Trump, mauvais perdant ?

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Trump, mauvais perdant ?

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Le président américain Donald Trump a laissé planer le doute sur ses intentions en cas de défaite électorale
Le président américain Donald Trump a laissé planer le doute sur ses intentions en cas de défaite électorale
© Getty - Jabin Botsford/The Washington Post

Washington bruisse de rumeurs selon lesquelles le président sortant ne serait nullement décidé à laisser la place à Joe Biden en cas de victoire de ce dernier. La raison principale de son acharnement à rester à la Maison blanche ? Une partie de ses dettes colossales arrivent à échéance en 2021...

Elizabeth Drew, qui fêtera son 85e anniversaire le mois prochain est probablement la journaliste politique la plus chevronnée des Etats-Unis. Elle a débuté sa carrière de correspondants à Washington en 1967, il y a plus d’un demi-siècle, sous la présidence de Lyndon Johnson. L’actuel locataire de la Maison blanche est donc le dixième président des Etats-Unis dont elle analyse les faits et gestes. Elle a publié quatorze ouvrages, dirigé l’un des think tanks les plus réputés, le Council on Foreign Relations. On l’aura compris, Mrs. Drew n’est pas vraiment une débutante, prompte aux emballements.

Laisser planer le doute

Aussi, quand elle écrit que "la capitale américaine est probablement davantage sur le bord de la guerre civile qu’elle ne l’a jamais été depuis la Guerre de sécession", il faut la prendre au sérieux. Elle se souvient du Watergate. Richard Nixon avait poussé très loin le bouchon, en envoyant des "plombiers" espionner l’état-major du Parti démocrate, mais "il reconnaissait qu’il y a des limites que même le président n’ose pas transgresser", écrit-elle.

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Trump, lui, "en brisant avec témérité les précédents et les normes, a constamment tenté de désactiver toute limite mise à l’exercice de son pouvoir." Il a plusieurs fois justifié ses décisions par l’invocation de l’article II de la Constitution américaine. "l me donne le droit de faire quoi que ce soit quand je l’ai décidé", a-t-il déclaré à plusieurs reprises. 

Or, le président n’a cessé de laisser planer le doute sur son attitude si le résultat des élections présidentielles. Même en 2016, il avait déclaré durant un meeting de campagne à Delaware, Ohio : "Je voudrais promettre à tous mes électeurs et à mes supporters une chose : j’accepterai totalement le résultat de cette grande et historique élection… si je gagne !" Après les avoir emportées, il a cependant refusé de certifier le décompte des voix populaires, qui donnaient une avance de 2 868 692 bulletins à Hillary Clinton. Le prétexte ? Trois millions d’immigrés illégaux auraient, selon lui, voté pour la candidate démocrate.

Multiplier les recours pour retarder les échéances

Comme le rappelle Barton Gellman dans un article-fleuve qui sera publié le mois prochain dans le magazine The Atlantic, le rituel électoral américain est immuable. Il a été institué lors des élections présidentielles de 1896. William Jennings Bryan, apprenant par télégramme qu’il était battu, s’est empressé de féliciter son rival républicain, William McKinley, de sa victoire. "Nous avons soumis cette question au peuple américain et sa volonté fait loi" écrivait-il dans le télégramme envoyé au président élu. 

Depuis, la liturgie politique américaine veut que le candidat battu soit le premier à s’exprimer. Et qu’il félicite le vainqueur. Donald Trump n’a jamais caché qu’avec lui, un passage du relais ne se ferait pas dans les formes et avec politesse. "Ca ne va pas se finir bien" a-t-il menacé en cas de défaite. Mais la question que tout le monde se pose à présent à Washington est : si Trump est battu, acceptera-t-il de quitter la Maison blanche sans y être forcé manu militari ?

Selon Gellman, les avocats du président sortant ont préparé des recours dans tous les Etats clés. 

Dans la mesure où, cette année, pour cause de COVID, le vote par correspondance va être multiplié par dix par rapport aux dernières présidentielles, ces bulletins envoyés par la Poste vont peser d’un poids déterminant. Or, les sondages indiquent que les électeurs républicains préfèrent voter en se déplaçant, alors que la grande majorité des votes par correspondance seront démocrates. D’où les nombreuses déclarations de Trump, menaçant de refuser le décompte de ces bulletins. "Le vote postal va conduire à une fraude massive, a-t-il tweeté. Ça va conduire aussi à la fin de notre grand parti républicain. Nous ne devons pas laisser cette tragédie frapper notre nation." Il a aussi tweeté : " ELECTIONS 2020 TRUQUEES : des millions de bulletins de vote vont être imprimées par des nations étrangères".

Quel arbitrage en cas d'élections contestées ?

Il existe un risque certain que les manœuvres d’arrière-garde de l’équipe Trump pour contester le résultat des élections et retarder aussi longtemps que possible la proclamation du résultat final par les grands électeurs jusqu’au mois de décembre.

Il y a un précédent : lors des élections de 2000, devant le caractère très serré des résultats en Floride, Etat déterminant puisqu’il disposait de 25 grands électeurs (une avance de seulement 1 874 voix pour George W Bush), Al Gore contesta ce résultat et exigea un nouveau décompte. Ce nouveau décompte aboutit à un résultat encore plus serré : 327 voix ! C’est un arrêt de la Cour suprême du 12 décembre qui décida de l’issue de la controverse, en accordant la présidence à George W Bush. Mais cette fois, elle pourrait durer au-delà de la date prévue pour la proclamation solennelle, par les deux Chambres du Congrès, du résultat final des présidentielles, soit le 6 janvier…

On comprend mieux l’insistance mise par Donald Trump à faire avaliser par le Sénat la nomination de sa candidate, la conservatrice Amy Coney Barrett à la Cour suprême, en remplacement de la progressiste Ruth Bader Ginsburg : il compte s’appuyer sur la Cour suprême pour contester le résultat des élections de 2020.

Affaires étrangères
58 min

400 millions de dollars de dettes

Selon Elizabeth Drew, cet entêtement a une raison bien précise. Non seulement Trump est d’un tempérament narcissique et déteste reconnaître ses échecs, mais il est à la veille d’échéances personnelles redoutables. 

Contrairement à la légende qu’il a "vendue" aux Américains, celle de l’homme d’affaire avisé, capable de faire bénéficier son pays de ses capacités formidables à "passer des deals", ses affaires sont dans un état désastreux. Il est endetté jusqu’au cou. C’est la raison pour laquelle il est parvenu à échapper aux impôts. Le montant de ses dettes arrivant à échéance en 2021 s’élèverait à la somme faramineuse de 400 millions de dollars. Et il ne sait pas où trouver cet argent. Être retranché à la Maison blanche lui permettrait probablement de trouver des arrangements avec ses banquiers…

En outre, le New York Times vient de publier une enquête qui montrerait que le président a violé la loi qui interdit à quiconque occupe cette fonction de recevoir de l’argent de l’étranger. Trump aurait bénéficié non seulement de largesses de la part d’oligarques russes proches de Poutine, comme on s’en doute depuis longtemps, mais aussi de prêts généreux en provenance de Turquie et d’Arabie saoudite. 

"De nombreux observateurs avertissent que l’endettement de Trump vis-à-vis de pays étrangers font de lui une menace à la sécurité nationale" écrit Elizabeth Drew.  Ce qui expliquerait assez bien l’espèce de guerre froide qu’il mène contre les services d’espionnage et de contre-espionnage de son propre pays.