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Sarah Bernhardt : portraits et représentations d’une vedette (1)

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6 octobre 2020

Gallica publie une nouvelle sélection consacrée aux portraits d'artistes du spectacle vivant de la fin du XVIIIe siècle au milieu du XXe siècle. Pour l'inaugurer, nous vous invitons à découvrir l'iconographie consacrée à Sarah Bernhardt, tragédienne mythique et première "star médiatique". Cette semaine, une première partie consacrée à la photographie.
Atelier Nadar, Sarah Bernhardt dans "Théodora", 1884

Née en 1844 à Paris, Sarah Bernhardt connaît une carrière exceptionnellement longue, commencée en 1862 et poursuivie jusqu’à la veille de sa mort en 1923. Au cours de cette période de soixante-et-un ans, elle crée soixante-dix rôles et joue cent vingt-cinq pièces dont quatorze contemporaines. Surnommée « La Divine » ou « L’Impératrice du théâtre » par ses contemporains, elle est la première comédienne à avoir fait des tournées triomphales sur les cinq continents. « Reine de l’attitude et princesse du geste » selon les mots d’Edmond Rostand, elle comprend très tôt que sa célébrité repose sur une habile mise en scène de ses apparitions publiques et cultive savamment son image, notamment à travers la photographie et l’affiche, dans un contexte marqué par le développement du vedettariat.

Plus que tout autre personnalité du théâtre du XIXe siècle, Sarah Bernhardt aime poser devant les photographes, à la ville comme à la scène. Si les images que nous conservons d’elle proviennent de multiples ateliers photographiques, elle manifeste incontestablement une prédilection pour l’atelier Nadar, qui prend d’elle plusieurs centaines de clichés. Ainsi en 1864, Félix Nadar (1820-1910) fait de la comédienne, âgée de vingt ans à peine, une série de portraits remarquables, à la fois mystérieux et mélancoliques, au sujet desquels l’écrivain Jean-Louis Vaudoyer écrit plus tard :

« Voici les portraits de Nadar. On ne veut plus regarder qu’elle, ému d’une admiration qui, par les yeux, va toucher le cœur et le fait battre presque amoureusement. » (cité par Pierre Spivakoff dans Sarah Bernhardt vue par les Nadar, Herscher, 1982)

 

Sortie du Conservatoire d’Art dramatique de Paris en 1862, Sarah Bernhardt est entrée à la Comédie-Française la même année, mais l’a quittée presque aussitôt à la suite d'un différend avec une sociétaire, Mademoiselle Nathalie. Si elle joue des petits rôles au théâtre du Gymnase en 1863, elle n’est pas encore connue du grand public lorsque Nadar exécute d’elle ces portraits au décor minimaliste. Accoudée à une colonne, la jeune femme apparaît les épaules nues, avec pour seul bijou un camée à l’oreille, drapée dans un ample burnous, en tissu blanc dans la première photographie, en velours cassis dans la seconde, qui rappelle le goût de l’époque pour l’Orient.

Bien qu’il n’ait ouvert son atelier parisien que neuf ans plus tôt, Félix Nadar, qui est écrivain avant d’être photographe, l’a déjà presque entièrement délaissé en 1864. Entre 1855 et 1860, il a photographié de nombreuses personnalités du monde des arts et de la littérature, comme Delacroix, Berlioz et Théophile Gautier, mais a fini par se lasser de son travail de portraitiste. Il ne retrouve sa passion photographique que très ponctuellement, inspiré notamment par une Sarah Bernhardt débutante. Dans les clichés qu’il prend de la jeune comédienne, on reconnaît les qualités évoquées par le photographe et journaliste Henri Tournier dans l’hommage qu’il rend à Nadar en 1859, parmi lesquelles « l’habileté de la pose », « une disposition savante et raisonnée de la lumière », « une recherche délicate de l’harmonie et des tons légèrement estompés ». (« L’art du portrait » in Sylvie Aubenas, Anne Lacoste (dir.), Les Nadar, une légende photographique, exposition virtuelle accompagnant l’exposition éponyme organisée par la Bibliothèque nationale de France, 16 octobre 2018-3 février 2019)

Tout en simplicité, les portraits de Félix Nadar contrastent avec ceux que son fils, Paul Nadar (1856-1939), exécute de l’actrice à partir des années 1880, alors qu’elle est au faîte de sa gloire et pose des heures durant en costume, s’attachant à reconstituer ses rôles. Même s’il n’a pas le génie de son père, Paul a un réel talent de photographe et prend de plus en plus part aux activités de l’atelier à partir de la fin des années 1870, avant d’en devenir définitivement propriétaire en 1895. Passionné par le théâtre et l’art lyrique, il se spécialise dans les portraits d’acteurs et de chanteurs et travaille pour l’Opéra de Paris, dont il est le photographe officiel de 1898 jusqu’à la Première guerre mondiale.
 

 
Comme l’observe Anne Lacoste, Paul Nadar « se distingue par son goût pour la mise en scène et recrée les scènes principales en studio en proposant une sélection de fonds peints en trompe-l’œil, voire la reproduction exacte du décor original. » Son modèle le plus assidu est incontestablement Sarah Bernhardt, restée fidèle à son studio tout au long de sa vie. Paul Nadar laisse ainsi une documentation importante sur la comédienne, qui perfectionne sa gestuelle, ses coiffures et ses costumes grâce aux photographies. Celles-ci sont diffusées largement par le biais des portraits-cartes, ces photographies contrecollées sur des cartons au format d’une carte de visite dont la mode a été lancée par le photographe Disdéri à partir de 1854, et qui permettent aux personnalités politiques et artistiques de se faire connaître du plus grand nombre.

Avant Paul Nadar, Étienne Carjat (1828-1906), passionné de théâtre depuis son plus jeune âge, a photographié Sarah Bernhardt en costume. Les images qu’il a prises d’elle en Dona Maria de Neubourg pour Ruy Blas de Victor Hugo, pièce dans laquelle elle triomphe en 1872 et qui lui vaut d’être surnommée la « Voix d’or » par Hugo lui-même, comptent parmi les plus belles de l’actrice en costume. Soucieux de reconstituer le décor de la pièce dans son studio, Carjat a demandé au directeur du Théâtre de l’Odéon les objets de scène de Ruy Blas :

« […] pour faire une bonne chose et pour éviter la banalité ordinaire de nos accessoires poncifs, je vous serais mille fois reconnaissant, si vous pouviez me prêter pour ce jour-là, la table, le fauteuil et le coussin du IIe acte. Si vous pouvez faire droit à ma demande, vous me rendrez un réel service d’artiste. » (Lettre de Carjat citée par Sylviane Heffter dans le catalogue d’exposition Étienne Carjat : 1828-1906, photographe, Paris, Musée Carnavalet, 1982)   
 

 

Si Sarah Bernhardt se fait représenter dans ses rôles, elle se plait également à être photographiée à la ville, chez elle ou en tournée, seule ou en famille, avec un sens aigu de la publicité. Elle pose ainsi à plusieurs reprises à Belle-Île-en-mer, que son ami, le peintre George Clairin, lui a fait découvrir en 1894 et où elle a acheté la même année un fortin militaire. Elle y passe plusieurs mois par an jusqu’en 1922, accompagnée de son personnel, de ses animaux sauvages et de personnalités artistiques et mondaines, parmi lesquels le compositeur Reynaldo Hahn, le journaliste Arthur Meyer et l’artiste-peintre Louise Abbéma.
 

 

Sarah Bernhardt sait donc faire de la photographie le véhicule privilégié de sa célébrité. Mais elle est également le sujet de nombreuses affiches et caricatures, que nous vous proposons de découvrir dans la seconde partie de cet article qui sera publiée la semaine prochaine. Ouvrez l'oeil !

Pour aller plus loin : la sélection sur les portraits d'artistes de la scène (du XVIIIe au XXe siècle).
Et pour découvrir une autre facette de Sarah Bernhardt, l'article de Nathalie Hersent sur le premier récit de l'actrice, "Dans les nuages : impressions d'une chaise", publié dans le cadre de la série "Fières de lettres" (BnF/Libération).

 

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