Lutte anti-harcèlement : les politiques entre affichage et rodage

Manifestation #NousToutes contre les violences sexistes et sexuelles faites aux femmes, organisée à Paris le 24 novembre 2018.
Manifestation #NousToutes contre les violences sexistes et sexuelles faites aux femmes, organisée à Paris le 24 novembre 2018.
Harcèlement sexuel : les partis politiques à la peine
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Lutte anti-harcèlement : les politiques entre affichage et rodage

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Enquête | Plusieurs partis politiques ont mis en place des cellules d’écoutes pour leurs membres victimes de harcèlement sexuel. Leur résultat est cependant très mitigé. À l’Assemblée nationale, une cellule de ce type n’a encore reçu aucun signalement, contrairement à une association de collaborateurs.

Le 6 janvier 2020, Marlène Schiappa annonce en grande pompe devant le bureau exécutif de La République en marche (LREM), le lancement d’une cellule de signalement. Elle est, selon Le Figaro sa fierté, son projet. Le parti se vante alors sur son site d’être "le seul mouvement politique français à se doter d’un véritable outil de protection et de sécurisation de l’engagement politique des femmes".

Après dix mois de fonctionnement, le bilan est cependant mitigé : seuls trois cas de harcèlement sexuels ont été signalés. Et le dispositif, qui repose sur un réseau de référents en région, semble encore très confidentiel. Sur une dizaine de députés LREM interrogés à l’Assemblée nationale, aucun n’en a entendu parler. "Il y a sans doute eu des trous dans la raquette au niveau de l’information", répond, embarrassé, Cédric O, le secrétaire d'État chargé du Numérique.

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"Harcèlement sexuel, le mot qui fait peur"

Outre cette cellule de signalement, LREM dit miser sur la formation. En juin 2020, l’ancien président du groupe LREM à l’Assemblée nationale, Gilles Le Gendre, s’était engagé, selon les informations de la cellule investigation de Radio France, à ce qu’une formation soit organisée pendant les journées parlementaires prévues pour septembre 2020, à Amiens. Mais cela ne s’est pas passé comme prévu, selon l’intervenante, Sylvia Arcos-Schmidt : "J'avais compris au début que l’atelier serait principalement sur la prévention du harcèlement moral et sexuel. Mais il y a eu une volonté d'y aller plus doucement pour ne pas provoquer de rejet. En fait, le mot harcèlement fait peur, et pas seulement à LREM."

Un autre programme de formation, validé par Gilles Le Gendre, a été mis au placard. Conçu par trois députés LREM, ce programme a mobilisé en 2019 plusieurs collaborateurs parlementaires pendant plus de deux mois. Claire Pitollat, députée des Bouches-du-Rhône et l’une des initiatrices du projet, ne cache pas sa déception : "Tout était prêt, il nous suffisait de finaliser la commande et d'inciter chaque député à faire cette formation. Mais l'été est passé et à la rentrée, le groupe n'a pas poursuivi."

Une mise en retrait qui fait grincer des dents

D’autres parlementaires de la majorité s’agacent de la façon dont le parti a géré deux cas de députés accusés d’agression et de harcèlement sexuel. Pierre Cabaré, député de Haute-Garonne, est visé par une plainte pour harcèlement sexuel, harcèlement moral et agression sexuelle, comme l’a révélé La Dépêche en septembre 2019. Il n’est autre que le vice-président de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances de l’Assemblée nationale. "Dur dur pour un parti qui fait des femmes la grande cause nationale", persifle un jeune député La République en marche.

"C’était un peu la panique, se souvient-il. Le mot d’ordre était de ne rien faire tant que la justice n’était pas passée." Pierre Cabaré n’a donc pas été exclu du parti, mais on lui a demandé de démissionner de la vice-présidence des droits des femmes. Le dossier aurait-il pu être désamorcé, plus tôt ? La direction de LREM a été alertée dès le mois de mai sur les agissements du député, dans un courrier rédigé par cinq de ses collaborateurs, comme l’a révélé Mediapart. Ce courrier est resté sans réponse. Pour sa part, le député nie les accusations et a porté plainte pour diffamation.

Autre affaire : celle du député de l’Ain, Stéphane Trompille. Il a été condamné en mai 2020 par le conseil de prud’hommes de Bourg-en-Bresse pour harcèlement sexuel et licenciement abusif d’une de ses anciennes collaboratrices. Il a fait appel mais le parti lui a demandé de se "mettre en retrait". Une sanction qu’une députée LREM, Laurence Vanceunebrock juge trop timorée : "Le fait de le conserver dans nos rangs, ça veut quand même dire, non pas qu’on cautionne, mais qu'on n'est pas complètement en désaccord avec sa façon d'agir."

Richard Ferrand réunit toutes les femmes nouvellement élues à l’Assemblée nationale sous l’étiquette La République en marche, le 24 juin 2017 à Paris.
Richard Ferrand réunit toutes les femmes nouvellement élues à l’Assemblée nationale sous l’étiquette La République en marche, le 24 juin 2017 à Paris.
© Maxppp - Gilles Bassignac

Pas de dispositif particulier chez Les Républicains

Chez Les Républicains (LR), "il n'y a ni cellule d’écoute, ni formation spécifique", assume Aurélien Pradié, le secrétaire général du parti. Il affirme "qu’il y a une sensibilisation par notre action politique, notamment par le projet de loi que j’ai porté contre les violences faites aux femmes".

Est-ce efficace ? "On a eu peu de signalements de LR par rapport aux autres partis, répond Mathilde Julié-Viot, co-fondatrice du collectif Chair collaboratrices. Mais ce n’est pas par absence de sexisme dans les rangs de LR, poursuit-elle_. C’est parce que les femmes de ce parti ne voient pas nécessairement du sexisme dans des choses qui en comportent."_

Les Républicains ont cependant été secoués par les révélations de Libération, durant l’été 2020, sur Aurane Reihanian. Le président des Jeunes Républicains est accusé d’agression sexuelle par deux jeunes femmes, dont l’une a porté plainte. Très vite, Aurélien Pradié, le numéro deux de LR, lui a demandé de se mettre en retrait, en attendant que la justice passe. Il n’a donc pas été présent au rassemblement des Jeunes à Port-Marly (Yvelines) en septembre.

Mais là encore, il semble que des alertes aient été lancées bien avant, selon ce que nous ont confié plusieurs militants, confirmant l’enquête de Libération. La rumeur serait remontée jusqu’à la direction du parti, selon un ancien membre de la garde rapprochée de Laurent Wauquiez (ancien président de Les Républicains) qui a tenu à conserver l’anonymat : "La rumeur est arrivée avant le conseil national de fin janvier 2018, le premier de Laurent Wauquiez comme président de Les Républicains. C’est la première fois que j’en ai entendu parler vraiment, de façon solide. Avant c’était juste un bruit de couloir entre jeunes. Pour moi, Laurent Wauquiez n’était pas au courant avant. Je pense que le plus vraisemblable, c'est qu’il a délégué ça à son directeur de cabinet, Arnaud Beuron qui connaissait bien Aurane Reihanian."

Arnaud Beuron, ancien directeur de cabinet de Laurent Wauquiez à la présidence du parti, dément formellement avoir été mis au courant, tout comme l’ancienne secrétaire générale de LR, Annie Genevard. De son côté, Aurane Reihanian nie ces accusations et a porté plainte pour diffamation. Le parquet de Bourg-en-Bresse a ouvert une information judiciaire début septembre 2020.

Le siège du parti Les Républicains à Paris, en juin 2017.
Le siège du parti Les Républicains à Paris, en juin 2017.
© AFP - BERTRAND GUAY

Le Parti socialiste mène ses propres enquêtes

Au Parti socialiste (PS), la création d’une cellule contre les violences sexistes et sexuelles a été votée par le bureau national du parti en 2017, à la suite des révélations de Libération sur des accusations d’agressions sexuelles au sein du Mouvement des jeunes socialistes. Il faudra cependant attendre trois ans pour que la cellule soit réellement lancée.

Durant cette période, le parti a tranché parfois sans attendre que la justice soit saisie. "On est dans un domaine où la justice intervient rarement, appuie Laurence Rossignol, sénatrice socialiste. Donc pour les partis politiques, il faut agir en marge de la justice, identifier ce qui dans les faits signalés justifie une sanction."

En juin 2019, la sénatrice a fait partie d’une "commission d’enquête", dépêchée à la mairie de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), où une conseillère municipale accuse un adjoint de viol. À la suite de cette mission, le parti a retiré son investiture au maire de Saint-Nazaire pour les municipales de 2020, estimant qu’il avait ignoré les alertes de plusieurs membres de son conseil municipal au sujet de son adjoint.

La commission s’est déplacée à nouveau en début d’année à Strasbourg (Bas-Rhin), où le PS a également retiré son investiture à sa tête de liste, après avoir "pris connaissance de mails évoquant des relations tarifées avec des étudiantes".

À La France insoumise, les formations patinent

À La France insoumise (LFI), le pôle d’écoute et de vigilance du parti a été lancé en décembre 2018. Il ne peut être saisi que par des femmes, et ses membres, toutes des femmes, sont pour la plupart anonymes.

Après plus de deux ans d’existence, le bilan du comité sur le site de LFI, fait état d’une quarantaine de cas signalés, dont "17 cas sont actuellement en cours de traitement". Ils concernent des violences conjugales, des viols, du harcèlement sexuel (messages répétés, envoi de vidéos pornographiques, etc.), et du "sexisme ordinaire". Selon Manon Coléou, membre du comité, l’un des cas en cours de traitement concerne un cadre du parti.

Le comité de respect des principes décide ensuite d’éventuelles sanctions et d’entendre la personne mise en cause. Lorsque nous avons interrogé le pôle, il faisait état de 10 exclusions, mais des modifications ont depuis été effectuées sur le site de La France insoumise. Impossible donc de connaître le bilan réel des sanctions prises à la suite des signalements.

La France insoumise mise également sur la formation. Une session de deux heures a été organisée début 2018. Une quarantaine de personnes y auraient participé, principalement des collaborateurs parlementaires, et un seul député, Alexis Corbière.

Une autre formation a été commandée et payée par le groupe La France insoumise de l’Assemblée nationale à l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail ( AVFT). Mais elle a été reportée et annulée à trois reprises en 2019. "Ces annulations ont été justifiées par le faible nombre d’inscrits, regrette Marilyn Baldeck, présidente de l’AVFT, après avoir décidé de mettre un terme à ce programme. Il y a un moment où il faut que ce soit une priorité politique, manifestement ça n’en était pas une", ajoute-t-elle.

Meeting consacré aux droits des Femmes organisé par La France insoumise le 7 mars 2019, à Bobigny (Seine-Saint-Denis).
Meeting consacré aux droits des Femmes organisé par La France insoumise le 7 mars 2019, à Bobigny (Seine-Saint-Denis).
© AFP - STRINGER

Au Parti communiste, une situation encore tendue

Au Parti communiste français (PCF) aussi, la cellule appelée "Stop violences" a été mise en place courant 2018, à la suite des révélations du journal Le Monde sur de nombreux cas de harcèlement et d’agressions sexuels au Mouvement jeunes communistes de France (MJCF). Depuis, le parti a procédé à une quinzaine de suspensions de droits d’adhérents et d’exclusions définitives, selon Hélène Bidard, la responsable de la cellule.

Mais tous les cas n’ont pas été réglés pour autant, notamment celui de Clémence*, une militante qui dit avoir été violée par un autre militant en 2017. Pour elle, le processus de signalement a été une véritable épreuve.

"On te croit, mais il ne se passe rien"

"En tout, j’ai dû témoigner quatre ou cinq fois à des personnes différentes. J’aurais pu lâcher à chaque fois", explique Clémence*. Elle regrette "le manque de transparence" du dispositif : "Tout ce qu’on me disait c’était ‘on te croit’, mais il ne se passe rien." Hélène Bidard reconnaît qu’il y a eu des dysfonctionnements, mais précise qu’elle a fait un signalement au procureur, et demandé à ce que l’agresseur présumé soit exclu de sa section locale. Impossible de savoir si cela a été le cas.

Ce qui est certain, c’est que pendant trois ans, Clémence* a constaté que celui-ci s’est déplacé d’une section locale à une autre. Alors qu’on lui assure qu’il a été suspendu, elle l’aperçoit à la Fête de l’Humanité, en train de tenir le bar du stand d’une section du PCF, en septembre 2019. Là encore, Hélène Bidard admet que "c’est un problème", mais elle assure qu’elle n’a rien pu faire, car "L’Humanité est un journal indépendant, et la Fête de l’Humanité est indépendante du journal et du PCF".

Cette itinérance des personnes mises en cause, Thibault (le prénom a été modifié) l’a également constatée. Lui aussi a signalé son cas plusieurs fois, y compris auprès du Collectif féministe contre le viol (CFCV), auquel le PCF a délégué l’accueil des victimes. L’homme qu’il accuse de l’avoir violé a bien été démis de ses fonctions, au sien du MJCF, mais lors des élections municipales en 2020, il découvre qu’il figure sur une liste du PCF dans le Maine-et-Loire.

"Nous aussi on l’a découvert dans la presse, les candidatures se décident au niveau local, je n’ai pas la liste de tous les candidats dans toutes les collectivités", justifie Hélène Bidard, qui précise qu’il a été demandé au militant de se retirer en cas d’élection.

Des militants, dont des membres du Mouvement des jeunes communistes, tapent sur des casseroles à l'entrée de Micropolis, en mars 2017.
Des militants, dont des membres du Mouvement des jeunes communistes, tapent sur des casseroles à l'entrée de Micropolis, en mars 2017.
© Maxppp - JC Tardivon

Chez EELV, un conflit de génération

À Europe Écologie-Les Verts (EELV), après l’affaire dite Denis Baupin, on aurait pu croire que le parti se serait doté rapidement d’outils efficaces. Il n’en a rien été.

En 2016 pourtant, quelques mois après les révélations, Sandrine Rousseau alors numéro deux du parti et l’une des accusatrices de Denis Baupin, décide de prendre les choses en main. Elle veut mettre en place avec la présidente de la commission féminisme d’alors, "un véritable dispositif de lutte contre les violences sexuelles à l'intérieur du parti". Elles font un appel à candidatures, des personnes sont formées à détecter des agissements de harcèlement. "Une fois que ce dispositif a été lancé, je suis partie", raconte avec émotion Sandrine Rousseau. On est en juillet 2017.

En mars 2019, la responsable de la commission féminisme de l’époque, Rosalie Salaün, interpelle David Cormand, alors secrétaire national d’EELV, lors du conseil fédéral. "On a merdé", lui répond-il alors. Il s’en explique aujourd’hui : "On n’était pas un grand parti avec de nombreux salariés. On fonctionnait à l'époque avec trois équivalents temps plein. On a merdé parce qu'effectivement, le suivi de la motion pour l'appel à candidatures de l’équipe de la cellule, n'avait tout simplement pas été fait. Ce n'est pas de la négligence, mais c'est que l'on avait une to do list ["liste des choses à faire"] effrayante et il y a des trucs qui n’ont pas été faits."

La cellule a finalement vu le jour en février 2020, soit avec trois ans de retard. En huit mois, elle a reçu huit signalements dont deux cas de harcèlement sexuel dans lesquels les fédérations locales avaient déjà sanctionné les auteurs présumés. La cellule va également s’autosaisir sur deux cas de viol. Mais l’équipe attend toujours d’être formée. "Pour le moment, on bricole avec les compétences que nous avons acquises dans nos expériences militantes précédentes", fulmine Rosalie Salaün.

Pour une autre militante qui tient à rester anonyme, ce retard s’explique aussi par un problème de mentalité :

"Notre parti, il a beau être paritaire, il a beau être pour l’égalité femmes-hommes, il y a encore plein de vieux mecs qui bloquent sur ces questions !"

Il semble en effet y avoir un conflit de générations, entre d’un côté les jeunes féministes (femmes et hommes compris) et de l’autre, la vieille garde issue de mai 68, qui a été aux commandes du parti jusqu’à il y a peu. "La réputation de Les Verts, c'était les universités d'été qui étaient quand même un grand lupanar, raconte Yves Contassot, conseiller EELV de Paris. Mais sous prétexte d'une espèce de liberté sexuelle, il y avait cette idée qu’on n’avait pas le droit de porter le moindre jugement sur ce que faisaient les uns et les autres."

Mais la jeune génération est de plus en plus active. En l’espace de quelques semaines, durant l’été 2020, EELV a écarté deux personnes : le directeur adjoint de cabinet d’une élue à la mairie de Paris, qui était accusé de viol, et Stéphane Pocrain, qui n’est pas membre d’EELV mais qui travaillait de longue date avec le parti. Il est accusé par plusieurs femmes de comportements "inadaptés" et avait été condamné pour violences conjugales en 2008. Ses contrats ont donc cessé avec EELV, mais il demeure l’assistant parlementaire de David Cormand au parlement européen.

Manifestation des Jeunes écologistes, accompagnés de cadres du parti, contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes le 10 novembre 2012, à Paris.
Manifestation des Jeunes écologistes, accompagnés de cadres du parti, contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes le 10 novembre 2012, à Paris.
© AFP - MEHDI FEDOUACH

À l’Assemblée nationale, un collectif plus efficace que la cellule officielle

À l’Assemblée nationale, il aura fallu cinq ans de "lobbying forcené" des syndicats de collaborateurs parlementaires et du collectif Chair collaboratrice pour y parvenir. Ce collectif a mené une enquête, en 2019 à laquelle 137 personnes ont répondu. Une collaboratrice sur deux dit avoir entendu des propos déplacés sur son lieu de travail, une sur trois dit avoir été victime d’injures sexistes, et une sur cinq d’agression sexuelle.

Une cellule de signalement a donc été lancée en février 2020. Elle est gérée par deux prestataires extérieurs : l’entreprise Équilibres, pour l’accompagnement psychologique, et le cabinet d’avocats Michel Ledoux & Associés pour la partie juridique.

Aucun cas de harcèlement sexuel en huit mois

Une étape a donc été franchie avec la création de cette cellule, mais son bilan, publié en juin, ne fait état d’aucun signalement de faits de harcèlement sexuel. Seuls des faits de harcèlement moral ont été remontés. Est-ce à dire qu’il n’y a pas de harcèlement sexuel à l’Assemblée nationale ? "C’est une énigme", pour l’avocat Michel Ledoux, responsable du pôle juridique de la cellule, qui suppose qu’il est "pour l’instant plus facile de dénoncer du harcèlement moral que sexuel".

Du côté d'Équilibres, on suggère que la confiance est encore à construire. En effet, le collectif Chair collaboratrice continue, lui, de recevoir des témoignages. Cinq ont été publiés sur son site, depuis la création de la cellule. Il s’agit principalement de remarques sexistes, comme "ce député qui dit à sa collaboratrice dans l’ascenseur qu’il va pouvoir s’envoyer en l’air avec elle avant qu’ils ne redescendent", explique Mathilde Julié-Viot.

Des comportements "plus agressifs"

Plus inquiétant, selon l’association, les comportements des députés, au lieu de s’améliorer avec le rajeunissement de la classe politique à l’Assemblée en 2017, seraient devenus "plus agressifs".

"Avant c’était plus paternaliste, mais actuellement on a l’impression de voir des jeunes loups débarquer, assez forts de leur arrogance. Il y aussi ce truc de la camaraderie, la jeunesse qui a l‘impression de sortir d’un BDE [bureau des étudiants] d’école de commerce (...), qui permet à ces messieurs d’avoir ce type de comportements de façon beaucoup plus décomplexée qu’avant."

Astrid Ribardière, représentante Unsa des assistants parlementaires, confirme : "Y compris sur le harcèlement moral, dont on constate une explosion sous cette législature. Ces personnes qui viennent me voir sont souvent en souffrance, j’ai toujours un paquet de kleenex dans le bureau. On n’a pas encore eu de suicide, mais on croise les doigts très fort parfois." En 12 ans de métier, elle n’a "jamais vu un tel turn over_, des députés qui ont changé de collaborateurs jusqu’à 15 fois"._

L’Assemblée nationale, le 7 mai 2020, à Paris.
L’Assemblée nationale, le 7 mai 2020, à Paris.
© AFP - Ludovic MARIN / POOL

Une Assemblée sans véritables moyens d’action ?

Selon la questrice Laurianne Rossi, députée LREM, l’Assemblée dispose de très peu de leviers pour prendre des décisions dans le domaine du harcèlement sexuel, car elle "ne peut s’immiscer dans la relation entre le député et ses collaborateurs".

Ce n’est pas l’avis du collectif Chair collaboratrice, qui pointe une spécificité de ce contrat, la clause de loyauté, qui permet à un député de licencier sa collaboratrice sur le motif de la rupture de confiance. Le collectif demande le gel de cette clause, lorsque des accusations de harcèlement ou d’agression sont portées, estimant que "c’est un outil puissant pour faire taire les femmes".

Autre levier disponible, suggéré par Agnès Roblot-Troizier, déontologue de l’Assemblée nationale, dans son dernier rapport : modifier le code de déontologie. Concrètement, il s’agirait d’ajouter une disposition sur le harcèlement, avec pour principe d’accroche : l’exemplarité.

* Le prénom a été changé