(Bangkok) Arrestations des leaders de la contestation, proscription des rassemblements de cinq personnes et plus, interdiction de messages en ligne : le gouvernement thaïlandais a durci le ton jeudi face au mouvement de contestation qui défile depuis plusieurs mois pour demander plus de démocratie.

Les autorités ont promulgué un décret d’urgence qui interdit « les rassemblements de cinq personnes et plus » ainsi que « les messages en ligne qui pourraient nuire à la sécurité nationale », a indiqué Sunsern Kaewkumnerd, l’un des porte-paroles du gouvernement thaïlandais.

Mercredi, une nouvelle manifestation pour réclamer la destitution du premier ministre Prayut Chan-O-Cha a réuni plusieurs milliers de personnes devant la Maison du Gouvernement à Bangkok.  

Peu de temps après l’entrée en vigueur du décret d’urgence, jeudi à 4 heures du matin (17 h, HE), la police antiémeute a fait évacuer des manifestants qui campaient encore sur le site.  

La plupart des contestataires avaient déjà quitté les lieux, mais une vingtaine de personnes ont été arrêtées, a annoncé à l’AFP le porte-parole adjoint de la police, le colonel Kissana Phathanacharoen.  

Parmi elles, Parit Chivarak dit « Penguin » et Anon Numpa, deux des leaders du mouvement, a précisé une source gouvernementale. D’autres têtes d’affiche de la contestation, dont Panusaya Sithijirawattanakul, dit « Rung », ont été interpellées, d’après des images diffusées en ligne par les activistes.

Appel à une nouvelle manifestation

Le décret d’urgence « vise à entraver le mouvement démocratique et à permettre (aux dirigeants) de garder le pouvoir », a déploré « Rung » sur sa page Facebook peu avant son interpellation.

Bravant l’interdiction de rassemblement, l’étudiante de 21 ans a appelé à une nouvelle manifestation jeudi à 16 h (5 h, HE) dans le centre de Bangkok.

Le mouvement prodémocratie demande le départ du premier ministre, le général Prayut Chan-O-Cha, au pouvoir depuis un coup d’État en 2014 et légitimé par des élections controversées l’année dernière.  

Il réclame aussi une modification de la Constitution, mise en place en 2017 sous la junte et très favorable à l’armée.

Certains militants vont plus loin, exigeant une réforme en profondeur de la royauté, un sujet tabou il y a encore peu dans le royaume.

Ils demandent la non-ingérence du monarque dans les affaires politiques, l’abrogation de la draconienne loi sur le lèse-majesté et le retour des biens de la Couronne dans le giron de l’État, des revendications jugées inacceptables par le gouvernement.

Mercredi, une voiture avec à son bord la reine Suthida, qui ne pouvait éviter le parcours de la manifestation, a été arrêtée quelques instants et des dizaines de manifestants prodémocratie ont levé trois doigts devant son véhicule.  

La veille, d’autres activistes avaient fait au passage du roi Maha Vajiralongkorn ce même salut, inspiré par le film « Hunger Games », des gestes inédits de défi à l’autorité royale.

Le gouvernement a justifié la promulgation du décret d’urgence en évoquant des manifestations « contraires à la constitution » et en dénonçant l’obstruction du cortège royal mercredi.

Hier, plus de 10 000 manifestants prodémocratie ont marché vers la Maison du gouvernement pour marquer le 47e anniversaire du soulèvement étudiant de 1973.

Plusieurs centaines de partisans proroyalistes venus saluer le cortège royal s’étaient massés le long du parcours, ravivant les craintes de troubles dans un pays habitué des violences politiques et qui a connu 19 coups d’État ou tentatives depuis l’établissement de la monarchie constitutionnelle en 1932.

Malgré de brèves échauffourées, les deux camps ont toutefois maintenu leurs distances lors de ce premier face-à-face depuis le début du mouvement de contestation, qui a fleuri cet été au sein d’une partie de la jeunesse thaïlandaise.