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Frère musulman, pro-Hamas : Sefrioui, le prédicateur à l'origine de la fronde contre l'enseignant décapité
AFP
Abdelhakim Sefrioui, à une manifestation pro-palestinienne, en décembre 2012.

Frère musulman, pro-Hamas : Sefrioui, le prédicateur à l'origine de la fronde contre l'enseignant décapité

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Abdelhakim Sefrioui, prédicateur islamiste connu du renseignement, a été placé en garde à vue dans l'enquête sur l'assassinat de Samuel Paty, décapité à Conflans. Le 8 octobre, il avait appelé à la mobilisation contre l'enseignant. Son CV dévoile un profil d'islamiste expert de l'agit-prop.

L'homme attend devant le collège Bois d'Aulne, à Conflans-Sainte-Honorine. Muni d'un téléphone, il filme la scène. À ses côtés, ce jeudi 8 octobre, le père d'une élève de quatrième est présent. Sa fille arrive. L'homme demande : "Peux-tu nous raconter exactement ce qu'il s'est passé ?" L'adolescente relate que pendant "un cours sur l'islam", son professeur d'histoire-géographie aurait proposé à ses élèves de confession musulmane de quitter la salle de classe. "Là, je vais montrer une image, vous allez être peut-être choqués donc si vous voulez vous pouvez sortir du cours", aurait annoncé l'enseignant, selon la fillette. Le professeur aurait ensuite montré "un homme nu", correspondant à une caricature de Mahomet.

Un peu plus loin dans la vidéo de dix minutes diffusée depuis sur les réseaux sociaux, l'homme apparaît à visage découvert. D'une soixantaine d'années, crâne dégarni et barbe argentée, il assure agir "au nom du conseil des imams de France". Il raconte avoir eu un échange avec la direction de l'établissement : "Ça fait cinq-six ans que des enfants de 12-13 ans, des musulmans, sont choqués, sont agressés, sont humiliés devant leurs camarades (..) On a dit qu'on exigeait la suspension immédiate de ce voyou". Le 7 octobre, le père de l'élève a, lui, diffusé le nom du professeur d'histoire-géographie, Samuel Paty, sur Facebook. Le sexagénaire barbu conclut : "Nous sommes partis de là-bas avec la ferme intention de mobiliser pour une action devant l'établissement. (…) Si on accepte ça, on arrivera peut-être à ce qu'il s'est passé à Srebrenica (ville de Bosnie où 8000 musulmans ont été massacrés, en 1995, ndlr.)".

Ex-enseignant de l'Éducation nationale

Selon nos informations, cet homme a été placé en garde à vue ce samedi 17 octobre dans le cadre de l'attentat dont a été victime Samuel Paty, décapité dans une rue de Conflans, ce vendredi 16 octobre. Il s'appelle Abdelhakim Sefrioui et c'est une figure bien connue des services de renseignement français, nous confirme Bernard Godard, haut fonctionnaire honoraire, spécialiste de l'islam au ministère de l'Intérieur entre 1997 et 2014. Il est d'ailleurs fiché pour radicalisation à caractère terroriste au FSPRT. Son CV dévoile un profil de militant islamiste chevronné. Tour à tour imam, associatif véhément, libraire, soutien de Dieudonné, prédicateur, expert de l'agit-prop et militant antisioniste virulent, il est depuis le début des années 2000 de toutes les manifestations défendant de près ou de loin une vision radicale de l'islam. "Cet homme est dangereux, il séduit la jeunesse. Il est plus dangereux que Tariq Ramadan car il séduit la base, les parents", affirme auprès de Marianne Hassen Chalghoumi, l'imam de Drancy. En 2011, il avait dû être placé sous protection policière après des menaces proférées par Abdelhakim Sefrioui et ses soutiens.

Abdelhakim Sefrioui, né en 1959, apparaît dans les radars du renseignement au début des années 2000, dans l'Essonne. En tant que président de l'association culturelle des musulmans des Ulis, il se fait le leader d'une contestation communautaire tendant à ce que le projet de mosquée initié par la commune soit revu. Ses méthodes sont celles de l'agit-prop : il multiplie les appels à manifester, harcèle la municipalité. "C'est un revanchard, il s'inscrivait dans la vaste mouvance marocaine islamiste alors active dans l'Essonne", se souvient Bernard Godard. Originaire du Maroc, Sefrioui aurait la nationalité française, si l'on en croit ce qu'il affirmait auprès de La Vie, en 2003. Son épouse se revendique dans plusieurs publications comme une Française "convertie" et l'accompagne dans la plupart de ses actions publiques. Dans l'entretien accordé au média catholique, Sefrioui expliquait par ailleurs avoir été enseignant en informatique au sein de l'Éducation nationale française pendant quinze ans.

Dans le comité de campagne de Dieudonné

Au milieu des années 2000, Sefrioui, qui se fait appeler imam depuis ses prêches aux Ulis, gère en parallèle une librairie-maison d'édition de la rue Jean-Pierre Timbaud, dans le onzième arrondissement de Paris, Arrissala. Au cours de la même période, il s'initie… à la politique, en rejoignant l'éphémère comité de campagne de Dieudonné pour la présidentielle de 2007. Candidature finalement avortée, faute d'obtention des 500 signatures.

En 2006, Sefrioui préface un ouvrage de l'imam Youssef Qaradhawi, le maître à penser des Frères musulmans. "C'est un frère musulman extrême", nous indique Hassen Chalghoumi, menacé pendant plusieurs mois par l'activiste et ses amis. Début 2010, l'imam de Drancy est en effet pris pour cible par le collectif Cheikh Yassine, fondé par Abdelhakim Sefrioui en l'honneur d'un dirigeant du Hamas, l'organisation palestinienne considérée comme terroriste en Europe. "Cette mosquée a été financée par la mairie et elle est gérée par un pion des sionistes, M. Chalghoumi, manipulé par le CRIF.", vitupère le prédicateur auprès du Parisien. À plusieurs reprises, le collectif Cheikh Yassine manifeste devant la mosquée de Drancy. Le 26 janvier 2010, un groupe de 80 personnes pénètre même dans l'enceinte. "À cause des menaces, j'ai dû être placé sous protection de la police", raconte Hassen Chalghoumi, qui affirme aussi que "deux personnes de Cheikh Yassine sont venus chez (lui) pour (l)'agresser". En juin 2010, deux personnes appartenant au collectif Cheikh Yassine ont été surprises en train d'escalader le mur du domicile de l'imam, une caméra à la main.

Détestation d'Israël

Le rapport de force direct avec les représentants religieux qui ne se conforment pas à leur vision de l'islam est une habitude des réseaux Sefrioui, à en croire Dalil Boubakeur, recteur de la grande mosquée de Paris jusqu'en 2019. "J’ai connu ce Marocain qui gravitait dans le cinquième arrondissement de Paris et dans certains mouvements radicaux. Je ne pouvais que susciter son ressentiment, comme à tous ceux qui m’en ont voulu d’être plutôt laïque. Ce genre d’individus étaient vraiment dans des mouvances assez dangereuses. J’ai eu quelques menaces. La police m’a obligé à être sous protection", explique le dignitaire à Marianne.

En 2014, le ministère de l'Intérieur envisage de dissoudre le collectif Cheikh Yassine, initiateur de plusieurs manifestations pro-palestiniennes virulentes, pour antisémitisme. Souvent vêtu d'un keffieh, Abdelhakim Sefrioui y harangue les foules, en hurlant sa détestation d'Israël. Dans une vidéo de 2010, on l'entend, exalté, parler de Gaza comme du "plus grand camp de concentration que l'humanité ait connu". Selon Libération, les liens de Cheikh Yassine avec le forum internet Ansar Al-Haqq, connu pour faire la promotion du djihad, sont même questionnés.

Liens avec l'extrême droite

Son organisation a aussi des liens avec des structures étiquetées à l'extrême-droite. En 2010, on le retrouve aux côtés du site conspirationniste Alter-info, poursuivi devant le tribunal pour antisémitisme. Au micro d'Arte, il crie, déchaîné : "Est-ce que les juifs n'ont pas de mauvais ? Si !". "On aurait dû interdire ses actions il y a bien longtemps", enrage Hassen Chalghoumi.

Il est toujours membre du conseil des imams de France, un groupuscule radical fondé en 1992, et dont il a été trésorier. "Ils ont été les premiers à se pavaner avec la barbe et à former des gens un petit peu radicaux et très hostiles, un peu comme le GIA, comme ces mouvements dangereux qui ont vécu en Algérie, mais aussi en France", se rappelle Dalil Boubakeur. Son secrétaire général, Dhaou Meskine, conteste cependant que cette organisation soit derrière la mobilisation contre Samuel Paty. "Sefrioui n’a pas le droit de parler en notre nom », fulmine l’imam sollicité par Marianne. "C’est une initiative personnelle, qui n’engage en rien le conseil des imams de France. Il n’a pas le droit de se prononcer sans m’avertir", se désolidarise-t-il.

"Désobéissance civile"

Ce théologien assure que lui et M. Sefrioui ne se côtoient plus que "très rarement". Il conteste "ses méthodes de travail" mais reconnaît que M. Sefrioui est bel et bien membre du conseil d’administration de son association. La mosquée de Pantin (Seine-Saint-Denis), qui accueille régulièrement les prêches de Dhaou Meskine, a par ailleurs relayé les vidéos du parent d’élève qui désire exclure Samuel Paty. La communication de la mosquée est aussi gérée par l'Union des associations musulmanes du 9-3, très proche du conseil des imams de France.

Depuis une dizaine d'années, Abdelahkim Sefrioui a lui affiné ses méthodes. Il s'est transformé en spécialiste de la "désobéissance civile" islamiste face à la loi française. En octobre 2010, au cours du procès opposant deux membres du collectif Cheikh Yassine à l'imam Chalghoumi, une femme intégralement voilée tente de s'introduire dans la salle du tribunal de Bobigny. "Cette femme a été exclue comme une malpropre en disant qu'elle ne fait pas partie des citoyens qui ont le droit à la justice dans ce pays", maugrée alors Sefrioui, selon Europe 1.

"Islamophobes, on est là"

En termes d'intimidation devant les établissements scolaires, il n'en est pas non plus à son coup d'essai. Le 15 mars 2011, selon Le Point, Sefrioui s'est rendu devant le lycée Auguste-Blanqui de Saint-Ouen, comme accompagnateur de la mère d'une jeune fille rappelée à l'ordre car elle souhaitait porter en classe l'abaya, une longue robe sombre couvrant tout le corps. Des banderoles avaient été installées devant le lycée : "Islamophobes, on est là." L'établissement avait renoncé à interdire l'abaya.

Dans chacune de ses actions, Sefrioui dénonce les discriminations dont seraient victimes les musulmans de France. Et se place comme un des leaders de l'insurrection. Dans sa vidéo du 8 octobre, il tente de politiser le sujet en faisant un lien avec le discours récent d'Emmanuel Macron sur le séparatisme islamiste : "Nous avons assisté à la réponse de ce voyou, qui est enseignant, à cet appel du président de la République à haïr les musulmans". Les mots qui ponctuent le titre du film ? "Le vrai séparatisme".

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne