgré la peur du quotidien, les femmes d’Izards attitude font front, elles sont une vingtaine à se battre pour que leurs enfants aient une vie ‘normale’. Nous les retrouvons dans le local de l’association situé au pied d’une tour. « C’est notre seul espace de rencontre et de discussion il n’y plus rien dans le quartier », expliquent-elles. Ici elles se réunissent, organisent des animations, ou simplement discutent. Certaines d’entre-elles ont perdu un enfant ou un proche dans ces affrontements, d’autres craignent pour leurs propres enfants à en perdre le sommeil. Avec pudeur, parfois au bord des larmes, certaines évoquent ces drames successifs qui les ont touchées et continuent de les hanter. Toutes portent le poids du quartier sur le visage. « On redoute la prochaine, on se dit à qui le tour ? On a peur des balles perdues quand on va chercher nos enfants à l’école et on sursaute au moindre bruit » avoue l’une d’elles.

Pourtant elles déplorent qu’aucune cellule psychologique n’ait été mise en place. Selon la mairie, « c’est un besoin qui n’a pas été identifié, car il existait une faible proximité entre les premières victimes et les habitants. En revanche plusieurs habitants ont réclamé une présence policière visible et des patrouilles renforcées. Ce qui a été mis en place en partenariat avec la préfecture »

On a peur des balles perdues quand on va chercher nos enfants à l’école et on sursaute au moindre bruit.

Depuis le début de l’année, sous l’impulsion de Yamina, elles participent à un projet d’aide aux devoirs pour les enfants du quartier. Et même si certaines n’ont jamais été à l’école, chacune a sa place et apporte sa pierre à l’édifice. « Nous participions à un groupe de travail sur le décrochage scolaire, mais il nous fallait un vrai dispositif d’accompagnement pour les enfants qui devait impérativement inclure les parents » explique Yamina. Alors en à peine deux mois, Yamina l’infatigable, écrit le projet, recrute parents et étudiants bénévoles et démarre le dispositif fin février. C’est une quinzaine d’enfants qui bénéficient d’un accompagnement à raison de deux fois par semaine dans les locaux du centre social.

Yamina, fondatrice de l’association Izards Attitude

« Ce n’est pas que de l’aide aux devoirs, c’est aussi un lieu de rencontre, de parole, d’entraide », insiste Yamina qui nourrit l’ambition d’avoir son propre local, un lieu plus grand, indépendant, ouvert pour les enfants dès la sortie de l’école. « Ça ne se limiterait plus au soutien scolaire. On ouvrirait à la culture, au théâtre, on travaillerait sur les émotions, l’idée c’est que les enfants puissent s’exprimer » explique la mère de famille.

L’école des parents

Pour booster son projet, celle que les enfants surnomment « tatie Yamina » fait équipe avec Abel Belhadi professeur de technologie au collège Toulouse Lautrec. Tous deux lancent « Les ponts du savoir ». Une formation pour les mamans de l’association. Objectif : en faire des référentes qui feront le lien entre les parents des enfants bénéficiant de l’aide au devoir et les étudiants bénévoles. Trois jours avec un programme intense où se mêlent culture, sport, alimentation, jeux de rôle, sophrologie et espace de parole. « Comme Yamina j’avais nourri l’idée de créer une école des parents, du coup on s’est associé sur le projet, j’ai préparé le programme et elle est partie chercher les financements auprès de la fondation Abbé Pierre qui est l’un des principal financeur de l’association, et sans laquelle tout ça ne serait pas possible » sourit l’enseignant.

Mi-août le duo emmène sept mamans sur un bateau-hôtel à Avignon. « C’était impératif de les sortir du quartier, qu’elles relâchent la pression, afin qu’elles puissent se concentrer et s’ouvrir » explique Yamina, avant de poursuivre « je voulais quelque chose de digne, pas une formation de bas niveau. Ce n’est pas parce que certaines ne savent pas lire qu’elles n’ont pas de compétences ».

A l’évocation de leur séjour, ces mamans entre 35 et 50 ans retrouvent leurs yeux d’enfants, « c’était magnifique », se rappelle Leïla, tout sourire, pour qui c’était une première sortie. Comme elle, beaucoup n’avaient jamais quitté mari et enfants pour partir seule.

« Quand nous avons vu le programme, et tout le travail que Yamina nous avait préparé, on lui a dit qu’on allait lui donner des cachets pour la faire dormir … » s’esclaffe Kaoutar. Finalement elles le suivront à la lettre. Découverte de la ville, musée d’arts contemporain, randonnée dans les vignes… Le rythme est dense.

On a oublié tous les problèmes du quartier.

Moment fort du séjour : la visite de la librairie. Une première fois pour la plupart. Toutes repartent avec un livre choisi par elles et offert par l’association. Hakima craque pour un livre sur le soufisme, tandis que Kaoutar opte pour un livre en arabe sous-titré en Français. Fatima qui ne sait pas lire, repart avec un livre illustré sur les paysages. De retour sur le bateau, un atelier lecture donne lieu à des échanges intenses.

« Les daronnes » lors de leur séjour

Afin de travailler leur communication, Yamina et Abel leurs proposent un exercice de jeu de rôle « on a découvert plein de choses les unes sur les autres » sourit Hakima la volubile. Chacune trouve sa place et détermine sa fonction dans le dispositif d’aide aux devoirs. Si Zohra se propose de cuisiner pour les bénévoles, Houria se voit en médiatrice pour faire le lien entre les parents et l’école. Fatima insiste pour dérouler les photos qu’elle a prise de ces trois jours mémorables sur son portable. Les images parlent d’elles-mêmes. Toutes y dégainent leurs plus beaux sourires, émerveillées par la beauté des lieux. Apprêtées et posant devant l’objectif « On s’est dépassé et on a oublié tous les problèmes du quartier. C’est la meilleure sortie qu’on a jamais faite » s’accordent-elles à dire.

Courageuses mais seules

 ‘On n’attend plus rien de personne’, cette phrase revient régulièrement dans la bouche des filles, qui ont décidé de faire par elles-mêmes.

Ce quartier certaines comme Mass y sont nées. « Le basculement a eu lieu il y a une dizaine d’années quand ils ont commencé à détruire les bâtiments dans le cadre de la rénovation urbaine. Avant il y avait des parcs, des espaces où les gens pouvaient se retrouver dehors pour discuter. Même s’il y avait du trafic c’était plus discret » explique nostalgique, celle qui a été à l’école du quartier. Ce constat sur l’échec de la rénovation urbaine est partagé par toutes.

Où est passé l’argent de la politique de la ville ? Ça n’a pas bénéficié aux habitants. On nous parle de chiffre mais concrètement on ne voit rien !

Alors quand Yamina lors d’un rendez-vous à la préfecture, pour faire un point sur la situation après cette sixième fusillade, se voit répondre lorsqu’elle réclame des moyens, que le quartier a déjà bénéficié de beaucoup d’argent public, elle enrage « où est passé l’argent de la politique de la ville ? Ça n’a pas bénéficié aux habitants. On nous parle de chiffre mais concrètement on ne voit rien ! » Elle déplore aussi l’absence de représentants des institutions dans le quartier. « A part le maire du quartier et l’élu à la politique de la ville , personne ne s’est déplacé ! »  s’exaspère-t-elle.

Du côté de la mairie on évoque plus de 19 millions d’euros investis par la collectivité  et 17 millions par les autres partenaires bailleurs sur le quartier, ainsi que la localisation d’équipements publics, tels que l’accueil jeunes et réussite éducative. Par ailleurs, elle évoque les créations à venir d’un restaurant seniors, d’un équipement petit enfance, d’un accueil de loisirs et de l’implantation de la Maison de Justice et du Droit.

Je n’ai pas envie de partir d’ici.

Cet été, Izards attitude, a organisé deux camps pour les enfants, deux pour les mamans, et une multitude d’activités dans le quartier, tandis que pendant le confinement, les bénévoles ont distribué des colis et assuré le lien avec les personnes isolées. Alors Amina peste quand on lui rétorque que pour avoir de l’argent « il fallait de vrais projets ! » De son côté le maire de quartier assure que « la collectivité soutient pleinement l’association et confortera ce soutien dans les prochains jours, afin de lui permettre de développer plus avant ses projets, et notamment le projet d’accompagnement à la réussite scolaire ».

Mais pour Yamina, cela ne suffit pas : « on est les seuls à rester sur place au bout de sept années de travail, on mérite plus de moyens et de considération ! Nos seuls soutiens sont les membres du Takticollectif (ndlr : une association culturelle du quartier) et l’équipe du centre social avec qui nous avons des partenariats et qui nous soutiennent et nous accompagnent dans tous nos projets ».

Si certaines bénévoles souhaitent quitter le quartier, d’autres comme Leïla, ne se voient pas déménager. « Nous sommes dans un F3, avec mon mari et mes trois enfants, mais je n’ai pas envie de partir d’ici. » confie la blonde tout sourire. Elle reconnait tout de même que la situation s’est fortement dégradée « c’est triste que ça ait tourné comme ça. C’est triste pour les gens qui sont morts comme pour ceux qui tuent ».

Céline BEAURY

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