Italie : le scandale des cimetières à fœtus

VIDÉO. Plusieurs femmes ayant eu recours à un avortement ont retrouvé leurs noms et prénoms inscrits sur des tombes dans un cimetière de la capitale transalpine.

Par , correspondant en Italie

Temps de lecture : 4 min

Pour aller au cœur de la polémique qui horrifie ces derniers jours l'Italie, il faut s'éloigner du centre historique de Rome. Direction Prima Porta, dans les confins nord de la capitale italienne. Là où se dresse l'imposant cimetière Flaminio, si vaste que, pour se déplacer à l'intérieur, on privilégie souvent la voiture ou le bus municipal. C'est là que, entouré de pins parasols et de columbariums franchement décatis, se trouve l'objet du scandale : le carré n° 108, un lopin de terre quelconque, où sont alignées un peu maladroitement une centaine de petites croix de fer.

La newsletter international

Tous les mardis à 11h

Recevez le meilleur de l’actualité internationale.

Votre adresse email n'est pas valide

Veuillez renseigner votre adresse email

Merci !
Votre inscription a bien été prise en compte avec l'adresse email :

Pour découvrir toutes nos autres newsletters, rendez-vous ici : MonCompte

En vous inscrivant, vous acceptez les conditions générales d’utilisations et notre politique de confidentialité.

C'est sur l'une d'elles que, la semaine dernière, Marta a découvert avec stupeur son nom inscrit au feutre blanc. « Mais ce n'est pas ma tombe, c'est celle de mon fils », raconte-t-elle dans un long texte publié sur Facebook et depuis largement repris par la presse de la péninsule. Dans ces lignes, la jeune femme explique avoir eu recours à une interruption thérapeutique de grossesse, effectuée il y a plusieurs mois de cela dans l'un des hôpitaux de la ville. À l'époque, interrogée par un employé sur son souhait de « procéder à des funérailles et à l'inhumation » du fœtus, Marta préfère refuser pour des « raisons personnelles ».

Associations de charité

De l'autre côté des Alpes, la loi donne en effet la possibilité d'inhumer un fœtus avorté entre la 20e et 28e semaine de grossesse (en deçà, ils sont considérés comme des « déchets sanitaires » et sont détruits ; au-delà de 28 semaines, la sépulture est obligatoire). Sans requête des parents dans les 24 heures, c'est alors à l'ASL, l'agence de santé locale, d'en prendre la charge. Et c'est justement des mois plus tard, intriguée par des articles dans la presse sur la question des sépultures données aux prodotti del concepimento (fœtus et placenta de moins de 20 semaines), que Marta prend contact avec l'hôpital. Abasourdie, elle apprend que son fœtus est encore aujourd'hui « conservé à la morgue ».

« Madame, nous les gardons car, parfois, les parents changent d'avis. […] même si vous n'avez pas signé pour l'inhumation, le fœtus sera quand même enterré par une association de charité », explique-t-on ainsi à la jeune femme au téléphone. « Ne vous inquiétez pas, il aura sa place avec sa croix et vous le trouverez avec votre nom. […] Nous vous appellerons quand il sera transféré au cimetière », poursuit son interlocuteur.

Nous portons les fœtus au cimetière, avec piété, avec amour, mais sans manifestation, sans faire de la propagande ou de la dénonciation.

En Italie, la charge d'inhumer les fœtus est parfois confiée à des associations catholiques ayant conclu des accords avec les agences de santé locales. « Nous portons les fœtus au cimetière, avec piété, avec amour, mais sans manifestation, sans faire de la propagande ou de la dénonciation », promet Don Maurizio Gagliardini, dont l'association Difendere la vita con Maria (ADVM) affirme avoir procédé à plus de 200 000 inhumations au cours des deux dernières décennies. L'affaire du cimetière de Flaminio est une « erreur grave », selon le religieux, qui garantit que jamais l'ADVM n'a eu accès « aux noms des parents et à la provenance du fœtus : ce sont des informations que seul l'hôpital a en sa possession ».

Après le récit de Marta, d'autres femmes ont également décidé de prendre la parole, dans la presse ou sur les réseaux sociaux. Comme Francesca : « Par trois fois j'ai demandé, après l'avortement, ce qui allait arriver au fœtus et trois fois on m'a dit qu'ils ne savaient pas », écrit ainsi cette Romaine. Mais, devant le carré n° 108 du cimetière de Flaminio, c'est la même consternation : « J'ai trouvé mon nom sur cette vilaine de croix de fer glacée dans cet immense terrain nu et cela a été comme un autre profond coup de poignard, une douleur infinie et une colère à en devenir aveugle », raconte la jeune femme.

Violation du droit des femmes

Plusieurs parlementaires et élus régionaux se sont alarmés de cette atteinte grave au secret médical et à la loi 194 sur l'avortement dans une Italie où l'accès à l'IVG est parfois compliqué (sept gynécologues sur dix en milieu hospitalier seraient objecteurs de conscience) et où le poids des associations pro-vie est palpable. De leur côté, le parquet de Rome ainsi que le garant de la protection des données personnelles ont tous deux ouvert une enquête. Principale institution pointée du doigt dans cette affaire, l'Ama – le service municipal chargé des cimetières – se défend maladroitement en soulignant que l'inscription du nom des femmes ne sert qu'à « identifier la sépulture pour qui la cherche ».

Pas suffisant pour Elisa Ercoli, présidente de l'association Differenza Donna. « Notre objectif aujourd'hui est de savoir qui sont les responsables, quels accords les institutions ont passés et comment une pratique de ce type a été rendue possible en violation totale du droit des femmes », souligne-t-elle. Et l'affaire ne fait que commencer. En quelques jours, plus de cent femmes ont contacté l'association pour confier leur histoire. « Toutes ces femmes affirment ne jamais avoir eu d'informations au moment de l'avortement et avoir ensuite découvert que, à leur insu, quelqu'un s'est permis de ne pas reconnaître leur choix », précise Elisa Ercoli. L'association envisage aujourd'hui d'échafauder un recours collectif au-delà du simple cas de Rome « afin d'avoir une vision nationale » de la situation. L'Italie compterait en effet plusieurs dizaines de cimetières à fœtus sur son territoire.

À ne pas manquer

Ce service est réservé aux abonnés. S’identifier
Vous ne pouvez plus réagir aux articles suite à la soumission de contributions ne répondant pas à la charte de modération du Point.

0 / 2000

Voir les conditions d'utilisation

Commentaires (14)

  • fabpitt

    ... Italie... Réserve de chasse du Vatican... !

  • Opéra-18-32

    Je dis qu'il est intéressant de savoir non seulement le pourquoi des IVG -responsabilité de leur corps pour les femmes- mais aussi le comment. Comment en particulier traiter le fœtus, selon des règles différentes en France -aucune inhumation- ou l'Italie -inhumation parfois. Dans le Monde -jadis le quotidien de la rue des Italiens- j'ai lu avec intérêt qu'à partir de 13 semaines d'existence de l'embryon-fœtus, il convient pour une IVG chirurgicale de broyer le cerveau de la vie en question... Ce qui me fit réfléchir, tout en sachant que l'avortement existe depuis bien longtemps et existera pendant bien longtemps, loi Weill ou pas.
    La modération m'a saqué un commentaire où je trouvais pas aberrante l'autorisation donnée au dernier rassemblement évangélique, sans doute parce qu'il convient d'être anti évangélique ; de même fut saqué un commentaire où je fustigeait en termes non injurieux les L214, sans doute parce que la bien pensance gagne le Point et qu'il faut considérer que la chèvre égale l'humain. Ridicule

  • spirrou31

    Afficher le nom de la mère est une grosse bourde, la logique aurait été de mettre un prénom correspondant au jour du calendrier avec une référence indépendante du nom et juste consignée dans un registre.