Série – Femmes en mouvement

Les pionnières de la Renaissance, de l’ombre à la lumière

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Publié le , mis à jour le
Elles ont été filles, sœurs, épouses, mères, muses mais surtout… artistes. Et l’histoire de l’art les a longtemps au mieux négligées, au pire carrément oubliées. Dans sa nouvelle série, Beaux Arts remet en lumière ces pionnières qui, par leur art, se sont engagées pour la liberté. Cette semaine, plein phare sur la Renaissance italienne et ses créatrices, qui se sont hissées jusqu’aux plus hautes sphères à la seule force de leur talent.
Sofonisba Anguissola, Jeu d’échecs
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Sofonisba Anguissola, Jeu d’échecs, 1555

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huile sur toile • 72 x 97 cm • Musée Narodowe, Poznan • © Bridgeman Images

Oubliés, leur nom et leur talent l’ont été pendant plusieurs siècles. Pourtant, la Renaissance italienne a aussi vu naître et s’épanouir des génies féminins. Des femmes artistes, qui ont réussi à s’affirmer sur une scène artistique dominée par les hommes et à acquérir une renommée auprès des puissants de toute l’Europe. Dans cette époque d’intenses bouleversements, les arts font eux aussi leur révolution. Le statut de l’artiste, notamment, change complètement : naguère associé au technicien, il est désormais considéré comme un inventeur. On voit alors l’avènement de grandes figures artistiques masculines, dont les noms éclipseront bientôt ceux de leurs consœurs, et ce même si dès le début du XVIe siècle l’Italie célébrait déjà le talent de femmes à l’image de Properzia de’ Rossi (1490–1530), première sculptrice de la Renaissance et première femme à figurer dans les fameuses Vies d’artistes de Giorgio Vasari.

Sofonisba Anguissola, Autoportrait au chevalet
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Sofonisba Anguissola, Autoportrait au chevalet, 1556

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huile sur toile • 66 × 57 cm • Muzeum Zamek, Lancut • © Bridgeman Images

À la Renaissance, les femmes ne peuvent ni accéder aux académies de peinture, ni aux botteghe, ces ateliers d’artistes où les jeunes peintres se forment auprès de leurs maîtres. Elle peuvent exercer dans un atelier si, et seulement si, leur père ou un frère y travaille ! Privées pour ainsi dire d’éducation artistique, les aspirantes artistes doivent pour certaines leur entrée dans le monde de l’art au soutien sans faille de leur père. C’est le cas par exemple de Sofonisba Anguissola (vers 1532–1625), dont le paternel, esprit libre de la Renaissance, s’emploie activement à la réussite de sa fille. Après lui avoir trouvé un maître auprès de qui se former, Amilcaro Anguissola, convaincu du talent de sa fille, envoie à des personnes influentes de toute l’Italie les œuvres de Sofonisba. On compte parmi elles Michel-Ange, qui après avoir reçu deux dessins de la jeune femme, salue le talent de cette dernière ! Une vingtaine d’années plus tard, Prospero Fontana, le père de Lavinia Fontana (1552–1614), repère bien lui aussi le talent précoce de sa fille. Lavinia ne peut pas fréquenter l’académie ? Qu’importe, elle apprendra auprès de son père, également peintre ! Et une fois venue l’heure de marier sa fille, il fait établir un contrat de mariage des plus singuliers : son mari, en l’occurrence le peintre Gian Paolo Zappi, doit abandonner sa carrière artistique pour se consacrer entièrement à celle de Lavinia !

Lavinia Fontana, Vénus et Cupidon
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Lavinia Fontana, Vénus et Cupidon, 1592

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huile sur toile • 72 × 50 cm • Musée des beaux-arts, Rouen • © Photo Josse / Bridgeman Images

Si le statut d’artiste apporte à ces femmes une certaine émancipation, elles n’en restent pas moins cantonnées à une typologie de sujets précis. La Milanaise Fede Galizia (1578–1630), par exemple, se consacre à un genre alors nouveau : la natura in posa, soit la nature morte. Ses images silencieuses témoignent d’un regard rigoureux porté sur son sujet – sans doute hérité de son apprentissage auprès de son père miniaturiste. Galizia a recours au sfumato, qui confère à ses coupes de fruits une aura singulière, quasi christique.

Sofonisba Anguissola, quant à elle, se consacre au portrait. La jeune peintre puise d’abord l’inspiration dans son entourage proche. Pour La Partie d’échecs [ill. en une], elle fait par exemple poser ses sœurs et leur gouvernante, dans le jardin familial bordé de chênes. Outre des portraits réalisés pour des notables de Crémone, Anguissola réalise également de nombreux autoportraits, où elle se représente en tenue austère et l’air grave : une façon de montrer qu’elle est non seulement noble (bien que sa famille soit plutôt de la petite noblesse), mais également cultivée. Appelée en Espagne en 1559 auprès de Marguerite de Valois, épouse de Philippe II, l’artiste mettra son talent au service du couple royal. Elle devient ainsi peintre officielle de la cour et enseigne à la Reine le dessin.

À gauche : Giovanna Garzoni, “Cerises et œillets. À droite : Virginia Vezzi, “Judith et la tête d’Holopherne”
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À gauche : Giovanna Garzoni, “Cerises et œillets. À droite : Virginia Vezzi, “Judith et la tête d’Holopherne”, XVIIe siècle et 1624-1626

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huiles sur toile • Palazzo Pitti, Florence / Musée des Beaux-arts, Nantes • © Raffaello Bencini / Bridgeman Images / © MBA, Nantes

Quant à Artemisia Gentileschi (1593–1656) la Romaine, elle fait des scènes bibliques et de la peinture d’histoire sa marque de fabrique. Son œuvre ténébreuse et empreinte de caravagisme, traversée par la violence et le meurtre, met en scène la toute-puissance du féminin : dans sa fameuse toile Judith et Holopherne, Gentileschi prête ses traits à Judith qui, aidée de sa servante, décapite d’un geste ferme et assuré Holopherne, faisant jaillir le sang de part et d’autre de la toile. Pour beaucoup d’historiens de l’art, la peintre exorcise ainsi le viol dont elle a été victime à l’âge de 17 ans ainsi que l’humiliant procès qui suivit. Admise à l’Académie de dessin de Florence (un fait exceptionnel pour l’époque !), elle s’imposera comme l’une des plus grandes artistes baroques de son temps, « l’unique femme en Italie qui ait jamais su ce qu’est la peinture… » écrira, près de quatre siècles plus tard, le grand historien de l’art Roberto Longhi.

Artemisia Gentileschi, Judith décapitant Holopherne
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Artemisia Gentileschi, Judith décapitant Holopherne, 1614–1620

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Huile sur toile • 199 × 162,5 cm • Musée des Offices, Florence • Domaine public

Sofonisba Anguissola, Lavinia Fontana, Artemisia Gentileschi mais aussi Virginia Vezzi, Orsola Maddalena Caccia, Giovanna Garzoni… Nombreuses sont donc les femmes peintres à s’être frayé un chemin au cœur de l’effervescence artistique et culturelle de la Renaissance ! Si beaucoup d’entre elles ont œuvré anonymement dans les ateliers de leur maître, celles dont les noms (et les œuvres) nous sont parvenus ont su mettre leur talent au service de leur liberté. Mais de grandes zones d’ombre demeurent encore : difficile en effet d’authentifier des œuvres ou des documents datant d’une époque où les femmes ne pouvaient rien signer de leur nom… Grâce au travail de chercheurs passionnés, ces artistes trop longtemps oubliées sont désormais célébrées par les musées : le musée des Beaux-Arts de Gand consacrait ainsi en 2018 une grande exposition aux « Dames du baroque », et deux ans plus tard le Prado rendait hommage à Sofonisba Anguissola et Lavinia Fontana quand la National Gallery de Londres mettait en lumière Artemisia Gentileschi. Leur Renaissance ne fait que commencer !

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À lire

Le catalogue de l'exposition "Les dames du baroque" au MSK Gand

Ed. Snoeck Gent • 240 p. • 35 €

À voir :

Sur Arte, « Les peintres oubliées de la Renaissance. Sofonisba Anguissola, Lavinia Fontana, Artemisia Gentileschi », 53 min, jusqu’au 18 décembre 2020.

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