Joseph Guillotin, le médecin hanté par son invention

Il a fait naître la pétition moderne, créé l'ancêtre de l'Académie de médecine, et défendu la vaccination pour la vérole. Et pourtant, Joseph Guillotin sera à tout jamais associé à une invention... qu'il n'a même pas conçue.
La Rvolution   La vritable histoire de Joseph Guillotin
Fine Art Images/Heritage Images/Getty Images

Il faisait partie des héros de La Révolution, la série historique de Netflix. Si les créateurs de la fiction ont pris une certaine liberté avec l’Histoire, l’un des personnages au cœur de l’intrigue, Joseph Ignace Guillotin (joué par Amir El Kacem), a lui bel et bien existé. Et verra à tout jamais son patronyme (faussement) associé à une invention bien sordide.

Joseph Guillotin est né le 28 mai 1738 à Saintes. Selon une légende, il serait venu au monde non loin d’une place où se déroulaient des exécutions : « Les hurlements d'un homme que l'on torturait avant de le mettre à mort auraient provoqué un terrible choc chez sa mère et accéléré la venue au monde de son enfant », souligne Le Devoir. Après un passage chez les Jésuites, il se lance dans des études à la Faculté de médecine, dont celle de Paris où il est reçu docteur régent en 1770. Brillant, il officie pendant un an au service du comte de Provence, futur Louis XVIII et frère du roi.

Médecin, professeur d’anatomie, Joseph Guillotin rajoute rapidement une corde à son arc en se consacrant à la politique. Comme lorsqu’il ose interpeller le roi, le 8 décembre 1788, dans la « Pétition des citoyens domiciliés à Paris » – première du genre – où il réclame notamment le doublement des voix du Tiers-État aux États généraux. Texte politique qui lui vaut l’opprobre de Louis XVI, mais une nouvelle renommée. « À la sortie de l'audience (avec le roi), il est couronné de fleurs et porté en triomphe jusqu'à son domicile de la rue Croix-des-Petits-champs, près du Palais Royal », relate ainsi Le Parisien.

Le 15 mai 1789, Joseph Guillotin est ainsi élu député. On lui doit quelques révolutions (plus ou moins majeures) : c’est lui qui suggère aux députés d’investir la salle du Jeu de Paume – où sera proclamé le serment du même nom –, plus tard, il fonde la Société Académique de Médecine (ancêtre de l’Académie de médecine) et réussit à promouvoir la vaccination générale contre la variole. Comme le souligne l’écrivain Henri Pigaillem dans la biographie qu’il lui consacre, le docteur a toujours été animé par un besoin d'œuvrer pour le bien de l'humanité.

C’est mué par ce même désir qu’il propose, le 10 octobre 1789, un outil pour « humaniser » la peine de mort : couper les têtes pour raccourcir les supplices. Une solution, déjà utilisée ailleurs en Europe, visant à remplacer les méthodes plus cruelles et douloureuses comme la roue ou la hache. « Le couteau tombe, la tête est tranchée à la vitesse du regard, l'homme n'est plus. À peine sent-il un rapide souffle d'air frais sur la nuque », lance-t-il. Le discours « trop exalté » du député suscite l’hilarité de l’assemblée, comme le soulignait en 1997 l’historien Daniel Arasse à France Culture, au point d’offrir un nom tout trouvé à l’instrument de mise à mort. Adieu la « scottish maiden » (« la jeune fille écossaise ») – comme il était baptisé ailleurs – et bonjour à la « guillotin machine » devenue la guillotine.

Victor Hugo disait : « Il y a des hommes malheureux. Christophe Colomb ne peut attacher son nom à sa découverte; Guillotin ne peut détacher le sien de son invention ». Excepté que le médecin n'a fait qu'émettre une suggestion. C’est son ami, le chirurgien Antoine Louis, qui peaufine le mécanisme, et Tobias Schmidt, un artisan allemand, qui le fabrique en 1792. La même année, Nicolas Jacques Pelletier, accusé d’avoir volé et poignardé un passant, est le premier à périr sous sa lame… Une sentence trop rapide au goût de la foule, qui finit par huer. Joseph Guillotin, lui, regrettera toute sa vie cette paternité non désirée, qualifiant l'invention de « tache involontaire de [sa] vie ».