Santé

La transplantation fécale pourrait guérir une variété de maladies

Elle pourrait contribuer à traiter le syndrome du côlon irritable, l'alcoolisme et les complications du cancer du côlon, mais les médecins mettent en garde contre les procédures DIY.
Alessandro Pilo
Budapest, HU
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
DIY transplantation fécale
Josiah durant sa transplantation DIY. Photo publiée avec son aimable autorisation.

Le microbiome humain est une chose merveilleuse. Des études récentes ont confirmé que les milliards de micro-organismes qui vivent dans notre intestin jouent un rôle essentiel dans notre santé physique et mentale. Ce domaine de recherche est nouveau mais très prometteur : le fait de découvrir les secrets d'un microbiome sain pourrait nous aider à traiter des conditions allant du syndrome du côlon irritable (SCI) à l'alcoolisme.

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Si un intestin heureux assure une vie saine, un microbiome triste la transforme en enfer. Par exemple, Clostridium difficile (ou C. diff) est une infection bactérienne qui peut provoquer une diarrhée explosive jusqu'à 20 fois par jour et même vous tuer, explique le Dr Giovanni Cammarota, gastro-entérologue à l'hôpital universitaire Gemelli de Rome. Cette maladie est généralement causée par un usage excessif d'antibiotiques et, comme son nom latin l'indique, elle peut être extrêmement difficile à soigner.

Pendant des décennies, les infections à C. diff ont été traitées avec des antibiotiques spéciaux, mais sans grand succès. Les chercheurs ont alors essayé une thérapie qui soigne le mal par le mal. Une étude réalisée en 2013 a montré que la transplantation de matières fécales (FMT) est bien plus efficace que les antibiotiques pour traiter les infections à C. diff. Aussi connue sous le nom de bactériothérapie fécale, la FMT est à peu près ce à quoi on s'attend : les matières fécales données par une personne saine sont greffées sur une personne présentant un déséquilibre bactérien intestinal. Comme les selles sont composées à 30 % de bactéries, une transplantation fécale peut renforcer un microbiome défectueux avec les bactéries intestinales saines d'une autre personne.

L'hôpital Gemelli de Rome est l'un des principaux centres de FMT en Europe. En Italie, la procédure est réglementée par le Centre national de transplantation d’organes du ministère de la Santé. Bien que les excréments soient (évidemment) plus faciles à trouver que les reins, les risques de l'opération sont élevés.

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« Identifier les personnes qui peuvent donner leur microbiome est plus difficile que vous ne le pensez, » dit le Dr Maurizio Sanguinetti, microbiologiste et directeur du département des maladies infectieuses de l'hôpital Gemelli. Vous pouvez penser que votre microbiome est sain parce que vous vous sentez en bonne santé, mais ce n'est pas nécessairement le cas. Notre intestin peut contenir des virus et des bactéries nocifs qui feraient des ravages s'ils étaient greffés sur un autre microbiome fragile.

C'est pourquoi le dépistage du bon échantillon peut prendre des semaines. Comme l'explique le Dr Sanguinetti, le sang et les selles d'un donneur potentiel sont testés à plusieurs reprises pour des problèmes gastro-intestinaux, pour d'autres virus connus comme le VIH, l'hépatite et pour d'autres maladies qui peuvent être indirectement liées à la santé intestinale, comme l'autisme, la schizophrénie, le diabète et les maladies cardiaques. C'est pourquoi l'hôpital Gemelli met en place une banque de donneurs. Une fois qu'une compatibilité est trouvée, les selles sont filtrées, mélangées à des solutions salines et transplantées, fraîches ou congelées, par coloscopie ou lavement. Il se peut qu’un jour elles soient disponibles sous forme de capsules.

Marisa Capezzuto, 38 ans, est une photographe installée dans le Minnesota. Elle est atteinte de la maladie de Crohn (une maladie inflammatoire de l'intestin) et a souffert d'infections récurrentes à C. diff. « C'était vraiment douloureux et stressant, dit-elle. J'avais des diarrhées plus de dix fois par jour, des nausées, de la fièvre et des douleurs à l'estomac. » Au plus fort de sa maladie, elle pouvait difficilement sortir de chez elle ou dormir correctement. « J'étais enchaînée aux toilettes », dit-elle.

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Après quelques cycles infructueux d'antibiotiques coûteux, elle a décidé de subir sa première transplantation fécale à l'université du Minnesota. Six mois plus tard, la maladie est revenue et elle a subi une deuxième FMT à la Mayo Clinic. Dans les deux cas, ses donneurs ont été recrutés de manière anonyme par une banque. Cette fois, l'infection semble avoir disparu pour de bon. « Ça peut paraître idiot, mais ça m'a sauvé la vie », dit-elle.

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Marisa Capezzuto. Photo publiée avec son aimable autorisation.

Alice Ten Havre, 54 ans, enseignante en école primaire à Elburg, dans l'est des Pays-Bas, a elle aussi guéri de son infection à C. diff grâce à une transplantation fécale. Elle est tombée malade en janvier 2018 après avoir pris pendant longtemps des antibiotiques destinés à soigner une infection urinaire. Elle a subi une transplantation fécale à l'hôpital Isala de Zwolle, tout près de chez elle, avec des selles provenant d'une banque de donneurs néerlandaise. Elle a passé trois jours à l'hôpital et a immédiatement senti la différence. Elle s'est complètement rétablie en quelques semaines. « C'était une belle réussite, dit-elle. La bactérie n'est jamais revenue. »

Les résultats de la FMT sur les infections à C. diff sont si remarquables qu'un consensus scientifique sur le traitement s'est formé assez rapidement. Étant donné que la recherche sur le microbiome humain fait des progrès impressionnants, les scientifiques envisagent également de recourir à la transplantation de matières fécales pour traiter divers problèmes médicaux. Par exemple, le Dr Sanguinetti affirme que des études réputées sur des animaux atteints d'une affection similaire à l'autisme ont constaté une réduction des symptômes après une transplantation fécale. D'autres envisagent d'utiliser la FMT pour traiter le syndrome de l’intestin irritable, les effets secondaires du cancer du côlon et même l'alcoolisme.

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Mais nous ignorons encore tant de choses sur la FMT. D'une part, nous ne savons pas si le traitement guérit les symptômes ou la cause des troubles médicaux. Nous ne savons pas si les résultats des chercheurs sont une simple corrélation. Nous ne savons pas quels minuscules micro-organismes du microbiome font une différence et lesquels n'en font pas. « Ce n'est pas de la science-fiction, dit le Dr Sanguinetti. Nous devons absolument respecter un processus scientifique rigoureux pour ne pas nourrir de faux espoirs. » Dans l'ensemble, il pense que la science progresse assez rapidement sur le sujet et que nous pourrions bientôt voir des mises en œuvre concrètes.

La greffe fécale nous sauvera tous

Malheureusement, la science n’est pas assez rapide pour Internet. Les résultats presque miraculeux du traitement ont fait sa renommée en ligne, avec des groupes dédiés au partage d'informations sur le sujet et, plus inquiétant encore, des conseils et astuces pour bricoler sa greffe à la maison. Certains utilisateurs disent vouloir l'essayer pour traiter l'anxiété et la dépression, même si rien ne prouve son efficacité dans ces domaines. D'autres sont désespérés de trouver des solutions à des problèmes médicaux débilitants liés à leur intestin.

C’était le cas de Josiah Pugh, un photographe de 35 ans de la Nouvelle-Orléans. « En 2013, j'ai eu un accident et je suis techniquement mort, raconte-t-il. J'ai été réanimé et suis resté dans le coma pendant 13 jours. » À l'hôpital, on lui a donné des antibiotiques très puissants qui lui ont causé des problèmes intestinaux. « J’avais la diarrhée jour et nuit », dit-il. Malgré les symptômes invalidants, sa coloscopie initiale n'a révélé aucun problème et il est rentré chez lui avec un diagnostic de dysbiose intestinale.

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Désespéré, incapable de travailler et totalement isolé depuis plus d'un an, Pugh a décidé de prendre les choses en main avec une procédure DIY. « Ma mère est pathobiologiste et avait peur que je ne me transmette une infection mortelle, dit-il. Mais mon frère a accepté d'être mon donneur et j’ai continué. » En suivant les instructions trouvées sur un site, il s'est administré des selles congelées à l’aide d’un énéma et dit avoir vu des résultats immédiats. « Bien que cela ne m'ait pas complètement guéri, environ 70 % de mes symptômes ont disparu », dit-il. Le Dr Cammarota et le Dr Sanguinetti estiment tous deux que Pugh a eu beaucoup de chance. L'année dernière, deux patients aux États-Unis ont contracté une infection à E. Coli après une greffe dans un hôpital, et l'un d'eux est mort.

Taymount Clinic

Josiah Pugh à la clinique Taymount .

En 2019, Pugh a décidé de subir une nouvelle série de FMT pour sa dysbiose à la clinique privée Taymount au Royaume-Uni. Aux États-Unis, le traitement de la dysbiose par FMT est illégal. Mais certaines cliniques privées à travers le monde, dont Taymount, pratiquent la greffe de manière controversée, même dans les cas où la FMT n'est pas recommandée par le consensus scientifique actuel. Les procédures sont très coûteuses ; Pugh a payé environ 4 500 euros. Malgré les risques, il se dit satisfait des résultats. « Je me sentais tellement pris au piège par ma maladie que j'ai même pensé à mettre fin à mes jours, dit-il. Je suis prêt à aller de l'avant. »

Lauren Waite, une dentiste de 36 ans originaire de Sydney, s'est également tournée vers une clinique privée. Il y a plus de deux ans, elle a commencé à développer de graves intolérances alimentaires. Son alimentation est devenue considérablement limitée et elle avait constamment des nausées. Elle a presque cessé de travailler et avait du mal à s’occuper de son enfant de six ans. Après avoir consulté des diététiciens et des gastro-entérologues et essayé des remèdes plus traditionnels comme les régimes d'élimination, elle a contacté le Centre des maladies digestives de Sydney.

« Pour être honnête, le traitement était assez stressant », dit-elle. Elle n'a vu le médecin-chef du centre, le Dr Borodi, que deux fois : lors de la première consultation et du bilan de santé. Le Dr Sanguinetti trouve les détails de son traitement « suspects ». Elle a subi une série de transplantations en clinique sur une période de neuf jours, puis on lui a demandé de se faire des lavements toute seule plusieurs fois par semaine. Au cours de la deuxième phase, elle a également dû trouver des donneurs par elle-même, bien qu'ils aient été soumis à des tests approfondis par le laboratoire de la clinique. La fréquence des lavements à domicile a diminué avec le temps, mais en tout, on lui a recommandé 36 transplantations. « J'ai littéralement passé des mois à chercher des selles », dit-elle. Elle estime que son traitement a coûté au total entre 6 000 et 7 500 euros.

« Ça a été assez dur, mais mes symptômes ont diminué et ma qualité de vie s'est considérablement améliorée, dit Waites. Ce n'est tout simplement pas une solution miracle. » Mais le Dr Sanguinetti maintient que le traitement moyen nécessite entre une et trois transplantations en fonction de la réponse du patient – certainement pas 36. « Je comprends que les gens veulent trouver des solutions à leurs problèmes, dit-il. Mais ils doivent surtout éviter d'aggraver la situation. »

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