Un an après l'offensive turque, les Kurdes sont retombés dans l'oubli

Des combattants kurdes transportant le cercueil de l'un des leurs à Derik en Syrie après l'offensive turque d'Octobre 2019 ©AFP -  Laurent Perpigna Iban / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Des combattants kurdes transportant le cercueil de l'un des leurs à Derik en Syrie après l'offensive turque d'Octobre 2019 ©AFP - Laurent Perpigna Iban / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Des combattants kurdes transportant le cercueil de l'un des leurs à Derik en Syrie après l'offensive turque d'Octobre 2019 ©AFP - Laurent Perpigna Iban / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
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Petit regard dans le rétroviseur: il y a un an pile, la Turquie lançait une offensive contre les Kurdes dans le Nord de la Syrie. Un an après, plus personne n’en parle, et les Kurdes paient la facture. Elle est lourde. C’est le « monde d’après ».

Souvenez-vous : le 10 octobre 2019, la Turquie, après avoir obtenu le feu vert de Washington, attaque les Kurdes. Ces Kurdes qui pendant 5 ans ont été nos meilleurs alliés dans la lutte contre le groupe Etat Islamique, plus de 10.000 d’entre eux y ont laissé la vie. La Turquie attaque, les Occidentaux s’étranglent, protestent. Réunion d’urgence du Conseil de Sécurité de l’ONU. 

Et puis… Et puis plus rien ! Et un an après, la réalité dépasse de loin les craintes d’il y a un an.

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D’abord, plus personne n’en parle. La zone, jusqu’à 120 kms à l’intérieur du territoire syrien, est désormais quadrillée par les soldats turcs et leurs supplétifs des milices syriennes. Surveillance généralisée, zone quasi inaccessible pour les journalistes ou observateurs internationaux. Et désintérêt des pouvoirs publics. Résultat : un « trou noir » de l’information.

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Or que s’est-il passé depuis un an ? L’horreur. C’est un rapport du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, rendu public mi-septembre, qui le dévoile. Il donne froid dans le dos. Pillages, déplacements de population, arrestations arbitraires, réquisitions des maisons. Les Kurdes paient le prix fort. Et le pire : les viols, comme armes de guerre. Des femmes, des fillettes, violées collectivement, devant leur famille. Les femmes d’autant plus visées que chez les Kurdes, elles sont des combattantes comme les hommes.

L’horreur, et personne ne regarde.

Un enjeu turc plus que syrien

En même temps, c’est triste à dire, mais ce n’est pas la première fois que les Kurdes sont les victimes de l’Histoire, c’est même devenu une habitude depuis un siècle.

Deuxième flash-back : 1920, traité de Sèvres après la première guerre mondiale. L’empire ottoman est démantelé. Un Etat est promis aux Kurdes, par les Français et les Britanniques. Deux ans après la promesse est reniée. Depuis, les 35 millions de Kurdes, répartis sur 4 pays (Turquie, Irak, Iran et Syrie) attendent. En vain. Et depuis ils ne cessent d’être instrumentalisés dans les conflits des autres : successivement par l’Iran contre l’Irak, par la Syrie contre la Turquie, et donc enfin par l’Occident contre le groupe État Islamique. Et la récompense, un État à soi, ne vient jamais

En l’occurrence, on a d’ailleurs regardé au mauvais endroit pour résoudre le problème. Les succès militaires kurdes en Syrie ont grisé leurs dirigeants et laissé croire à l’hypothèse d’un Etat kurde dans cette région. Mais ça n’a pas vraiment de sens. Des 4 pays où les Kurdes sont présents, la Syrie est celui où ils sont le moins nombreux et donc le moins légitimes. En réalité, et tout le monde le sait, le dossier Kurde ne peut se régler en dehors de la Turquie. C’est en Turquie que vivent plus de la moitié des Kurdes. Sauf que depuis un siècle et depuis Mustafa Kemal, la Turquie n’assimile les Kurdes qu’à des terroristes. Et exclusivement des terroristes qu’il faut éliminer. C’est l’impasse.

Des djihadistes dans la nature

Donc le problème kurde n’est pas parti pour être réglé. Mais une fois qu’on a dit ça, en quoi ça nous concerne au bout du compte ? Je ne vais pas m’étendre sur l’aspect moral de cet abandon des Kurdes, mais sur deux conséquences plus prosaïques et oui elles nous concernent.

Et de un, en ayant laissé faire les Turcs il y a un an, on a de fait encouragé Erdogan dans la politique du fait accompli. J’interviens, il y a de vagues protestations, mais au bout du compte c’est fait. Ça a marché contre les Kurdes. Donc le président turc fait la même chose ailleurs : interventions en Libye, en Méditerranée avec les explorations gazières, dans le Caucase avec l’appui assumé à l’Azerbaïdjan. A chaque fois, le fait accompli. 

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Et de deux, comme les Kurdes de Syrie sont désormais isolés et affaiblis, ils doivent, pour leur survie, passer des compromis, avec le régime d’Assad. Ou bien lâcher du lest sur des sujets clés. Exemple flagrant : l’annonce, la semaine dernière, de leur intention de relâcher 24.000 prisonniers, essentiellement des femmes et des enfants, détenus dans le camp d’Al Hol, dont ils ont la supervision. Sauf que dans le lot, il y a des djihadistes ultra radicaux, y compris chez les femmes. Les Kurdes n’ont plus les moyens de contrôler ce camp de 65.000 personnes, où figurent d’ailleurs des djihadistes français.

Notre abandon des Kurdes a donc des conséquences en chaine. Nous risquons fort d’en payer l’addition nous-mêmes, tôt ou tard.

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